Homélie du 24 février 2013 - 2e DC
fr. François Le Hégaret

Encore quarante jours environ, et nous arriverons à la fin du Carême. Si nous pouvons déjà, au bout de dix jours, trouver le temps long avant Pâques, imaginez les apôtres sur cette route conduisant Jésus jusqu’à Jérusalem, son «exode» tel que le rapporte saint Luc dans l’Évangile. Pour eux, le soir de Pâques a dû vraiment être la «happy end» de la Passion. La Transfiguration apparaît alors comme la bande-annonce du dernier épisode de la vie de Jésus, dévoilant – sans trop en dire – ce qui va arriver ensuite. Et comme toute bande-annonce, le réalisateur, Jésus lui-même, n’a pas ménagé les effets spéciaux: jeux de lumière, clarté quasi aveuglante, nuée, voix tonitruante? Voilà un épisode qui va encourager les disciples à aller jusqu’au bout de l’aventure, leur permettant de continuer la route en sachant que ça ira mieux après. En attendant, il leur faudra patienter et passer par les épreuves. On peut comprendre l’épisode ainsi, c’est vrai. Mais le parallèle avec l’Exode, tel qu’il est noté par saint Luc, nous permet d’aller plus loin. Retournons donc au passage du peuple d’Égypte vers la Terre promise.

Il y a deux lectures de l’épisode: le premier nous et donné dans les livres de l’Exode et des Nombres, et le second dans le Deutéronome. Dans l’Exode et des Nombres, le désert nous est d’abord rapporté comme un lieu de souffrance, d’épreuves, de manifestation du péché. Le peuple récriminait constamment contre Dieu: il avait soif, il avait faim, il en avait marre de la manne et par-dessus tout, il va refuser d’entrer dans la Terre promise. Alors le Seigneur dit: «Tous ces hommes qui m’ont déjà dix fois mis à l’épreuve sans obéir à ma voix, ne verront pas le pays que j’ai promis par serment à leurs pères. Aucun de ceux qui me méprisent ne le verra» (Nb 14, 22).

Que cela soit pour le peuple dans le désert, pour les disciples lors de la passion, pour nous-mêmes dans les épreuves de cette vie, Dieu nous apparaît, dans ces moments-là, bien lointain, bien absent. Dans le désert, le peuple n’a pas accès auprès de Dieu. Il ne peut même pas s’approcher de la montagne du Sinaï. «Gardez-vous de gravir la montagne et même d’en toucher le bord. Quiconque touchera la montagne sera mis à mort. Homme ou bête, il ne vivra pas» (Ex 19, 12). La seule chose à faire ici est de patienter, de prendre son mal en patience. L’entrée du peuple d’Israël dans la Terre promise sera l’accomplissement heureux de sa marche. La résurrection sera la fin de la passion. Que Dieu manifeste sa gloire de temps en temps pour que nous tenions, mais la délivrance ne sera qu’à la fin. Une fois arrivée, comme le peuple avec Josué, on pourra oublier la marche. Une fois la Résurrection du Christ passée, nous pourrons oublier le Carême.

Passons au livre du Deutéronome;il a une tout autre vision du séjour d’Israël dans le désert. Ici, plus de manifestation terrible de la gloire du Seigneur. Plus de récits de révolte, de morts, mais le témoignage que la protection de Dieu se réalise à chaque instant. Le Seigneur déclare même aux Hébreux: «Au cours de ces quarante ans, le vêtement que tu portais ne s’est pas usé et ton pied n’a pas enflé» (Dt 8, 4). Le désert apparaît alors comme le temps particulier de la proximité avec Dieu: «Quelle est en effet la grande nation dont les dieux se fassent aussi proches que le Seigneur notre Dieu l’est pour nous chaque fois que nous l’invoquons?» (Dt 4, 7). Le Seigneur ne demande plus la crainte d’abord, mais l’amour: «Écoute, Israël: Le Seigneur notre Dieu est le seul Seigneur. Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de tout ton pouvoir» (Dt 6, 4-5). Le désert est ici le lieu où Israël a toujours vécu en communion avec Dieu. C’est un lieu de grâce, où Israël ne se fatiguait pas, Dieu le gardait au jour le jour, c’est le lieu privilégié de l’amitié du peuple avec Dieu. Ici est manifesté que Dieu n’est pas au bout du chemin, que la gloire n’est pas pour demain seulement, mais elle est déjà présente aujourd’hui.

La Transfiguration n’est donc pas qu’une simple annonce, elle manifeste non seulement la fin, mais la gloire actuelle du Christ. Cet épisode manifeste qu’il a déjà triomphé, il vit déjà de la gloire; ce qui se manifestera pleinement à la résurrection est déjà possédé. Pour nous, la Transfiguration manifeste que Dieu s’est uni à l’homme, que la gloire de Dieu rayonne dès à présent en nous (même si cela n’est pas encore pleinement manifesté). Le carême est un temps de grâce, un temps pour retourner vers Dieu, donc non seulement pour voir et combattre ses péchés, mais vivre l’amitié avec Dieu. Le carême n’est pas une simple période où nous essayons de nous convertir pour trouver Dieu. La grâce de Dieu est déjà là: la gloire du Christ, visible à la Transfiguration, nous est déjà donnée en partage. Malgré notre péché, la grâce de Dieu nous accompagne. Le Samedi Saint, on pourra alors dire comme les Hébreux: le Seigneur a toujours été avec nous.