Homélie du 9 septembre 2018 - 23e Dimanche du T.O.

Écoute et parle!

par

fr. François Le Hégaret

Un miracle rapide, vite fait : que Jésus impose la main – on ne demande même pas les deux, une suffit – et qu’ainsi cette personne soit guérie. Voilà la demande de la foule, et il faut en reconnaître la logique. La région de Nazareth et toute la Galilée avaient bénéficié de la présence de Jésus et des miracles qu’il avait accomplis, donc que la région païenne de la Décapole puisse en bénéficier à son tour. Jésus ne venait-il pas de guérir la fille d’une femme grecque, une syrophénicienne, païenne donc, sans même se déplacer ? À cette femme qui s’était jetée à ses pieds, il dit : « Va, le démon est sorti de ta fille. » Et Marc conclut : « Elle retourna dans sa maison et trouva l’enfant étendue sur son lit et le démon parti. » Pas plus simple que cet exorcisme. Or, vous en avez été témoins, ce n’est pas de la même manière que va agir Jésus aujourd’hui. Il va à l’écart, hors de la foule, il met ses doigts dans les oreilles et, avec de la salive, il lui touche la langue. Puis il dit quelque chose en araméen, ephphata ; même pas en grec (que l’on parle en Décapole) ! Non seulement Jésus se cache de la foule, mais il fait beaucoup de gestes pour guérir un homme alors qu’une simple parole courante semblerait suffire.

Jésus va d’ailleurs recommencer cela un peu plus tard (dans le même Évangile de saint Marc au chapitre suivant), mais cette fois avec un aveugle, un israélite. Là encore, le signe va se faire à l’égard. « Après lui avoir mis de la salive sur les yeux et lui avoir imposé les mains », il lui touche encore les yeux pour qu’il soit rétabli.

Nous devons constater que si Jésus fait ces multiples gestes, ce n’est pas pour les personnes qui sont là ; Jésus prend bien soin de se mettre à l’écart. S’il le fait, c’est pour nous, pour nous donner un enseignement sur notre vie chrétienne, sur notre manière de mettre en application son enseignement.

La première des choses que fait donc Jésus, c’est de mettre ses doigts dans les oreilles : Jésus ouvre les oreilles de cet homme, il lui permet d’entendre la Parole de Dieu. La vie avec le Christ passe d’abord par l’écoute de la Parole. C’est ce qu’on fait chaque dimanche, ce que plusieurs parmi vous font chaque jour. Le geste que le Christ fait plus tard sur l’aveugle de Bethsaïde a la même signification : c’est un juif, il a donc déjà entendu la parole de Dieu, mais il faut l’ouvrir à la foi de cette parole, et cela passe encore par le toucher et la salive.

Jésus ne s’arrête pas là, il touche la langue avec sa salive. Directement après, l’homme va parler correctement : pas de temps de convalescence ni d’apprentissage. Sa langue doit encore être balbutiante, mais Jésus lui a mis sa propre parole dans la bouche : l’homme proclame la parole de Dieu. En faisant cela, Jésus vient d’introduire l’homme dans la méditation de la parole de Dieu, dans la « rumination » de cette parole, pour reprendre un terme de la tradition monastique. Et en cela Jésus nous montre comment nous devons mettre en application la parole que l’on a écoutée. Jésus ne dit pas une parole et directement on l’applique, mais Jésus dit une parole et celle-ci doit d’abord faire son chemin en nous, doit devenir notre parole.

Jésus lui-même nous montre cela : « Levant les yeux au ciel, il poussa un gémissement et dit Ephphata. » Jésus lève les yeux au ciel, montre donc que la parole vient du Père, puis il gémit. Ce gémissement est celui décrit par saint Paul en Rm 8, signifiant l’impatience de la création captive en attente de sa délivrance : « La création tout entière gémit dans les douleurs d’un enfantement qui dure encore » (Rm 8, 22), et aussi la force de l’Esprit Saint qui prie dans le cœur des croyants (Rm 8, 26) : « L’Esprit lui-même intercède en des gémissements ineffables ». Ce qui se passe en Jésus doit se passer en nous aussi (selon notre mesure, certes). Avant que la parole ne sorte sur nos lèvres, elle doit s’ancrer au plus profond de nous-mêmes, dans nos entrailles (c’est l’image même de l’enfantement donnée par saint Paul), elle doit correspondre à notre vie. Bien entendu, cela prend du temps : ce que Jésus a opéré directement en cet homme, l’Esprit va le réaliser progressivement en nous. Dans la prière, petit à petit, la parole de Dieu va s’incarner en nous jusqu’à devenir notre propre parole.

Sans ce temps de méditation, sans cette rumination de la parole, il ne peut y avoir de vie chrétienne véritable et florissante. Sans cette méditation, la parole restera extérieure à moi-même, elle ne changera pas ma vie. On pourrait alors la connaître extérieurement, et même la prêcher, elle n’atteindra jamais le cœur, et le Christ restera en définitive pour nous un inconnu. Et voici une application concrète : face aux scandales qui secouent l’Église, aux États-Unis actuellement et un peu partout dans le monde, le pape a demandé à tous les baptisés de jeûner, et donc de se laisser transformer intérieurement par l’Esprit-Saint. On ne peut pas transformer le cœur de l’homme, même de prêtres ou d’évêques, par des normes nouvelles, mais par l’incarnation en chacun de nous de cette parole du Christ. C’est cela l’essence même de la vie chrétienne.

Une fois que l’homme quitta Jésus, la nouvelle se répandit dans toute la région. Quand la parole de Dieu vit véritablement en quelqu’un, elle est communicative. On ne s’en rend pas toujours compte, mais voilà bien le signe que la parole de Dieu s’est ancrée au plus profond de nous. C’est bien le signe que nous sommes devenus chrétiens, un autre Christ.

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