Homélie du 28 mars 2010 - Dimanche des Rameaux
fr. Emmanuel Perrier

Rentrer à Jérusalem juché sur un âne, quelle drôle d’idée ! Une bourrique, c’est têtu, ça brait, ça a le poil rêche, c’est petit, ça traîne; bref, ça n’est pas une monture pour un roi prenant possession de sa Ville. Où est le char d’apparat? Où sont les chevaux et les braves guerriers? Où est la démonstration du chef, du prince, qui installe dans le peuple la certitude de la paix, de la sécurité? Car une parade triomphale c’est fait pour cela : marquer les esprits de son pouvoir en montrant sa puissance. Asseoir son autorité. À cette aune, l’humilité du Christ sur son âne est belle et noble, mais elle ne mène nulle part. Ou plutôt : quatre jours plus tard la même foule entourera le Christ, serré de gardes, vêtu d’une tunique couvrant les morsures des fouets, couronné d’épines ; le même peuple le mènera à la mort. Vu de la croix, le dimanche des Rameaux semble être le grand raté où tout bascule: nous pensions qu’il serait roi, nous pensions que le Christ s’imposerait une fois pour toutes, et voici qu’il est emporté. Jésus n’a pas su s’imposer. Jésus n’a pas su faire que TOUS les yeux se tournent vers lui et le reconnaissent.

Et 20 siècles plus tard, nous en sommes encore là: le Christ qui s’avance humble et doux pour entrer dans la ville sainte, ça n’intéresse que les convaincus, ceux qui y croient déjà. Les autres, ils ont leur vie ailleurs. Ils sont comme perdus pour le Christ. Alors, nous voilà tout pensifs face à notre âne et à cette apparence de triomphe : aujourd’hui, le Christ marche sur des lauriers, demain la foule les piétinera. Le Seigneur est entré à Jérusalem, et Jérusalem ne va pas tarder à le chasser vers la croix du Golgotha. Et nous nous disons : c’est beau l’humilité, mais ça sert à quoi si le peuple ne se convertit pas? si les hommes ne se tournent pas vers Lui? Nous voilà face à notre âne. Qui nous regarde. Avec des yeux malicieux, du genre: «vous êtes de sacrées mules». Et un âne ne charge jamais une mule sans raison. Et le voici qui frémit légèrement des oreilles comme pour élever notre regard vers le Christ. Et oui, c’est vrai ça, pourquoi le Christ tenait-il à rentrer dans Jérusalem sur un âne ? Qu’est-ce qu’il tenait absolument à faire ce jour-là? Qu’est-ce qu’on voit donc de plus lorsqu’on est monté sur une bourrique? Je vous invite à vous représenter cela en pensée : vous êtes sur l’âne et vous vous avancez vers la porte de la Ville, entouré de la foule en liesse. Voyez-vous la différence? Il y a un instant nous étions avec les évangélistes au milieu de la foule, nous étions entraînés par elle, saisis par les chants et les Hosannas.

Il y a un instant nous nous laissions prendre à l’apparence du triomphe à cause du flot uniforme. Mais plus maintenant, parce que nous voyons ce que Jésus voyait : Des visages, des centaines, des milliers de visages différents, des milliers d’histoires différentes, de caractères différents, de dispositions et d’âges différents : il y a les enthousiastes, les curieux, les observateurs, les sceptiques, les critiques, les gardes préoccupés de maintenir l’ordre, les marchands qui continuent leurs affaires, les voleurs à la tire qui en profitent, les colporteurs de nouvelles qui ne retiennent que le sensationnel, les hypocrites qui en rajoutent, ceux qui pensent à leur repas de midi, à leur parure, à la réparation de la toiture, ceux qui préparent un bon coup et ceux qui préparent un mauvais coup. Et, derrière les murailles, il y a un brave forgeron affairé à façonner des clous, un brave soldat en train d’affuter sa lance, un jardinier qui hésite à brûler un paquet d’épines fraîchement coupées… et puis non, finalement, il attendra quelques jours, on ne sait jamais…

Sur son âne, Jésus avance lentement, il voit toute cette humanité, il voit TOUT de cette humanité, ses états, ses beautés et ses péchés. Cheminant sur son âne, Jésus voyait avec ses yeux de chair tout ce qu’il connaissait comme Dieu. Il associait en lui-même le visage de cette femme avec les secrets de son cœur, de cet homme avec les secrets de son cœur. Jésus était roi à son entrée dans Jérusalem parce que personne dans Jérusalem n’avait jamais été aussi proche de l’auteur et du gardien de sa vie. Personne, juste ou injuste, riche ou pauvre, jeune ou vieux. A ce moment, Jésus était vraiment le roi des juifs, les incluant tous à l’intérieur de sa volonté d’offrir sa vie en sacrifice pour le rachat de son peuple. Finalement, entre les Rameaux et la Croix, ce sont deux états de l’Église qui se succèdent : aujourd’hui, Jésus nous voit et nous connaît. Il absorbe toute l’humanité et toute notre humanité, il imbibe sa vie de notre mort, il nous prend tous tels que nous sommes. Aujourd’hui Jésus rentre dans Jérusalem, il fait entrer dans la douceur de son cœur l’humanité pécheresse. Voilà l’humilité de notre roi. Dans quelques jours, il sortira de Jérusalem et la lance viendra percer son côté. Alors jaillira la Jérusalem nouvelle, l’Épouse pure et sans tache. Jérusalem, voici ton sauveur et ton roi, celui qui règne en acceptant humblement de t’introduire dans la douceur de son cœur pour te purifier et te libérer.