Homélie du 2 septembre 2007 - 22e DO
fr. François Daguet

Il ne vous aura pas échappé que le thème principal des lectures d’aujourd’hui est l’humilité. Le seul fait de la citer devrait conduire tout prédicateur au silence. Mais il nous faut bien méditer quelques instants sur ces textes qui attirent notre attention sur elle. Humilité qu’enseigne le Siracide, maître de sagesse: «Mon fils, accomplis toute chose dans l’humilité, et tu seras aimé plus qu’un bienfaiteur», humilité qu’enseigne le Christ, quand on est invité à des noces ou quand on invite soi-même à un banquet. L’Écriture, si l’on y prête attention, parle très souvent de la dilection de Dieu pour les humbles: «Le Seigneur aime les humbles, jusqu’à terre il abaisse les impies», l’humilité revient par deux fois dans le Magnificat: «Il s’est penché sur l’humilité de sa servante… il renverse les puissants de leur trône, il élève les humbles», et Jésus lui-même nous dévoile qu’il est «doux et humble de cœur». Après les vertus théologales de foi, d’espérance et de charité, la vertu d’humilité est l’une des principales vertus chrétiennes, ou en tout cas, elle a vocation à l’être. Pourquoi? Parce qu’elle est la condition de croissance de la charité. Catherine de Sienne nous dit que l’humilité est la mère nourricière de la charité, elle est la terre en dehors de laquelle la charité ne peut croître. (Dial. I, VIII). Donc, ne croyons pas que nous vivons de la charité si notre cœur n’est pas habité par une humilité vraie.

Bien sûr, il n’est pas besoin d’être chrétien pour être humble, nous avons tous connu des personnes authentiquement humbles qui n’étaient pas nécessairement chrétiennes. Mais nous reconnaîtrons sans peine que ce n’est pas, le plus souvent, la note la plus spontanée de l’âme humaine. La vie humaine, la littérature et la comédie humaine qu’elle dépeint volontiers, nous donnent plutôt à voir les manifestations de l’orgueil humain, de l’amour propre, de la vaine gloire. Il s’agit toujours, en un mot, d’avoir la meilleure place, et c’est pour cela que chacun peut comprendre ce dont Jésus parle. Et c’est pour éviter que ces élans ne génèrent des troubles qu’on recourt, dans les institutions publiques, mais aussi ecclésiastiques, au protocole. Un ancien chef du Protocole à la présidence de la République disait un jour que le protocole consiste en un arrangement harmonieux des orgueils humains. Nous connaissons tous cela, il suffit d’ouvrir les yeux et de les poser sur nous-mêmes pour savoir que nul n’est à l’abri de ces élans orgueilleux. C’est pour cela que l’humilité est d’abord une vertu humaine, elle est, dit Thomas d’Aquin, ce qui réfrène l’esprit pour qu’il ne tende pas de façon immodérée aux choses élevées. Et comme il ne faut pas tomber dans le découragement, il ajoute qu’il ne faut pas seulement être humble, mais encore magnanime, la magnanimité étant la vertu qui nous incite à poursuivre raisonnablement ce qui est grand.

Tout homme qui cherche à vivre dignement, c’est-à-dire chacun d’entre vous, cultive la vertu d’humilité. Mais l’humilité chrétienne ne se réduit pas à la vertu humaine. Je vous ferai grâce des douze degrés de l’humilité que saint Benoît a inscrits dans sa Règle. Écoutons seulement Jésus qui nous dit: «quand tu es invité à des noces, ne va pas te mettre à la première place, mais à la dernière». L’excès même de ce qu’il nous recommande nous montre qu’il ne s’agit pas de mœurs humaines, mais divines. Et il peut nous le demander parce que lui-même le vit. C’est Dieu lui-même qui dans le Christ, vit de cet abaissement dont la mesure nous échappe: «Le Christ, qui était de condition divine, ne retint pas le rang qui l’égalait à Dieu, mais il s’est anéanti, prenant la condition d’esclave» (Ph 2). Et les noces dont il parle, ce sont celles de chacun de nous avec lui et de lui avec nous, celles qu’il nous invite à vivre à la mesure de notre humilité.

L’abbé Huvelin, qui accueillit la conversion de Charles de Foucauld au fond de l’Église saint Augustin, à Paris, s’exclame dans ses carnets, à l’adresse de Jésus: «Vous avez tellement pris la dernière place que jamais personne n’a pu vous la ravir». A quoi celui qui était encore moine à la Trappe de Notre Dame des Neiges répond: «J’ai une répugnance extrême pour tout ce qui tendrait à m’éloigner de cette dernière place que je suis venu chercher ici». Chaque baptisé, chaque chrétien a vocation à rencontrer le Christ, à célébrer avec lui ce festin des noces du Royaume auquel il nous convie. Le lieu en est différent pour chacun, mais c’est toujours à la dernière place que l’on rencontre l’époux.