Homélie du 10 avril 2004 - Vigile Pascale
fr. Alain Quilici

Mes frères, vous connaissez cette belle histoire qu’on raconte en Provence. On dit que peu de temps après la Résurrection du Seigneur, une embarcation quitta la Terre Sainte. A son bord, il y avait Marie-Madeleine, Marthe et les autres saintes femmes avec Lazare. La barque fut poussée par les courants jusqu’en Camargue au lieu dit Les Saintes Marie de la Mer. Lazare resta dans la cité phocéenne et devint le premier évêque de Marseille. Marthe remonta le Rhône et maîtrisa la tarasque au lieu dit Tarascon. Quant à Marie-Madeleine, elle trouva refuge dans la massif de la Sainte-Baume où sa présence est toujours vénérée. Et depuis, les foules ne cessent de monter à la grotte pour interroger Marie-Madeleine sur ce qu’elle a vécu en ce lendemain de shabbat, au tombeau de Jésus.

À mon tour, j’ai voulu l’interroger pour vous en sa qualité de premier témoin de la résurrection:
– Eh bien, m’a-t-elle répondu, dites d’abord à vos amis que la première chose qu’ils doivent comprendre, c’est que nous n’étions pas du tout prêtes à ce qui nous est arrivé. Nous savions bien que Jésus avait dit qu’il devait être crucifié et qu’après trois jours il ressusciterait. Mais nous pensions que c’était une façon de parler. Comme lorsqu’on dit d’un défunt qu’il est toujours vivant … dans notre souvenir. Ou qu’il lui arriverait comme à bon Lazare, une sorte de retour à la vie, un sursis, une rémission.

Or ce n’est pas du tout ce qui est arrivé. Il nous a fallu du temps pour le comprendre et je crois que même après 2.000 ans vous ne l’aurez toujours pas compris, à savoir que Jésus n’a pas revécu ni survécu, mais qu’il est né d’une vie nouvelle dont personne sur terre ne peut avoir l’idée. Il lui est arrivé ce qu’il avait annoncé à Nicodème, à moins de naître de nouveau, nul ne peut voir le Royaume de Dieu!

Alors j’ai demandé à la Madeleine ce qui l’avait le plus frappé ce matin-là. Elle m’a répondu:
– Il y a deux choses qui nous ont laissées sans voix. D’abord, de trouver le tombeau vide. C’était tellement inattendu, tellement inimaginable pour nous. Qui avait pu avoir l’audace scandaleuse de rouler la pierre, d’enlever le corps et de plier les linges? Nous étions horrifiées. Ce n’est que longtemps après que nous avons compris qu’il faut d’abord être très déçu par Dieu, pour être ensuite touché par lui. C’est que nous, pauvres femmes, nous savions, sans aucun doute possible, ce que nous allions trouver au tombeau. Il n’y avait rien à nous expliquer. Nous savions! Et voilà que, si vous me permettez cette image, le Seigneur nous a roulées comme il avait roulé la pierre. Il nous a volé nos certitudes.

– Et l’autre chose qui nous a saisies, ce furent ces deux personnages lumineux qui nous sont apparus. Là encore, nous nous sommes trompées. Sur le moment, nous avons pensé à des anges ou à quelque autre explication du même genre. Mais maintenant, à la réflexion, je suis persuadée qu’il s’agissait bel et bien du Seigneur lui-même, lui qui est deux en UN, lui qui est vrai Dieu et vrai Homme en une unique personne. Il venait nous consoler. Il venait nous redire ce qu’il nous avait déjà dit. Il venait nous donner la réponse de Dieu à nos questions humaines. Mais nous baissions les yeux, nous détournions le regard comme pour ne pas voir l’évidence.

Alors, j’ai osé demander à Marie-Madeleine ce qui était arrivé ensuite, quoique je le sache parfaitement.
– Ensuite, m’a-t-elle dit, comme vous le savez, nous avons couru réveiller les apôtres. Et là, une nouvelle déconvenue nous attendait : ils ne nous ont pas crues, ni moi, ni les autres femmes. Nous disions pourtant toutes la même chose. Là encore il m’a fallu du temps pour comprendre que le Christ ressuscité, … ça ne se démontre pas. Chacun, comme Simon-Pierre, doit courir au tombeau, constater l’échec de ses explications, accepter d’être déstabilisé et attendre que le Ressuscité se manifeste. C’est une affaire de rencontre personnelle. Tout le reste ce sont des mots!

Alors, chère Marie-Madeleine, la conclusion?

Après une brève réflexion elle m’a répondu:
– Dites à vos amis de Rangueil, que rien ne se comprend sur le moment. Il faut du temps pour digérer ses déceptions et pour accepter la réponse de Dieu qui n’est jamais la réponse des hommes.

Là-dessus, Marie-Madeleine, s’est tue, emportée dans sa contemplation. Sur son visage on lisait la joie, c’était la joie de la nuit de Pâque, cette joie qui vient du Seigneur et que nul ne saurait nous ravir.