Homélie du 24 décembre 2016 - Sainte Nuit de Noël

Au-delà des apparences…

par

fr. Olivier de Saint Martin

Alors que le recensement de César Auguste battait son plein, les grands de la terre cherchaient des animaux dignes de leur rang. On leur en amena donc plusieurs. César, Hérode et Pharaon choisirent des chevaux majestueux et vifs pour parader. Les marchands prirent les chameaux pour porter leurs richesses en ville. Les chefs des armées jetèrent leur dévolu sur les invincibles éléphants. Quant à l’âne, personne n’en voulut  : il était malingre et ridicule avec ses oreilles et sa voix. Pire, à ce qu’on disait, il était même entêté et bête, incapable de choisir, et impur selon la loi. C’est pour cela que « âne » était devenu une insulte ! Quel roi voudrait d’une telle monture ? On renvoya donc l’âne à son travail. C’est souvent ainsi que cela se passe dans le monde quand on ne regarde qu’à l’apparence.

C’est alors que Joseph passa avec Marie. Ils ne payaient pas de mine et demandaient de l’aide. Le propriétaire de l’âne trouva que celui-ci leur correspondrait tout à fait. Il leur vendit donc Christophe – car c’était son nom (Christophe  : porte-Christ). Et c’est vrai qu’ils allaient bien ensemble tous les trois, surtout si on allait au-delà des apparences. Joseph et Marie n’étaient pas le couple qu’on croyait. Ils connaissaient les Écritures et savaient que l’âne avait été racheté par le sang d’un agneau (cf. Ex 13, 13). Qu’une de ses aïeules avait préféré obéir à Dieu plutôt qu’à Balaam (cf. Nb 22, 22-35)… Qu’il porte celui qu’on appellerait Christ ou Agneau de Dieu, c’était tout à fait logique ! Et, à la crèche, le voilà qui regardait intensément la mangeoire, semblant donner raison à Isaïe le prophète… (cf. Is 1, 3).

Ce que scrutait Christophe l’âne, c’était un petit bébé. Déjà, il avait transformé Marie et Joseph en père et en mère. C’était un vrai bouleversement. Cet enfant menu et fragile était, à ce que disaient Marie et Joseph, le signe que Dieu envoyait à l’homme pour lui dire son Amour. En lui, Dieu le Très-Haut se faisait le Très-Bas. Le Tout-Autre se faisait le tout-proche, au point d’être l’un de nous. Il cultivait les paradoxes pour établir son règne de paix. Christophe regardait l’enfant en pensant au prophète Isaïe. Il était le Verbe de Dieu, le « Conseiller merveilleux », mais il ne parlait pas. Il était « Dieu-Fort », le tout-Puissant, dans la fragilité d’un nouveau-né. Il est « Père-à-jamais » mais venait de naître. Quel mystère ! C’était comme si Dieu demandait qu’on ne s’arrête pas à l’apparence, même quand on parle de lui…

Christophe regarda alors la mangeoire, qui servait de lit à Jésus. Elle semblait offrir l’Enfant comme une mangeoire offre la nourriture. Il était dans une mangeoire, ici à Bethléem, pour dire qu’il s’offrait, que toute sa vie était déjà donnée. Drôle d’idée ? Pas tant que cela. L’enfant n’était-il pas le Verbe de Dieu ? Christophe se rappelait que la Parole de Dieu est une vraie nourriture, une lumière sur la route de la vie. Plus tard, cet Enfant devenu grand, transformant deux autres signes, le pain et le vin, dirait  : « Ceci est mon corps, ceci est mon sang. Prenez, mangez et buvez. » Il se faisait nourriture – à travers sa Parole, son corps et son sang – pour que l’homme soit transformé en lui et devienne à son tour un signe pour ses semblables. Enfin, cette mangeoire ouverte, annonçait que sa mort ne serait pas le dernier mot, mais qu’un jour son tombeau serait ouvert et vide. Parce qu’un jour, ayant vaincu la mort, l’Enfant de la crèche ressuscité des morts, introduirait les hommes dans la vie éternelle, leur donnant de pouvoir devenir enfant de Dieu. Christophe comprendrait tout cela lorsque son petit-fils lui raconterait les Rameaux, la Semaine sainte et la Résurrection. Mais pour l’heure, il gravait ces moments dans sa mémoire.

Et Christophe l’âne, se demandait  : « Qui saura lire le signe de cette nuit et y voir la semence d’un monde nouveau ? » C’est alors qu’il vit les bergers. Ils savaient encore faire la différence entre les étoiles du vrai ciel et les lumières de la ville, entre le vrai bonheur proposé par Dieu et le mirage du bonheur. Il y avait Joseph qui avait accepté que sa vie soit bousculée par Dieu. Il avait bien eu peur un moment, mais il avait tout remis à Dieu. Et puis il y avait Marie qui soignait son nouveau-né, l’entourant de soins et de tendresse comme on le fait avec ceux qui sont plus fragiles ou souffrants. Tous ils regardaient cet enfant comme le Sauveur et le Seigneur. Tous avaient répondu, sans retard, à l’appel de Dieu. Et Christophe leva les yeux. Et il nous vit, nous tous, ici rassemblés. Il nous vit, plus ou moins forts dans notre foi. Il nous vit, joyeux ou au contraire traversant des épreuves. Il nous vit, plus nombreux que les autres jours de fête, ici rassemblés, sentant que Dieu voulait faire du neuf et venant y puiser l’espérance. Et il se dit  : le miracle de Noël continue. À tous je souhaite d’apprendre à lire les signes, à voir ce qui est invisible aux yeux mais qui est le mystère du cœur de Dieu. Oui, je leur souhaite un joyeux Noël et d’en vivre chaque jour !