Homélie du 15 avril 2001 - Jour de Pâques

Allez dire ce que vous croyez

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Frères et sœurs, la traduction du dernier verset de l’évangile que nous venons de lire est litigieuse parce que difficile à comprendre: «les disciples n’avaient pas vu que, d’après l’Écriture, Jésus devait ressusciter d’entre les morts»; bien des commentateurs préfèrent: «les disciples n’avaient pas compris que, d’après l’Écriture, Jésus devait ressusciter d’entre les morts». S’il est vrai que le verbe employé autorise les deux traductions, ce même verbe est employé dans le verset précédent, à propos de l’autre disciple, qui «vit et crut»: ici, nul tergiversation car chacun pense qu’en pénétrant dans le tombeau, ce disciple a bien vu quelque chose qui a suscité sa foi; s’il est logique de garder la même traduction du verbe pour notre dernier verset, on s’étonne: peut-on voir la résurrection d’après l’Écriture? Et si c’était précisément ce que voulait dire l’évangéliste Jean? Qu’en est-il de ce voir?

Revenons à l’autre disciple, que la tradition assimile à Jean lui-même et posons-nous la question de ce qu’il a vraiment vu. En vérité, pas grand chose: un linceul roulé, un tombeau vide? Il n’a pas vu ce qu’il pensait voir, un corps embaumé. Mais pour lui, cette absence signifie une présence: celui qui n’est plus dans le tombeau est ressuscité. Une telle conclusion ne s’impose aucunement: l’évangéliste Matthieu nous rapporte que les chefs juifs, n’y voyons pas nécessairement avec lui volonté de nuire, interprétaient cette absence par le vol du corps; et dans notre évangile, Pierre, qui pénètre avant Jean dans le tombeau, voit ce que verra Jean, mais lui apparemment n’en conçoit rien, sinon, dira saint Luc, une certaine perplexité? Si Jean a «vu et cru», ce n’est certainement pas, ou pas seulement, à cause de ce qu’il a vu, mais d’une parole de Jésus dont il a pu se souvenir et qui lui a donné une clef d’interprétation. En définitive, Jean n’en a pas cru ses yeux, mais la parole de Jésus telle qu’il l’avait entendue.

Le fait à dire vrai est très banal, même si nous entendons souvent le contraire, au travers de réflexions du type: «c’est vrai, je l’ai vu à la télé»; mais ce que nous avons vu, un malfaiteur menotté, un combat acharné, ne dit rien, car ce pourrait aussi bien être un film ou un gag, à moins d’être interprété par la parole d’un journaliste ou d’un témoin. Le «voir» pose question, mais ne donne pas de réponses. On peut donc dire en définitive que c’est la parole que l’on croit qui fait voir, et non pas la chose que l’on voit qui fait croire. L’évangéliste Jean a donc bien raison de dire, en parlant des autres disciples, les disciples d’hier comme aussi ceux d’aujourd’hui, que c’est l’Écriture qui permet de voir les choses de la foi, et tout spécialement la résurrection. Et elle le fait de deux manières, en amont et en aval comme le rapporte l’évangéliste Jean dans la phrase que j’évoquais: en amont en rapportant les diverses paroles de Jésus qui conduisent à lire dans l’absence du tombeau sa résurrection; en aval, en permettant d’interpréter les événements du monde à partir d’elle.

En parlant des disciples, dans les Actes des Apôtres, Luc les présente comme des témoins: ils ne sont pas d’abord témoins de ce qu’ils ont vu, mais de ce qu’ils ont entendu. Leur témoignage, notre témoignage, ne consiste pas à faire voir ce que l’œil ne verra jamais, un ressuscité, mais à faire entendre une parole comme Pierre s’y emploiera d’ailleurs aussitôt dans les Actes: cette parole, c’est d’une part celle qui proclame la résurrection de Jésus, d’autre part celle qui discerne les traces de cette résurrection dans notre monde, chez celui qui garde l’espérance malgré toutes les difficultés et les morts rencontrées, chez celui qui donne sa vie par amour de ses frères, chez celui qui partage son nécessaire et non pas son superflu, à chaque fois en somme que triomphe la vie sur la mort.

Hommes de Galilée et vous tous gens de Toulouse, ne scrutez plus la nuit. Le ressuscité vous précède en toutes vos Galilée, il est en avant de vous; allez témoigner de ce que vous croyez, à savoir que le Christ est ressuscité et a rendu au monde son espérance: le monde n’est plus fermé sur lui-même, la vie a enduré la mort, mais la mort rendu la vie.