Homélie du 9 septembre 2012 - 23e DO

Délivrance en Décapole

par

fr. Gilles-Marie Marty

La Décapole est la région qui s’étend de Damas à Amman. A l’époque pays peuplés d’une majorité de païens. On appelait « païens » les gens qui ignoraient tout de la Révélation donnée à Moïse et aux prophètes, faisant d’Israël, ramassis de tribus, le Peuple de Dieu, dépositaire de cette richesse unique qu’est la Parole de Dieu et sa Loi.

Les peuples païens, eux, ont été des pauvres à cet égard. Leurs idoles grimaçantes faisaient peur mais ne valaient rien. Jésus visite donc ces territoires et leurs habitants. Juste après cet épisode, il procédera à une seconde multiplication des pains. La première en Galilée avait été au bénéfice des Juifs, la seconde en Décapole, sera au bénéfice des païens.

Jésus a visité ces pauvres (païens) et leur a accordé les mêmes miracles qu’aux riches. C’est dire que les païens seront bénéficiaires de la même grâce que les Juifs et appelés à entrer eux aussi dans la Nouvelle Alliance promise à Israël.

Ces païens, pourquoi viennent-ils à Jésus? Parce qu’il fait des miracles. Thaumaturge. Mais ils ignorent tout de la Bible. Alors comment Jésus peut-il s’adresser à eux? De quoi peut-il les entretenir? Il ne peut pas leur parler comme aux Juifs, citer l’Écriture? Pourtant à eux aussi il doit annoncer Dieu.

Notre sourd-muet lui donne une idée: il va s’exprimer en gestes. Langue des signes. Puisque ces gens lui font confiance, il va leur donner ce qu’ils attendent et plus encore. Ce sourd-muet est en effet un symbole des peuples païens qui n’avaient rien entendu de la Révélation, ignoraient le seul vrai Dieu et ne pouvaient pas le prier. Esclaves d’idoles! Jésus va ouvrir ces oreilles sourdes, pour que le païen infirme soit capable d’entendre? les bruits du monde et les discours des gens certes, mais aussi la Parole de Dieu. Il va délier sa langue pour qu’il puisse joindre sa voix à celle des autres mais aussi pour partager la Parole reçue de Dieu transmise par Jésus.

Revenons sur ce qu’a fait Jésus. Il agit en deux temps et de façon surprenante. D’abord il touche les organes déficients: il enfonce ses doigts dans les oreilles et met sa salive sur la langue de cet infirme. Puis, second temps, avant de dire « Effata! », il lève les yeux, soupire profondément (on pourrait même traduire: il gémit). Il lève les yeux au Ciel comme s’il cherchait l’inspiration près de son Père et il soupire, il expire presque, comme s’il voulait déjà communiquer le Souffle, l’Esprit… Voila un signe de son mystère. Un signe pour les pauvres. Comprenne qui pourra.

Donc Jésus a agi en deux temps. Il commence par déboucher les oreilles de ses doigts et toucher sa langue de sa propre salive. Ce premier moment très important. Jésus aurait pu faire ce qu’on lui conseillait: imposer les mains. Il ne l’a pas fait. Il a voulu ce geste étrange, prophétique, pour souligner ce qu’il faut avant de guérir. Il faut une délivrance. Avant de pouvoir guérir l’homme, lui rendre sa capacité d’entendre, de voir, de parler, d’agir, il faut d’abord le délivrer de son esclavage, le libérer de celui dont il est l’esclave, et qui a atrophié ses sens. Bref: il faut le libérer du Diable. Jésus le fait en touchant les oreilles et la langue: il le libère de Satan. Alors seulement, dans un second temps, il le guérit en lui rendant l’ouïe et la parole. L’Église a retenu cette nécessité d’une libération préalable. Exorcismes avant baptême.

Dans 1ère lecture St Jacques: « Dieu a choisi ceux qui sont pauvres aux yeux du monde« . C’est ce qu’a fait Jésus avec ce païen infirme, comme avec la Syrophénicienne, et tant d’autres, symbole du pauvre.

La pauvreté. Ce mot a plusieurs sens. Il faut donc rappeler le sens spirituel où la Bible l’emploie, à commencer par Jésus qui en a fait la première Béatitude: « Heureux les pauvres en esprit, le Royaume des Cieux est à eux« . Ici, pauvreté n’est pas synonyme de misère matérielle. C’est une attitude, disposition: la capacité de recevoir, plus exactement à la fois la capacité et le désir, l’envie, de recevoir.

Pourquoi parler de pauvreté en esprit? A cause bien sûr de la ressemblance frappante avec la pauvreté matérielle. Dans les 2 cas, le pauvre sait qu’il lui manque une chose importante, ou même vitale, et il attend qu’on la lui donne, il espère recevoir ce qu’il est incapable de se donner seul. Le pauvre a besoin, et il demande, il supplie et si besoin il hurle comme Bar-Timée, et il a bien raison!

Si St François d’Assise a tant aimé la pauvreté, en a fait sa Dame, c’est qu’elle concerne Dieu d’abord. En Dieu, le Fils reçoit tout: tout ce qu’Il est lui vient de son Père. Le premier Pauvre, c’est donc le Fils de Dieu. Pour être enfant de Dieu, une seule condition: se savoir pauvre.

La Bible montre souvent que « ce monde est tout entier livré au pouvoir du Mauvais« . C’est pour cela que Dieu s’est incarné. Si l’homme avait pu s’en sortir seul, il aurait eu besoin d’un coup de main, et Dieu n’aurait pas eu besoin de s’abaisser comme Il l’a fait!

Mes frères, notre monde est chatoyant et magnifique mais il est aussi tout entier livré au pouvoir de Satan. Ce n’est pas une affaire d’opinion, c’est une question de foi. On ne peut rien comprendre au mystère de Jésus-Christ si on n’accepte pas cela. Or cela, justement, le pauvre en esprit l’accepte d’emblée. Être pauvre en esprit, c’est d’abord être réaliste sur notre origine (nous étions soumis à Satan), c’est ensuite être humble (nous avons peu de moyens, nous sommes limités), c’est enfin être simple: demander sans cesse à Dieu d’accorder sa grâce et notre guérison.

Frères, sommes-nous prêts à devenir des pauvres en esprit, à nous laisser libérer en profondeur par Jésus?

Sommes-nous prêts à contester Satan, à rejeter son langage, ses mensonges et ses perversions, à nous opposer à ses suppôts qui prétendent bouleverser les lois du Créateur?

Sommes-nous prêts à passer pour des « pauvres aux yeux du monde« , et à faire ricaner les puissants de ce monde?

Ces pauvres-là, dit St Jacques, « Dieu les a faits riches de la foi, et héritiers du Royaume« .