Homélie du 16 janvier 2005 - 2e DO

Derrière, puis devant, parce qu’avant

par

fr. Jean-Michel Maldamé

Il est impossible d’ouvrir un magazine ou un journal sans avoir écho des tensions qu’il y a entre les études scientifiques de la Bible et l’enseignement élémentaire donné au catéchisme. Il n’est pas possible d’ignorer le succès des romans qui mettent en scène Jésus en mêlant à l’Évangile des propos imaginaires souvent hostiles à la foi, voire blasphématoires. Il faut donc être très rigoureux dans la lecture des textes. Parmi les points qui demandent attention, il y a le baptême de Jésus par Jean-Baptiste. Les quatre évangiles sont unanimes à dire que Jésus a été baptisé par Jean. Le fait est donc avéré; cet événement est d’autant plus certain qu’il faisait difficulté au moment de la rédaction des évangiles.

1. Pour les rédacteurs des évangiles, Jésus est le Christ ou le Seigneur, car en lui se sont accomplies les promesses messianiques, et Jean-Baptiste n’est que le précurseur, qui a préparé le chemin du Christ avant de s’effacer devant lui. Le fait que Jésus ait été baptisé par Jean fait difficulté, car celui qui baptise est plus grand que celui qui est baptisé. On interprète habituellement le fait en disant que Jésus a donné un exemple d’humilité.

Une autre difficulté est non moins grande: le baptême de Jean était donné en rémission des péchés; or pour les évangélistes, Jésus est saint depuis le sein de sa mère; Jésus n’a jamais commis de péché. Avait-il besoin d’être baptisé? Non! Mais alors que signifie son baptême? On l’interprète comme un geste de solidarité avec les pécheurs.

Tout ceci est vrai, mais ne satisfait pas entièrement un esprit rigoureux. Fort heureusement, la lecture de l’évangile de Jean ce dimanche permet de mieux comprendre ce qui s’est passé. L’évangile de Jean mentionne à plusieurs reprises la relation entre Jésus et le Baptiste. Il montre que Jésus n’a pas rencontré Jean-Baptiste à l’improviste ni à la seule occasion de son baptême. L’évangile dit explicitement que Jésus a été le disciple de Jean le baptiste – celui-ci dit de lui : «Il était derrière moi» l’expression « être derrière » dit la condition du disciple. L’évangile nous dit aussi que Jésus a baptisé avec Jean. Il rapporte ensuite que Jésus et ses disciples ont baptisé en parallèle avec lui dans une autre région que lui (Jn 3, 26 ; 4, 1). Ce n’est qu’après que leurs voies se sont séparées. Jean-Baptiste constate: «Il était derrière moi, puis il est passé devant moi» ». Entendons bien que si Jésus a été disciple de Jean-Baptiste, celui-ci s’est ensuite effacé et a envoyé vers lui ses disciples comme le rapporte le chapitre premier de l’évangile selon saint Jean.

2. Prendre au sérieux les textes de l’évangile de Jean mène à une manière nuancée de lire les commencements de la vie publique de Jésus. Il faut reconnaître que Jésus a commencé par être disciple de Jean, et donc estimer qu’il partageait la même conviction que celle de Jean, quant à l’imminence de l’avènement du Règne de Dieu. Puis il a avancé.

Pour admettre ce fait, il faut surmonter un obstacle d’ordre théologique. Pour dire la grandeur de Jésus, beaucoup considèrent que Jésus savait tout dès le début de son activité. Pour eux, Jésus aurait commencé sa mission avec une parfaite connaissance de tout ce qu’il ferait. Cette figure de Jésus est invalidée par une lecture attentive des évangiles; ceux-ci montrent que Jésus a évolué dans la conception de sa mission. C’est ainsi que l’on doit reconnaître que si Jésus a commencé comme disciple baptisé par Jean, compagnon puis associé de Jean, il a quitté cette perspective. Jean s’est interrogé sur cette différence en lui faisant demander: «Es-tu celui qui doit venir?» (Mt 11, 2) pour reconnaître l’identité de Jésus. Cette démarche est résumée dans la phrase qui est au centre de la lecture d’aujourd’hui qui rapporte ce propos du Baptiste: «Il était derrière moi ; il est passé devant moi, car avant moi il était». Il reconnaît en lui non seulement un prophète, mais l’Envoyé de Dieu, Dieu même Celui qui est en la plénitude de l’être, le Fils éternel venu dans l’histoire des hommes.

Or si l’Éternel entre dans le temps, ce n’est pas selon la seule apparence, mais dans le respect de ce qui est. Ainsi l’humanité de Dieu est un humanité vraie, prise dans le cours du temps. Comme pour tout être humain, la conscience de Jésus a mûri au cours du temps. Ce que les évangiles nous disent de sa vie active nous montre que Jésus a approfondi la conception qu’il se faisait de sa mission. Jésus ne s’est jamais renié; il a avancé, instruit par les événements, par ses amis, par ses proches et même par des étrangers. Ainsi le baptême de Jésus par Jean est bien le commencement de la vie active de Jésus et ce commencement a été suivi par d’autres actions qui l’ont mené à d’autres manières de voir, de se comprendre et de vivre sa mission consacrée à la venue du Règne de Dieu.

3. La séparation entre Jésus et Jean a entraîné un changement du sens du baptême. Le baptême de Jean est donné en rémission des péchés. Le geste de purification avec l’eau – du Jourdain ou d’autre source – signifie bien l’enlèvement du péché. Mais, Jésus donne un sens nouveau au geste du baptême, celui qui se fait maintenant en son nom. Pour le comprendre il faut une fois encore être attentif à ce qui s’est passé.

L’Évangile nous dit qu’à l’annonce de cette mort Jésus se retira dans le désert (Mt 14, 13); ce n’est qu’après cette rupture que Jésus commença de dire à ses disciples qu’il lui faudrait passer par la mort. Jésus emploie le mot baptême pour dire ce passage (Mc 10, 38). Le mot baptême transcrit le mot grec qui signifie immersion; or quand on est la tête sous l’eau, on est privé de respiration, condamné à mort. L’immersion signifie l’entrée dans la mort, et l’émersion signifie l’entrée dans la vie.

Le sens du mot baptême change, parce qu’il est prononcé part Jésus au moment où Jésus annonce sa Passion. Le geste est le même que du temps de Jean, mais la signification est fort différente. Il ne s’agit pas seulement d’enlever le péché, mais bien de mourir et de naître. Le geste dit ce que Jésus a vécu: Par amour pour les hommes, Jésus est entré dans la mort, il en a été arraché par la puissance de Dieu qui s’est ainsi révélé comme Père agissant par la puissance de son Esprit.

4. Le baptême chrétien prend sens par rapport à celui de Jésus. Le baptisé met sa vie en conformité avec le Christ. En effet, notre existence n’est pas éternelle; elle est prise dans le cours du temps et il y a une intrication de la mort et de la vie. La mort n’est pas l’événement ultime de notre vie dont nous ne pouvons savoir d’avance l’heure, même si l’échéance est certaine. La mort est au présent, coextensive à notre vie: chaque fois que nous quittons quelque chose, que nous partons, qu’une relation se brise, qu’un deuil nous frappe, qu’un espoir ou une attente est déçue, quand la maladie nous ronge ou nous détruit? Telle est l’œuvre de la mort en nous. Elle commence dès notre venue au monde. Même chez les nouveaux-nés pour qui les parents se font tant de soucis.

Par le baptême, nous unissons la mortalité qui est en nous à la mort vécue par le Christ; par le baptême, nous unissons la vie qui est en nous, à sa vie, cette vie qui a surmonté la mort. C’est pourquoi nous sommes baptisés dans l’eau et dans l’Esprit du Dieu vivant.

Aussi, les chrétiens vivent un baptême qui se donne, au nom du Dieu qui s’est révélé en Jésus-Christ, mort et ressuscité. Avec le baptême commence une vie dont la maîtrise est confiée à l’Esprit, l’Esprit Saint, l’Esprit d’amour, l’Esprit de vérité, l’Esprit qui est notre force dans le combat de la vie. C’est cet Esprit qui nous permet d’imiter Jésus-Christ et avec lui de naître à la vie éternelle. Nous voici donc dans notre vérité, baptisés au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit.