Homélie du 14 mai 2015 - Ascension
fr. François Daguet

Reconnaissons le humblement : qui d’entre nous ne s’est pas dit, au moins une fois : « Ah ! si le Christ était présent parmi nous, comme tout serait plus facile ». Il faut bien reconnaître qu’il nous malmène un peu. Le propre du christianisme, après le judaïsme, n’est-il pas d’être la religion de Dieu qui demeure au milieu des siens, de l’Emmanuel ? Et voilà qu’il quitte cette terre, laissant les apôtres, et nous après eux, privés de sa présence physique. La conduite de Dieu à notre égard est bien étonnante, et il n’est pas choquant de le dire. Nous n’avons qu’à reprendre le psaume 42 qui exprime si bien notre exil, notre privation : « Je n’ai de pain que mes larmes, la nuit, le jour, moi qui tout le jour entends dire : Où est-il ton Dieu ? ». Oui, nous sommes comme la biche qui languit après l’eau vive : « ainsi languit mon âme vers toi, mon Dieu ».

Eh bien, lorsque la conduite de Dieu nous déroute, il faut redoubler d’attention et le suivre de plus près. Que dit Jésus à ses apôtres en les quittant ? Il leur dit trois choses, si l’on joint les différents récits offerts par l’Écriture. Premièrement : « vous allez recevoir une force, celle du Saint-Esprit, qui viendra sur vous » (Ac 1,8). Il l’avait déjà annoncé lors de la Cène : « il vaut mieux que je parte, car si je ne pars pas, le Paraclet ne viendra pas vers vous, mais si je pars, je vous l’enverrai » (Jn 15,7). L’Esprit envoyé par Jésus d’auprès du Père nous conduit vers la vérité tout entière et nous fait participer au bien du Père. Et cela est bien plus que la présence physique de Jésus lui-même. L’envoi de l’Esprit Paraclet nous fait entrer dans la plénitude de la vie, celle qui n’a pas de fin. Il fait de nous des citoyens du Ciel : « votre citoyenneté se trouve dans les Cieux » (Ph 3,20).

Deuxièmement, il leur annonce qu’il va siéger à la droite du Père : « tout pouvoir m’a été donné au ciel et sur la terre » (Mt 28,18). On ne prête pas suffisamment attention à cet article du Credo : « il est monté aux cieux, il est assis à la droite de Dieu le Père tout puissant, d’où il viendra juger les vivants et les morts ». Les Apôtres espéraient encore une royauté temporelle : « Seigneur, est-ce maintenant que tu vas restaurer la royauté en Israël ? » (Ac 1, 6). Il leur annonce beaucoup mieux que ces horizons très humains : qu’il siège à la droite du Père signifie qu’il inaugure « le règne du Messie » (CEC 663), que nous entrons dans la seigneurie du Christ, dans son règne. C’est l’accomplissement de ce qui était annoncé dans le chant de David : « Le Seigneur a dit : Siège à ma droite, tes ennemis, j’en ferai ton marchepied » (Ps 111,1). Le voilà, le Royaume qu’il vient instaurer, et c’est nous qui en vivons. Car le corps du Christ ici-bas, ce n’est plus son corps physique, c’est son corps ecclésial, que nous formons si nous vivons de sa royauté, et dont il est la tête, lui Jésus , glorifié, siégeant à la droite du Père. Nous avons le Christ glorifié pour souverain.

Troisièmement, il les envoie en mission : « Allez, de toutes les nations faîtes des disciples » (Mt 28,18). « Allez dans le monde entier, proclamez la Bonne nouvelle à toute la création » (Mc 16,15). Aujourd’hui, Jésus nous envoie en mission, pour annoncer aux hommes la Bonne nouvelle de son Règne, « celui qui n’aura pas de fin ». C’est nous qui avons vocation à faire connaître le Christ au monde, de génération en génération, jusqu’à ce qu’il revienne, comme il s’en est allé.

Alors, cessons de nous lamenter, à regarder vers le Ciel. Aujourd’hui, c’est nous que les deux anges interpellent : « Galiléens, pourquoi restez-vous là à regarder le Ciel ? » Cessons de nous lamenter parce qu’il n’est plus là en son corps physique, historique. Jusqu’au bout, les Apôtres n’ont pas compris qui était Jésus, ce qu’il venait instaurer. Même en le voyant en cette dernière apparition, « certains eurent des doutes » (Mt 28,17). A l’Ascension, ils commencent tout juste à comprendre que c’est en ce monde-ci que tout se passe, que c’est ici-bas qu’il faut édifier le royaume de Dieu.

L’Ascension n’est pas un abandon du monde par Jésus-Christ. Tout au contraire, c’est une intensification de sa présence par l’Esprit qu’il envoie, par l’exercice de sa seigneurie. Son règne s’étend, se propage, envahit le monde : c’est nous qui en sommes les témoins, et c’est nous qui en sommes les acteurs.