Homélie du 16 février 2014 - 6e DO
fr. Jean-Michel Maldamé

Quand j’étais enfant, dans les bandes dessinées se rapportant aux aventures des cow-boys, il y avait des « hors la loi » que le justicier avait pour mission de mettre hors de nuire. « Hors la Loi », titre d’infamie donc pour la « Bonne Presse ». Lorsque Jésus scande ses propos de la formule : « Il a été dit aux Anciens, moi je vous dis », s’est-il mis « hors la loi » ? De fait, Jésus ose dire à des Juifs que la loi de Moïse est caduque. Ses adversaires lui en voudront à mort. Beaucoup aujourd’hui entendent le propos de Jésus comme l’appel à effacer toute loi, comme on le voit dans utopies fondatrices de notre postmodernité où l’on parle de « nouveau monde », de « nouvelle société » ou dans les mouvements charismatiques et religieux « new age ».

La lecture du texte montre pourtant que Jésus ne se met pas « hors la loi ». Tout au contraire, il radicalise la Loi de Moïse. En effet, là où la Loi juive condamnait une faute grave, Jésus reporte la rigueur non seulement sur la faute commise, mais sur l’idée ou l’imagination préalable. La loi de Jésus serait non seulement plus sévère que la Loi de Moïse : elle serait plus cruelle. Lui désobéir entrainerait non seulement une punition, mais la souffrance éternelle dans les enfers. Là où la Loi considère des actions, Jésus va jusqu’à l’intime. Cette radicalisation conduit nombre de nos contemporains, en premier lieu les philosophes athées et la vulgarisation des travaux des psychologues, à penser que le christianisme est une morale culpabilisante et une exploitation de la conscience malheureuse ; ils le rejettent.

Ces deux interprétations reposent sur la même erreur. Elles entendent le mot « loi » comme ce qui demande une obéissance aveugle. Cette obéissance serait d’autant plus aveugle qu’elle est donnée par Dieu. La Loi viendrait alors par le chemin de l’arbitraire cautionné par la toute-puissance divine. Le contresens est ici radical, car c’est exactement le contraire qui est dit par Jésus.

La Loi de Moïse, parce que judiciaire, s’attache aux actes et au comportement extérieur. Elle est objective, dans le but de promouvoir une vie sociale ou religieuse apaisée. Or le propos de Jésus n’est pas seulement de garantir le bien de la société ou de la religion ; Jésus veut faire advenir le Règne de Dieu ; il veut que naisse un peuple d’enfants de Dieu. Pour cela, il va à la racine ; il va au cœur.

Quand la morale condamne le meurtre, Jésus demande que tout mouvement de colère soit exclu ; il déclare la parole injurieuse plus grave encore, parce qu’elle fausse le regard que l’on porte sur autrui. Ce faisant il invite ses auditeurs à scruter le fond de leur cœur. Quand la morale interdit l’adultère, Jésus demande que disparaissent les regards de convoitise et les fantasmes de possession sexuelle. Telle est la nouveauté du propos de Jésus. Il invite à changer le cœur et, par cette action à la source, le comportement lui-même. Il nous invite à une exigence de clarification et de vigilance en commençant par nos fantasmes, nos pensées et nos paroles.

Cette demande serait-elle excessive ? Elle le serait, si nous l’entendions seulement dans les catégories de la morale. Or Jésus fait davantage. Il est celui qui donne part à son esprit ; cet esprit est l’intime de la vie de Dieu, c’est l’Esprit Saint. Cet Esprit nous est donné, sans réserve et sans préalable. Il fait de nous des vivants pour la vie éternelle.

La question se pose alors : pourquoi le propos de Jésus est-il à l’impératif ? La réponse est simple : le propos de Jésus n’est pas une considération théorique ; il est pratique ; il dit ce qui est à faire. Pour cette raison Jésus se tient au carrefour, au lieu de nos incertitudes et de nos contradictions. Là sa parole précise et exigeante ouvre la route. Or dès que l’on commence à y marcher on éprouve la vérité du propos et nous naissons à la joie. Quand notre parole est sans violence, quand notre regard est sans désir de possession, quand notre prière est en accord avec notre vie de relation… alors nous expérimentons le bonheur de la fraternité vraie et l’épanouissement de la liberté. Il n’y a plus de loi dominatrice ; il n’y a plus à obéir aveuglément sans comprendre ; il n’y a ni crainte, ni culpabilité. Tel est l’accomplissement de la Loi ; elle s’efface dans la Présence qui fait que tout est liberté et que tout est lumière et transparence.

La vérification de cette clarté est dans le fait qu’il n’est plus besoin de jurer, de prendre Dieu à témoin. La parole humaine est claire. Quand elle dit « oui », c’est vraiment oui. Quand elle dit « non », c’est vraiment non. La défiance et la peur s’en sont allées. Il y a la joie de la confiance et un grand souffle de fraternité. Le Règne de Dieu est là. Tout est simple, d’une simplicité qui atteste la simplicité du Dieu qui nous aime.