Homélie du 3 juin 2018 - Solennité du Saint-Sacrement du corps et du sang du Christ

Dans le secret du Christ

par

fr. Emmanuel Perrier

Que se passe-t-il lorsque l’on mange le corps de Jésus, lorsque l’on boit son sang ? C’est une question légitime au moment de s’approcher pour la première fois du sacrement de l’eucharistie. À chaque expérience nouvelle, on se demande ce qui va nous arriver. Le navigateur qui franchit le port se demande ce qui l’attend en haute mer, la petite Bernadette de Lourdes hésite lorsqu’elle voit pour la première fois dans la grotte cette demoiselle vêtue de blanc avec une ceinture bleue et une rose jaune sur chaque pied. Que va-t-il se passer ? À chaque expérience nouvelle, il faut toujours procéder de la même façon : il faut s’appuyer sur ce que l’on sait pour aller vers ce qu’on ne connaît pas. Sinon on commence à s’imaginer plein de choses, on se fait des illusions. Il faut partir de ce que l’on sait.

Que sait-on de ce qui se passe lorsque l’on mange le corps de Jésus, lorsque l’on boit son sang ?
Partons du plus simple. On sait que l’on mange et que l’on boit. Dieu a voulu que l’eucharistie soit reçue dans un des actes les plus naturels de notre vie, un acte que l’on répète tous les jours parce que nous avons besoin de nous nourrir et de nous désaltérer.
Et Dieu a choisi pour cela le pain de froment et le vin de la vigne. Il n’y aura donc aucun effet bizarre dans notre bouche. Tout ce que nous avons à sentir avec notre langue, avec notre palais, avec notre gorge, n’a rien de surprenant. Voici donc notre corps rassuré : pour notre corps, l’eucharistie n’est pas une expérience nouvelle, c’est au contraire une expérience très simple et très naturelle, une expérience où notre corps est tout à fait à l’aise.

Passons maintenant à notre âme. Que se passe-t-il dans notre âme ? Commençons à nouveau par le plus simple. Le plus simple, c’est ce que nous dit le Christ : « Ceci est mon Corps… Ceci est mon Sang. » Donc, parce que je crois ce que le Christ nous dit, je sais que ce que je mange n’est plus du pain mais est le corps du Christ, son vrai corps ; et ce que je bois n’est plus du vin mais est le sang du Christ, son vrai sang. Ma bouche sent du pain, mais dans mon âme je sais que c’est le corps de Jésus. Ma bouche goûte du vin, mais je sais que c’est le sang de Jésus.

Allons vers une question moins simple : pourquoi Jésus me donne-t-il sa chair à manger et pourquoi me présente-t-il son sang à boire ? Là-dessus, Jésus s’est expliqué dans un long enseignement avec des juifs. Il leur a dit : « Qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle. » On mange pour vivre, on boit pour vivre. Mais pourquoi a-t-on besoin de manger sa chair et de boire son sang pour vivre ? Un peu plus loin dans son enseignement, Jésus ajoute : « Qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi, et moi en lui. » Ainsi, il faut manger sa chair et boire son sang pour qu’il soit en nous et que sa vie à lui devienne notre vie à nous.

Mais que se passe-t-il lorsque Jésus demeure en nous et que nous demeurons en Jésus ? Les trois textes que nous avons entendus nous apportent ces explications.

Partons du texte le plus simple, celui de l’Évangile où saint Marc nous raconte la première communion des apôtres. Jésus leur fait faire un trajet en trois étapes. Il leur dit d’abord : « Allez à la ville », c’est-à-dire Jérusalem, puis : « suivez un homme porteur d’une cruche d’eau », et enfin montez dans une salle à l’étage pour préparer la Pâque. Il en va de même pour nous.
Jésus nous fait d’abord aller dans la ville sainte, Jérusalem, c’est-à-dire l’Église. Cette ville a pour habitants les anges et les saints de tous les temps. Ils habitent cette ville parce qu’ils y sont à demeure, et ils y ont leur demeure parce qu’ils demeurent en Dieu pour toujours. Lorsque nous mangeons la chair et buvons le sang du Christ, nous rendons visite aux habitants de la Jérusalem du Ciel, de l’Église du Ciel.
La seconde étape, c’est celle du porteur d’eau. Pourquoi suivre un porteur d’eau ? On suit un porteur d’eau lorsqu’on a soif. De quoi a-t-on soif quand on visite la Jérusalem du Ciel ? Le Psalmiste nous répond : « Mon âme a soif du Dieu de Vie, quand le verrai-je face à face ? » Ainsi lorsque nous mangeons la chair et buvons le sang du Christ, notre âme est saisie par la soif du Dieu de Vie, par le désir de voir Dieu face à face.
La troisième étape, c’est celle de l’entrée dans la salle à l’étage pour préparer la Pâque. Dans une maison, on monte à l’étage pour être tranquille, au secret avec ses amis, afin de pouvoir ouvrir son cœur. De même en va-t-il dans notre âme lorsque nous mangeons la chair et buvons le sang du Christ. Jésus nous emmène au sommet de notre âme, dans un lieu de silence loin des préoccupations du monde, pour célébrer avec nous sa Pâque.

Mais que fait Jésus dans cette salle cachée au sommet de notre âme ? Le texte de l’Épître aux Hébreux nous l’a expliqué : « Le Christ s’offre lui-même à Dieu comme une victime sans défaut ; son sang purifie alors notre conscience des actes qui mènent à la mort, pour que nous puissions rendre un culte au Dieu vivant. » Ainsi, lorsque nous mangeons son corps et buvons son sang, Jésus demeure avec nous dans le sommet de notre âme, il offre à Dieu le sacrifice de sa vie, et son sang purifie notre âme de tout ce qui en nous va vers la mort. Parce que notre âme est ainsi libre de toute entrave, elle est comme un oiseau qui échappe au filet et qui peut louer Dieu et le servir librement.

Il y a plus. Ce sang qui s’écoule du côté du Christ sur la Croix dans la salle secrète de notre âme a encore un autre effet évoqué par la première lecture. Moïse rapporte au peuple la Loi, les commandements et les paroles de Dieu. Et le peuple s’écrie : « Toutes ces paroles que le Seigneur a dites, nous les mettrons en pratique. » Moïse prend alors du sang de l’autel et en asperge le peuple. L’Alliance est conclue entre Dieu et le peuple d’Israël. Ainsi le sang du Christ est-il répandu dans la salle secrète de notre âme pour nous lier à Dieu dans l’Alliance nouvelle et éternelle. Nous mangeons le corps et buvons le sang du Seigneur Jésus pour être attachés à sa Parole et la mettre en pratique chaque jour.

Nous savons maintenant ce qui se passe dans notre âme quand nous mangeons le corps du Christ et buvons son sang. Je récapitule : nous nous approchons pour manger et pour boire, nous sentons le pain et nous goûtons le vin, notre âme croit à la parole de Jésus « Ceci est mon corps, ceci est mon sang », alors nous mangeons et buvons pour recevoir la vie du Christ, pour demeurer en lui et lui en nous. Alors Jésus nous fait aller dans la ville des anges et des saints, alors nous avons soif de voir Dieu face à face, alors nous montons dans la salle au sommet de notre âme. Là, Jésus purifie notre âme par son sang pour que nous rendions un culte au Dieu vivant. Là, Jésus nous attache à sa Parole par son sang pour que nous la mettions en pratique.

Manger, goûter, croire, demeurer, aller à la Ville, avoir soif, monter dans la salle, adorer Dieu, pratiquer sa Parole.