Homélie du 18 décembre 2011 - 4e DA
fr. Arnaud Lamouille

Contempler Marie, c’est apprendre ce qui se passe dans ma vie puisque Dieu m’adresse aussi sa Parole. L’Annonciation faite à Marie, méditée, peut m’aider à reconnaître les miennes et à accueillir après elle la Parole de Dieu, le Verbe qui se fait chair, qui veut se faire chair.

Précisons d’abord deux manières de lire l’évangile. La première, mauvaise, est de croire qu’à une époque de l’Histoire, Dieu se manifestait comme il ne se manifeste plus: le merveilleux était quotidien, les songes rivalisaient avec les apparitions, les miracles et les guérisons se succédaient. Cette lecture comporte deux dangers. Si le religieux trouve dans le merveilleux son expression, je ne suis pas concerné; dans ma vie le merveilleux n’existe pas. Plus grave encore, si Dieu se met à la portée de mes sens, il ne s’adresse plus à ma foi. Je n’ai plus qu’à attendre une manifestation divine évidente au lieu de me laisser travailler par sa Parole. La bonne lecture est donc de penser que cette Bonne Nouvelle rejoint mon histoire et que l’évangéliste a traduit dans la culture de son temps une expérience commune à tous. Appliquons ce principe au récit de l’Annonciation, événement à travers lequel Marie a préparé sa personne à accueillir son sauveur, comme nous y sommes invités à l’approche de Noël.

Marie a-t-elle vu un ange? Rien ne l’indique. Luc écrit simplement à cette parole, elle fut toute troublée et elle se demandait ce que signifiait cette salutation. À travers cette salutation: Réjouis-toi, comblée de grâce, le Seigneur est avec toi, Marie a reçu un appel de Dieu, une vocation unique certes. L’iconographie a personnifié le message en faisant apparaître le messager. Elle ne nous rend pas service en lui donnant des ailes! Nous voilà à l’abri d’une telle apparition et nous risquons de conclure que Dieu ne nous envoie jamais d’appel. Dans le Nouveau Testament les anges n’ont ni ailes, ni plumes, mais un habit blanc, le costume de l’époque, de fête sans doute. Aujourd’hui ils porteraient une robe ou un jean; alors nous en avons rencontré des centaines!

Pour retrouver notre propre expérience il est plus sage de se demander comment Marie a-t-elle acquis la conviction que ce message ou messager venait de Dieu? Vous l’avez remarqué, elle n’a pas dit tout de suite: Je suis la servante du Seigneur…; elle a réfléchi et même, écrit Luc, elle fut toute troublée. Au fond elle a mis en question cette vocation extraordinaire. Face à la parole de Dieu, il y a deux attitudes stupides: soit, je n’y comprends rien; soit, cela ne m’étonne pas, je m’y attendais. Entre les deux la seule réaction raisonnable est celle de Marie: elle ne comprenait pas cette parole, mais elle gardait toutes ces choses, les méditant dans son cœur (cf. 2,50-51). Au fond, dans ce dialogue de Marie avec l’ange, Luc a décrit la démarche de la foi: accueil et réflexion, méditation et raisonnement, sens de Dieu et bon sens humain. Tout cela a demandé du temps, comme pour nous; le discernement de l’Esprit de Dieu ne se fait jamais sans le temps. Durant ce temps, en vraie fille de son peuple et sous la mouvance de l’Esprit Saint, Marie a consulté l’Écriture, elle en était pétrie. Son magnificat témoigne de la façon dont elle a vu sa vocation dans la ligne des pauvres de l’Ancien Testament, des fécondités spirituelles qui l’ont précédée.

Allons plus loin. Demandons-nous si le message annonçait l’événement ou si l’événement constituait le message. La première interprétation est fidèle à l’évangile qui sollicite un acquiescement, plus conforme aussi au respect que Dieu montre à ses créatures. Mais ce qui importe dans nos vies, ce ne sont pas tant nos choix que nos consentements. Notre liberté ne s’exerce pas tant dans le choix de telle vocation que dans l’acceptation, renouvelée chaque jour, d’un destin qui dépasse infiniment ce que nous avions pu en prévoir. Même de se trouver enceinte laissait Marie libre, comme chacun de nous, d’accepter dans la foi ou de subir dans la peur une destinée dont elle n’apprendrait qu’au fil des années jusqu’où elle allait l’entraîner: au pied de la croix!

On peut donc penser que Marie se découvrit un jour dans une situation inexplicable, qu’elle ne pouvait confier à personne. Les grâces de Dieu ont souvent la forme de pépins! Sa profonde union à Dieu, son sens de l’Écriture, sa réceptivité à la grâce lui suggérèrent la possibilité d’une explication religieuse annoncée par Isaïe: Voici la Vierge est enceinte, elle va enfanter un fils…(7,14); mais Marie avait trop de bon sens pour ne pas être profondément troublée par une aventure aussi extraordinaire et de ressentir toutes les inquiétudes qui seraient aussi les nôtres.

Elle pria, elle lut, relut l’Écriture, elle se répéta toutes ces choses dans son cœur. Peu à peu sa vie s’éclaira à la lumière de la Parole de Dieu, comme la Parole de Dieu s’éclaira à la lumière de sa vie. Elle revécut les angoisses des pauvres, des stériles comme Sara, Rachel ou Anne, des êtres comme Abraham ou Job abandonnés en apparence par Dieu en qui ils avaient mis leur confiance, des innocents accusés comme Joseph le Patriarche. Elle admira leur patience, leur fidélité à ce Dieu qui pouvait les justifier et les laisser souffrir. Elle mit son espérance dans leur justification finale et surtout dans cette fidélité de Dieu qui dépasse toujours la nôtre.

C’est alors qu’elle apprit que sa cousine Élisabeth, elle aussi, avait sa vie bouleversée par une incroyable grossesse qui la tenait cachée depuis des mois. Il y avait là un signe, une confirmation possible. Et Marie se hâta vers elle, n’en pouvant plus de détenir seule son secret. Ces deux femmes se sont comprises; elles se confièrent leurs épreuves, leurs réflexions, leurs prières, leurs espérances. Et Élisabeth a réconforté Marie: Oui, tu as eu raison de croire. Oui, c’est bien du Seigneur ce qui t’est arrivé. Il te demande plus qu’à aucune autre, mais il donne à proportion de ce qu’il exige. Avec lui, toute souffrance se change en joie, toute épreuve tourne en grâce. Le tressaillement de joie de mon enfant prédit quelle joie sera la tienne.

Alors, alors seulement, Marie a chanté son action de grâces, son magnificat expression de son acquiescement. Elle ne l’a pas fait dès l’Annonciation, elle était trop bouleversée et inquiète. Il a jailli de son cœur après la Visitation. Le vrai messager qu’elle a rencontré, c’est sa cousine Élisabeth qui avait souffert comme elle et qui l’a encouragée dans sa foi.

Frères et Sœurs, nous chanterons notre magnificat avec Marie, expression de l’accueil que nous voulons réserver au Seigneur en ce temps de Noël, si nous reconnaissons à la lumière de son Annonciation combien les exigences de Dieu, ressenties parfois comme des tourments, ne sont en réalité que des grâces.