Homélie du 12 juillet 2009 - 15e DO
fr. Benoît-Dominique de La Soujeole

Il y avait au temps de la Première Alliance deux catégories de prophètes: les prophètes qui, comme Amasias, sont en groupes constitués, attachés à un lieu de culte, et les prophètes comme Amos que le Seigneur dans sa souveraine liberté choisissait. Les premiers devaient assurer l’aspect «permanence» de la Révélation en proclamant ce que Dieu avait déjà dit à son Peuple; les seconds devaient assurer l’aspect «nouveauté» de la Révélation ou bien les exigences d’une réforme morale du Peuple de Dieu. Les uns et les autres étaient d’authentiques prophètes, chacun parlant au Nom de Dieu, puisque c’est là la définition du prophète.

Les relations entre ces deux catégories de prophètes n’étaient pas toujours faciles. La nouveauté ou la sévérité de la parole des prophètes «libres» ne s’inscrivait pas toujours aisément dans le «classicisme» des prophètes «institutionnels». Mais il s’agissait-là d’annoncer la venue du Prophète par excellence qu’est le Christ, lui qui n’est pas venu pour abolir mais pour accomplir (Mt 5, 17-19), et qui est venu apporter le vin nouveau demandant des outres neuves (Mt 9, 16-17). Et le Christ qui nous configure à lui maintient ces deux catégories de prophètes dans la Nouvelle Alliance. Il y aura les prophètes «institutionnels», les Douze et leurs successeurs, et les prophètes «libres» avec cette précision que ces derniers ne sont plus quelques uns mais tous les baptisés.

Le prophétisme institutionnel n’a pas pour vocation de faire du nouveau, mais comme S. Paul le dit aux épiscopes qu’il institue, il doit «conserver le dépôt» (2 Tim 1, 14), le protéger contre ceux qui ont la démangeaison de la nouveauté (2 Tim 4, 1-4). Le prophétisme des baptisés est en relation intime avec celui des Apôtres de trois façons: il donne le témoignage fondamental de la foi en proclamant ce que les Apôtres prêchent; il contribue à l’approfondissement de cette foi en faisant émerger du dépôt des aspects jusque-là restés implicites; il rappelle inlassablement les exigences morales à notre temps.

Comme sous la Première Alliance, la relation des deux prophétismes n’est pas toujours facile, la malice des hommes pouvant brouiller les choses. Un conservatisme purement répétitif veille à ce que le plus petit iota de la Loi nouvelle ne soit pas omis, un progressisme échevelé se lance dans des considérations coupées des racines vives de l’Évangile. Rappelons donc les éléments essentiels de cette juste relation:

1. Le prophétisme des évêques, successeurs des Apôtres, a pour mission fondamentale, au service de tout le prophétisme chrétien, de discerner et d’exprimer justement ce dont témoigne le prophétisme de tout le Peuple de Dieu. Ainsi, par exemple, le développement de l’intelligence de l’Écriture Sainte qui s’appelle la Tradition. On cite volontiers le cardinal Newman à ce sujet: «Ce n’est pas parce que le Pape l’a définie que les catholiques croient en l’Immaculée Conception, mais c’est parce que les catholiques y croient que le Pape l’a définie.» L’Esprit de Dieu illumine tous les baptisés pour cette pénétration plus profonde de la Révélation, et le prophétisme des Pasteurs insère ces développements dans ce qui est déjà connu: il y a progrès dans une continuité de fond; c’est toujours la même foi.

2. Le prophétisme baptismal est donc comme ce moteur, puissant et toujours actif, qui propulse la communauté chrétienne vers la vérité tout entière, et celle-ci apparaît tout au long de l’histoire sainte que nous vivons grâce au charisme propre de discernement des Pasteurs.

De nos jours, nous avons un urgent besoin de cette relation profonde et harmonieuse des deux prophétismes pour que le prophétisme plein et parfait du Christ soit manifesté à notre époque. Des questions nouvelles apparaissent: quel est le sens et la valeur des religions non-chrétiennes pour le salut de leurs membres? quelle est aujourd’hui l’urgence évangélique pour vivre droitement dans nos sociétés qui tendent vers le matérialisme le plus grossier?

Il ne servirait à rien d’accuser l’un ou l’autre prophétisme d’incapacité devant la lenteur des réponses que notre époque demande. C’est le déséquilibre de la relation entre ces deux prophétismes qui est toujours à la racine de nos infidélités et de nos lenteurs. Commençons donc à nous interroger sur la vivacité de notre prophétisme baptismal, sur notre capacité personnelle et communautaire à vivre clairement, publiquement, l’Évangile, sur notre promptitude à nous insérer dans la prédication des successeurs des Apôtres qui ne flatte pas notre désir d’entendre du nouveau mais qui nous insère dans une continuité vivante. C’est par elle qu’est guérie toute maladie, que sont chassés tous les démons et que le repentir en vue de la rémission des péchés peut être entendu par tous les hommes.