Homélie du 6 novembre 2005 - 32e DO

Contes pour grands enfants sages

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Les enfants aiment les contes. Ils aiment qu’on leur raconte des histoires.

Il faut voir nos charmantes têtes blondes, attentives, bien confortablement calées dans leur oreiller et qui écoutent… Elles sont captivées par ces récits étonnants et merveilleux. Et nous en rajoutons: dangers, dragons, bonnes fées, sorcières, tout y passe. Mais ce n’est que pour mieux garantir une fin heureuse. Car, c’est bien connu, les contes pour enfants se terminent toujours bien: ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants.

Or, à y regarder de plus près, les contes pour enfants ne se terminent pas toujours bien pour tout le monde. Ce sont les grandes personnes qui les racontent qui les font bien finir. Il y a une version pour enfants et, si j’ose dire, une version pour adultes. Il y a une version édulcorée et celle, plus crue, voulue par l’auteur que nous avons censuré. Profitons que les enfants de notre assemblée soient partis pour regarder les choses en face. Les frères Grimm, par exemple, lorsqu’ils terminent l’histoire de Cendrillon ne nous laissent pas sur le tableau charmant d’une famille réconciliée. Certes, on célèbre un mariage, les deux méchantes sœurs sont à droite et à gauche des jeunes époux… et deux colombes viennent leur crever les yeux. Et le conte s’achève: «pour leur méchanceté et leur perfidie, elles furent punies de cécité pour le restant de leurs jours»! Bigre!… De même, pour Blanche-Neige, toujours dans le cadre de noces, c’est la méchante reine qui, rongée par la curiosité, se rend au mariage, doit mettre des souliers de fer chauffés à blanc et «danser jusqu’à ce que mort s’ensuive». Gloups…

Frères et Sœurs, si nous n’y prenons pas garde, nous risquons parfois de faire la même chose avec l’Évangile, en particulier avec les textes que nous entendons à la fin de l’année liturgique. Nous pouvons retenir une version «soft», édulcorée… et oublier ce que l’Esprit a vraiment voulu nous dire dans le texte sacré.

Nous qui sommes finalement de grands enfants – pourquoi d’ailleurs aurions-nous changé? – nous aimons les contes, nous aimons que l’on nous raconte des histoires. Jésus le sait bien.

Les conteurs de notre enfance n’ont rien inventé. La Bible aussi a ses récits qui se terminent par des noces. Celui que nous propose l’Église aujourd’hui est une de ces histoires: il s’agit de la parabole des cinq vierges sages et des cinq vierges insensées. Les premières entrent dans la salle, les autres restent dehors.

Vous connaissez comme moi la version édulcorée de l’Évangile dès que l’on parle de jugement, de feu éternel, de condamnation… on s’empresse de terminer sur un pompeux «on ira tous au paradis, Dieu est toute bonté après tout

Or l’Évangile d’aujourd’hui ne termine pas sur cette belle phrase, rassurante, mais sur un terrible, «Amen, je vous le dis: je ne vous connais pas. Veillez donc, car vous ne savez ni le jour ni l’heure». C’est la version… pour les grands. Pour les grands enfants sages.

Parce qu’après tout, c’est bien de cela dont il s’agit: il faut être sage! Il faut que chacun de nous, comme autant de vierges sages, trouve cette Sagesse. C’est une question de vie ou de mort… éternelle. Ne nous voilons pas la face; l’enjeu est fondamental. Il faut être sage!

Qu’est-ce qu’être sage? Est-ce rester, comme une image, statique et imperturbable quand tout s’embrase autour de nous? Est-ce ne pas broncher quand les loups hurlent et suivre son petit bonhomme de chemin, en secret?

Non, le sage chrétien est tout sauf une belle statue que l’on admire. Le sage chrétien recherche la Sagesse qu’il lui faut obtenir comme une clef pour entrer dans la salle des noces. Il sait qu’elle est resplendissante, inaltérable, qu’elle se laisse contempler par ceux qui l’aiment. Il sait aussi qu’elle est folie aux yeux du monde, qu’elle s’acquiert peu à peu, avec patience.

Pour l’acquérir, il faut qu’il soit un être de désir. Comment obtenir quelque chose qu’on ne désire pas? Il faut demander au Seigneur, dans une prière fervente, qu’il daigne nous donner cette lumière qui nous assure un parfait jugement.

Il faut aussi être docile et patient. Docile à l’enseignement du Christ et de l’Église. Et si le sage n’est pas forcément un savant, il a cependant le devoir d’éclairer sa conscience, de connaître sa foi, en fonction de ses capacités. La foi du charbonnier, c’est bien… pour un charbonnier. En revanche, j’ai le devoir de connaître mon Dieu car on aime véritablement ce que l’on connaît.

Il faut enfin – et que les plus jeunes de notre assemblée ne l’utilisent pas à mauvais escient auprès de leurs parents – une bonne dose d’insolence. Une sainte insolence, bien entendu. Jésus lui-même n’a-t-il pas osé remettre Marie et Joseph en place lorsqu’ils le retrouvent dans le temple, pour leur rappeler où est l’essentiel? De même, dans notre monde, le chrétien est appelé à proclamer sa foi, avec audace, à temps et à contretemps… même si cela ne plaît pas.

Désir, docilité, patience, sainte insolence… le chrétien est paré pour trouver la Sagesse. Car cette Sagesse, c’est le Christ lui-même.

Cette clef qui nous fait entrer dans la salle des noces, c’est le Christ qui nous dit qu’il est la porte et que pour aller vers le Père il faut passer par lui.

Cette Sagesse qui vient à notre rencontre chaque fois que nous l’invoquons, c’est le Christ qui va se rendre présent dans la Sainte Eucharistie.

Cette Sagesse qui se laisse contempler, c’est le Christ qui nous est donné par Marie, Trône de la Sagesse.

Alors pour que notre histoire personnelle s’achève dans la joie de la salle des noces, faisons nôtre cette prière tirée d’un petit livre, hélas peu connu, du XVIIIème siècle, l’Amour de la Sagesse éternelle:

«Ô Mère de miséricorde! Faites-moi la grâce d’obtenir la vraie Sagesse de Dieu et de me mettre pour cela au nombre de ceux que vous aimez, que vous enseignez, que vous conduisez, que vous nourrissez et protégez comme vos enfants…

Ô Vierge fidèle, rendez-moi en toutes choses un si parfait disciple de la Sagesse incarnée, Jésus-Christ votre Fils, que j’arrive, par votre intercession, à votre exemple, à la plénitude de son âge sur la terre et de sa gloire dans les cieux»

Oui, Notre Dame de la Sagesse, priez pour nous.