Homélie du 1 novembre 2006 - Fête de la Toussaint
fr. Augustin Laffay

Qui sait vraiment ce que nous fêtons aujourd’hui ? Fêterions-nous les prénoms comme je l’ai entendu récemment? Non, frères et sœurs, pas plus que nous ne fêtons la sainteté en général. Nous fêtons aujourd’hui des personnes, des personnes bien vivantes: les saints, tous ceux qui ont suivi jusqu’au bout – c’est-à-dire jusqu’au Père – le Saint avec un grand S, Jésus-Christ. Aujourd’hui le Ciel s’entrouvre pour nous laisser entrevoir les chrétiens dans leur état final de béatitude. Car c’est cela un saint. C’est le secret de ces personnes, de ces saints que l’Écriture nous invite à percer pour marcher à leur suite.

Qui sont les saints, que font-ils? Ce sont les deux premières questions auxquelles nous devons nous affronter. Les saints, nous dit saint Jean sont appelés en vérité «enfants de Dieu». Enfants d’un même Père, marqués d’un même sceau ils constituent donc une famille. Et cette famille est innombrable: 144 000 nous dit l’Apocalypse, 12 000 de chacune des douze tribus d’Israël. Et ce n’est pas tout: il y a encore «une foule immense, que nul ne pouvait dénombrer, une foule de toutes nations, races, peuples et langues.» La famille de Dieu n’est donc pas étriquée: elle est aussi large que son dessein Créateur. Il ne tient qu’à nous, avec la grâce de Dieu, d’y tenir notre place.

Il faut ajouter quelque chose. Cette famille, aussi nombreuse soit-elle, n’est constituée que d’originaux. Il n’y a pas de copies chez les saints car Dieu ne produit pas en série. Il n’y a pas un modèle de perfection identique pour tous dans lequel il faudrait se glisser. C’est plutôt rassurant. Pour être chrétien, il suffit de se laisser habiter par le Christ. Chaque saint, c’est-à-dire chaque chrétien accompli, est une invention inédite de l’Esprit Saint.

Et que font ces saints du Ciel? Et bien la première chose qu’ils aient à faire c’est de regarder Dieu. S’ils sont vraiment chrétiens c’est-à-dire du Christ, c’est parce qu’ils Le regardent. «Lorsque le Fils de Dieu paraîtra, nous serons semblables à lui parce que nous le verrons tel qu’il est.» Et cette contemplation leur arrache des cris de joie: «Louange, gloire, sagesse et action de grâce, honneur, puissance et force à notre Dieu, pour les siècles des siècles! Amen!»

Mais comment faire pour rejoindre cette famille? Quel chemin devons-nous suivre pour être ainsi ? C’est la question qui est posée dans l’Apocalypse: «Tous ces gens vêtus de blancs, qui sont-ils, et d’où viennent-ils?» Vous avez entendu la réponse de l’Ancien: «Ils viennent de la grande épreuve; ils ont lavé leurs vêtements, ils les ont purifiés dans le sang de l’Agneau.» Il y a donc une épreuve. Si Dieu la permet c’est pour que nous grandissions, pas pour que nous mourions. Sur la montagne des béatitudes, Jésus balise le chemin de la sainteté.

En premier lieu l’œuvre de notre sanctification commence ici et tout de suite. La sainteté n’est pas une récompense qui vient après la mort, une sorte de médaille militaire reçue à titre posthume. L’œuvre de Dieu s’accomplit déjà en nous ici bas alors que nous sommes sur le chemin de notre pèlerinage. L’objectif que nous visons nous transforme déjà. La première et la huitième béatitude sont au présent alors que les autres sont au futur. Le Royaume des cieux, qui est la maison de famille des saints, est déjà présent pour ceux qui ont une âme de pauvre et ceux qui sont persécutés pour la justice. Cela, le monde ne le voit pas, mais nous nous le croyons. La communion des saints ne connaît pas la barrière de la mort.

Deuxième point: l’épreuve que les saints du Ciel ont franchi consiste moins à faire qu’à se laisser faire. Là aussi, l’enseignement du Christ est clair: le chrétien n’est pas un activiste. Sa vocation consiste à consentir à ce que Dieu veut, à vouloir ce qu’Il veut. Rien d’autre. C’est ainsi qu’il faut comprendre ces extraordinaires béatitudes des affligés, des assoiffés, des affamés…

Au jour de la Transfiguration, le Christ nous a laissé entrevoir sa gloire. Au jour de la Toussaint, c’est la gloire de tous ceux qui ont lavé leur robe dans son sang, la gloire de tous ceux qui ont franchi la grande épreuve qui nous est furtivement donnée à contempler. Réjouissons-nous pour tous les saints du Ciel: les canonisés et les autres. La solennité de la Toussaint nous rappelle pour quoi et pour qui nous existons: la sainteté est notre vocation car nous sommes faits pour Dieu. Rien de moins. Voir Dieu, le voir de leurs yeux, c’est la joie des bienheureux.