Homélie du 13 avril 2006 - Jeudi Saint
fr. Alain Quilici

Mes frères,

Permettez-moi, en ce jour de grande fête, de vous poser une question un peu directe. Chacun y répondra en secret.

À votre avis, qu’est-ce qui est le plus important dans la vie? Qu’est-ce qui est le plus urgent et qui l’emporte sur tout le reste?

Est-ce, à votre avis, un principe fondamental, une règle de vie, une personne? Est-ce une considération sublime, comme notre vocation divine?

Excusez ma réponse un peu triviale, mais le plus important, c’est tout simplement d’avoir à manger et d’avoir à manger tous les jours, pour ne pas dire et si possible plusieurs fois par jour!

Voilà pourquoi Jésus, celui que nous appelons Maître et Seigneur, et nous avons raison car il l’est, nous invite à sa table comme jadis il y a invité ses apôtres.

Au cours de ce repas, selon l’antique tradition, Jésus a évoqué le repas mémorable que prirent ses ancêtres. C’était en Égypte. Le peuple était en exil. Dieu allait le libérer à mains fortes et à bras étendus. Mais avant de partir pour la grande aventure de l’Exode biblique, ils prirent un repas dont le menu est connu: des herbes amères, un agneau rôti et du pain qui n’a pas levé. Un repas qu’il fallait prendre debout et en toute hâte, comme des gens pressés de partir.

Après ce récit, Jésus a invité ses apôtres à prier en disant: Notre Père, donne-nous aujourd’hui notre pain de ce jour. Certains ont même entendu: donne-nous aujourd’hui notre pain essentiel.

Puis au cours de ce repas fraternel et solennel, Jésus prit du pain, le rompit et le leur donna en leur disant de le manger car il était sa chair et son corps livré.

C’est à ce même repas que nous sommes conviés ce soir. Car Notre Seigneur se soucie de nous donner à manger de peur que nous ne mourrions en route, et de faim, et désespoir. Un repas aussi solennel que celui des Hébreux en Égypte. Un repas dont le pain sera rompu demain sur la croix et dont le vin coulera demain au pressoir de la croix. Un repas pour aujourd’hui qui annonce pour après-demain le banquet de fête auquel nous sommes attendus dans le Royaume. Un repas d’une grande gravité pour nous préparer à ce qui va arriver, à ce nouvel Exode pour lequel part le Seigneur, à sa longue marche dans la nuit où il s’enfonce.

Cet Exode commence au jardin des Oliviers, par un chemin ardu de solitude et d’agonie. Il va le conduire au Golgotha, portant le poids de nos péchés. Il s’ouvre sur l’inconnu de la mort et du tombeau, dans l’espérance d’une terre promise, d’un ciel promis où Dieu sera tout en tous

Voilà pourquoi, avant de partir, Jésus nous invite à sa table. Voilà pourquoi il prend soin de nous donner à manger et à manger la chair du nouvel agneau pascal sous la forme du pain qui n’a pas levé.

Et, suprême délicatesse, il prend la peine de laver nos pieds pour que nous puissions marcher et que nous ne faiblissions pas en route.

Dans ce repas du Jeudi Saint s’exprime toute la Charité de Dieu pour nous:
-* la sollicitude du Créateur pour sa créature qui a faim et nous peut se passer de manger sous peine de mourir,
-* l’attention du père de famille pour ses enfants qui réclament à manger,
-* la tendresse de Notre Seigneur qui nous aime à en mourir.

Maintenant, il nous invite à le suivre.

Allons, partons d’ici! dira-t-il dans un moment.

La route sera longue, la marche sera austère.
Mais celui qui aura mangé, celui qui aura marché, connaîtra la joie d’arriver avec le Seigneur.

Et du lieu où je vais, vous savez le chemin!

Amen!