Homélie du 4 février 2007 - 5e DO

Avance au large!

par

fr. Olivier de Saint Martin

Le rivage, au bord de la mer, a quelque chose de fascinant. Alors que nous sommes en sécurité, les pieds sur terre, la vue de l’immensité des eaux est propice à la méditation. C’est ainsi que saint Augustin marchait un jour au bord de la Méditerranée. Il rencontra un petit enfant qui essayait de transvaser la mer dans un trou qu’il avait creusé. Bien évidemment, à chaque fois qu’il revenait avec un seau plein, il s’apercevait que l’eau avait disparu dans le sable. Au cœur de Saint Augustin, il y eut comme une voix intérieure qui lui dit : Ce petit enfant aura épuisé la mer, avant que tu n’aies compris le mystère de Dieu.

Ce jour-là, Simon Pierre ne méditait pas sur le mystère de Dieu. Non, avec ses collègues pécheurs, il lavait consciencieusement ses filets. Et c’est au cours de cette vie banale que Jésus a fait irruption, en lui demandant de l’emmener un peu au large. C’est assez étonnant, ce premier contact de Pierre avec la Parole de Dieu. Cela ne s’est pas fait dans un groupe d’études bibliques ou en cours à la Catho. La foule pressait Jésus pour écouter sa Parole. Pierre a été un petit peu obligé – il n’avait rien demandé! – de l’écouter cette parole. Car, une fois Jésus dans la barque, il n’avait pas d’autre possibilité. On ne sait d’ailleurs rien de ce que Jésus a pu dire. Sans doute Pierre a-t-il cependant été, comme les auditeurs de la synagogue de Capharnaüm, pris d’admiration devant les paroles pleines de grâce qui sortaient de la bouche du Christ. Car, sinon, comment s’expliquer sa réaction à cette nouvelle parole: Avance en eau profonde et jette ton filet. Il aurait été normal que Pierre se rebiffe. La pèche est une affaire trop sérieuse pour être confiée à des amateurs. C’est lui le professionnel. Pourtant, saisi par cette Parole qu’il a entendu, Pierre répond:
Nous avons péché toute la nuit sans rien prendre, mais sur ta parole, nous allons jeter les filets.

Remarquez bien que Jésus ne demande pas à Pierre quelque chose qui sort absolument de l’ordinaire. Il demande à Pierre d’approfondir son métier de pécheur. Au fond, il lui dit: Creuse ce que tu connais, approfondis ton métier, avance en eau profonde, là où se trouvent les poissons rares. N’en reste pas à une nuit sans prise, à une vie que tu limites sans cesse. Ne reviens pas sans cesse vers le rivage. Avance en eau profonde, jette ton filet. Et une fois le filet remonté, plein de poissons, Jésus peut lui dire: Maintenant, tu es allé au large, tu peux aller encore plus loin, je ferai de toi désormais un pêcheur d’hommes. Il y a là pour l’Église aujourd’hui un véritable enjeu. Pierre est devenu un témoin parce qu’il a expérimenté la puissance de la Parole de Jésus.

On dit souvent que nous manquons de prêtres et ce n’est pas faux. L’Église ne peut pas vivre sans les prêtres. Mais, au risque de vous surprendre, ce ne sont pas les prêtres qui font les témoins. Ce sont les témoins qui font les prêtres, ce sont les témoins qui appellent au sacerdoce. Ce sont les témoins qui font croître cette Église qui commence aujourd’hui très simplement avec des pécheurs qui péchaient mais qui, sur la parole de Jésus, ont été au large. Remarquez bien que Jésus ne leur a pas demandé de renier ce qu’ils étaient. Il n’a pas demandé à Pierre de sauter de la barque, de marcher sur les eaux. Il lui a proposé d’avancer en eau profonde pour faire son métier de pécheur. Mais de le faire autrement, avec un autre guide que lui-même.

Cette Parole de Jésus retentit aujourd’hui et nous appelle à aller au large selon ce que nous sommes pour nous laisser façonner et en devenir les témoins. Mais voilà, nous sommes comme ce nageur maladroit qui éprouve de l’ivresse à la nage et tout à coup panique parce qu’il se rend compte qu’il n’a plus pied. Alors même qu’il sait nager, il cherche désespérément à regagner la terre ferme. C’est un petit peu ce que nous faisons continuellement avec Dieu. Nous aimons bien Le rencontrer un peu. Nous aimons bien vivre un peu en sa présence. Nous aimons bien ce Dieu de sainteté: Saint, saint saint le Dieu de l’univers, le ciel et la terre sont remplis de ta gloire! Nous aimons bien reprendre le chant des séraphins. Mais très vite, le vertige nous saisit et… nous revenons sur le rivage. Nous en revenons à ce que nous maîtrisons, refusant de lâcher prise. Il est difficile de se laisser vaincre par la folie de l’Amour.

Oui, nous sommes un peu trop des êtres de rivage. Je veux dire, que nous passons beaucoup de temps sur cette terre à construire, à creuser, à recommencer à laver nos filets après un petit tour en mer. Et cependant, nous avons dans notre cœur une voix qui nous murmure: Va au large, viens vers le Père. Nous avons dans notre cœur un désir qui veut nous mener plus loin que les limites du rivage mais nous limitons sans cesse ce désir en regardant nos peurs, nos fragilités, notre péché même. Comme Pierre et Isaïe d’ailleurs. Mais il faut entendre Jésus nous dire comme à sainte Catherine de Sienne: Tu n’es pas digne de moi, mais moi, Je suis digne de toi. C’est vrai, nous avons peut-être les mains vides, mais, peu importe puisque Dieu est là pour les remplir de sa présence. Si nous avançons au large sur la Parole de Jésus, alors serons petit à petit happés par une lame de fond puissante mais tellement douce, celle de l’Amour de Dieu.

Laissons donc retentir dans notre cœur cette parole: Avance en eau profonde! Ne vis pas à la surface de toi-même!