Homélie du 16 février 1997 - 1er DC

 » Au désert, je parlerai à ton cœur « 

par

fr. Rémy Bergeret

Comme à son habitude, l’Évangéliste Marc est avare de détails et reste très sobre pour nous relater un événement: c’est bien le cas aujourd’hui pour évoquer la tentation de Jésus au Désert. Or il s’agit d’un épisode majeur de la vie du Christ, au seuil de son ministère public, en préparation à ses premiers enseignements. Personne n’a été témoin de cette expérience décisive et pourtant Jésus a dû en parler à quelques intimes. Quelle signification a donc ce Désert? Quelles leçons en tirer pour nous au début de ce Carême?

Revenons d’abord au sens premier du mot désert: en hébreu comme en grec mi-dabar/é-rèmos signifie littéralement un lien sans parole, où il n’y a pas de parole (humaine, s’entend) et c’est bien l’image qui nous vient spontanément à l’esprit si nous avons fréquenté un désert, qu’il soit de sable au Sahara ou de forêts sauvages en Grande Chartreuse. Dans ces lieux, pas de bruits liés à l’activité humaine; là règne non pas le vide, mais un certain silence qui va rendre possible une autre écoute, qui va surtout permettre à Dieu de se communiquer, à sa parole de résonner au plus profond du cœur de l’homme.

A côté de ces déserts bien naturels, physiques, nos vies sont peuplées – nous le savons – d’autres déserts: ceux de nos relations sociales déficientes, les déserts de nos solitudes. Comment affronter cette solitude qui n’est pas un but en soi, que l’homme n’a pas à rechercher car  » il n’est pas bon que l’homme soit seul  » nous dit la Genèse? Cette solitude incontournable que l’homme expérimente à certains moments de sa vie, se révèle finalement une chance et pour tout dire, une grâce en tant qu’épreuve de vérité, étape de croissance intérieure et de maturation dans l’existence.

Seul avec lui-même, seul avec Dieu, l’homme est alors capable de faire retour, de réfléchir, de se convertir: appelez cela une révision de vie, un examen de conscience, peu importe. Pour nous stimuler dans cette démarche à la fois austère, nécessaire et vitale, il est important que le Christ ait vécu quelque chose de semblable. Poussé au désert par l’Esprit après son Baptême, le Christ n’avait pas besoin de se convertir. Mais seul avec lui-même, seul avec le Père, il découvre en profondeur, à travers l’épreuve de la tentation par Satan, qui il est vraiment, ainsi que sa mission. Et deux signes l’attestent: Il vivait parmi les bêtes sauvages, c’est-à-dire que s’opère comme un retour aux origines, avant même la création de l’homme, dans une nature à l’état brut, non marquée encore par le mal et la violence. Dans ce monde-là, où il y a en outre des créatures spirituelles, les anges le servent, c’est-à-dire que le Christ exerce son autorité, sa souveraineté sur l’ensemble du créé. Oui, en vérité au Désert, le Christ est initié complètement à sa divinité. Il peut ensuite proclamer à haute et intelligible voix l’appel à la conversion et à la foi: le règne de Dieu est tout proche, il advient en sa Personne.

En ce sens, et si le Carême était pour nous le temps favorable, l’occasion inespérée de re-découvrir notre vocation baptismale, à savoir devenir saint et au delà devenir Dieu? Les moyens essentiels nous ont été indiqués mercredi dernier: l’aumône, la prière et le jeûne. Mais l’enjeu, la finalité du Carême – ne l’oublions pas – c’est de changer d’esprit, de mentalité, de  » mental  » (comme disent les jeunes) pour s’attacher plus fermement au Christ. Alors, laissons l’Esprit du Christ changer nos cœurs de pierre en cœur de chair; efforçons-nous d’imiter le Christ au plus près. Pour effectuer ce retournement, il faut se retrouver dans la douceur et l’humilité soi-même: à nous de discerner le Désert adéquat, le lieu approprié où Dieu désire parler à notre cœur. Encore faut-il le vouloir, prendre le temps de le faire. Que la grâce du Seigneur nous aide à vivre courageusement ce temps de Désert et de solitude à la suite du Christ dans sa Passion. Amen.