Homélie du 25 mars 2012 - 5e DC
fr. François Daguet

Nous percevons bien, nous sentons bien qu’avec cet évangile nous atteignons un point ultime dans la vie publique de Jésus et dans sa révélation. Ultime parce qu’après ce dernier acte de la résurrection de Lazare, les chefs des prêtres décident de faire périr Jésus: c’est la semaine de la Pâque qui suit immédiatement dans l’Évangile, comme elle va suivre pour nous. Évangile ultime aussi parce qu’il traite la question la plus profonde qui puisse habiter le cœur de l’homme: celle de la mort. C’est la confrontation la plus directe, la plus intime aussi de Jésus avec la mort de l’homme, c’est le moment où la grande objection de la mort est posée face à Jésus.

Il est clair pour chacun que, derrière la mort de Lazare, c’est la mort de toute personne, aimée ou inconnue, qu’il faut voir, derrière la parole de Marthe et de Marie: «Seigneur, si tu avais été ici, mon frère ne serait pas mort», c’est la question que tout homme adresse à Dieu face à la mort: «Seigneur, si tu es le Dieu de la vie, pourquoi cela?» Cette question, le vingtième siècle l’a criée comme jamais auparavant. Certains ont voulu y répondre en invoquant le silence de Dieu, son impuissance, son absence, ou encore l’abandon de l’homme par Dieu. Ne méprisons pas ces cris qui viennent du fond de l’homme et du fond des temps, mais voyons plutôt comment Jésus y répond. Il répond autant par son silence que par ses paroles et ses actes.

Le silence, d’abord. Il faut bien reconnaître que l’attitude de Jésus est déconcertante. L’évangéliste nous rappelle que Jésus «aimait Marthe et sa sœur, et Lazare», on va voir Jésus troublé, frémir, bouleversé en lui-même, on va le voir pleurer: tout ceci nous montre qu’il n’est pas impassible, étranger au malheur de l’homme, insensible face à la mort. Et cependant, délibérément, Jésus ne se rend pas au chevet de son ami mourant. Et il prononce cette parole déroutante: «cette maladie ne conduit pas à la mort, elle est pour la gloire de Dieu, c’est par elle que le Fils de Dieu doit être glorifié». Qu’est-ce à dire? La résurrection que Jésus va opérer est-elle destinée à lui apporter quelque surcroît de gloire? Non pas. Comme le dira saint Irénée: «la gloire de Dieu, c’est l’homme vivant», c’est-à-dire que le Christ est glorifié lorsque la vie, celle qu’Il apporte, triomphe en l’homme de la mort. La gloire de Dieu, pour le Christ, c’est que l’homme passe de la mort à la vie, de la mort du péché à la vie avec Dieu. Le retour de Lazare à la vie, la résurrection de son corps, va être le signe de la résurrection que le Christ apporte en tirant l’homme de la mort du péché, autrement dit d’une vie coupée de Dieu.

Jésus répond aussi par ses paroles, et notamment par le dialogue étonnant qu’il a avec Marthe. Lorsqu’Il la rencontre, elle est toute à sa douleur: «Seigneur, si tu avais été là, mon frère ne serait pas mort», mais sa foi est aussi présente: «mais je sais que tout ce que tu demanderas à Dieu, Dieu te l’accordera». Jésus, loin de la contredire, confirme en quelque sorte sa foi: «ton frère ressuscitera». Et Marthe précise: «je sais qu’il ressuscitera au dernier jour». C’est là, au bout de sa foi, que Jésus l’amène, pour lui faire faire un saut: «Moi, je suis la résurrection et la vie. Qui croit en moi, même s’il meurt vivra, quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais». Et il la sollicite: «crois-tu cela?» Et c’est alors qu’elle répond: «Oui Seigneur, je crois que tu es le Christ, le Fils de Dieu qui vient dans le monde.» Jésus conduit Marthe – et à travers elle chacun de nous – à reconnaître et à confesser qu’Il est, ici et maintenant, la vie qui vient dans le monde, en nous, au cœur de notre mort, la vie que rien, qu’aucune mort, même la mort naturelle, ne peut atteindre. C’est là le véritable sommet de cet évangile. Il a fallu l’acte de foi, de foi parfaite, de Marthe, pour que Jésus ressuscite Lazare, afin que nous aussi nous croyions. Le don que Jésus nous fait de la vie qui ne passe pas, le don de sa vie, n’appelle de notre part qu’une unique réponse: l’adhésion entière de notre foi.

Enfin, Jésus ne se contente pas d’instruire, il répond par ses propres actes. Il ne lui suffit pas d’affirmer la victoire de sa vie sur la mort, il l’opère. La mort de Lazare n’est pas une simple occasion que choisit Jésus pour opérer ses prodiges. La mort est la pire des épreuves que nous puissions connaître, elle est également, selon notre foi, l’aboutissement de ce péché des origines qui a séparé l’homme de Dieu: «par un seul, dit saint Paul, le péché est entré dans le monde, et par le péché, la mort». Jésus veut manifester la puissance de sa vie au cœur même de la dernière conséquence du péché: la mort. En criant d’une voie forte: «Lazare, sors», il dompte la mort en se la soumettant. Ce cri de Jésus à Béthanie annonce celui du Golgotha: «Père, entre tes mains, je remets mon esprit.» Jésus ne se contente pas de triompher de la mort en Lazare, il en est vainqueur en lui-même. C’est jusqu’au bout que le Christ s’est fait l’un de nous, c’est en prenant sur lui notre mort qu’il veut en triompher désormais en nous.

A chacun de nous qu’il instruit aujourd’hui Jésus demande, comme jadis à Marthe de Béthanie: «crois-tu cela?», et il espère qu’à notre tour nous le reconnaissions: «oui, je crois que tu es le Christ, le Fils de Dieu qui vient dans le monde»