Homélie du 27 novembre 2005 - 1er DA

En Avent!

par

fr. Gilles-Marie Marty

En ce moment même, dans le monde entier, des centaines de milliers de curés disent à leurs ouailles: « Mes bien chers frères, nous entrons dans l’Avent, le temps de l’attente».

Eh bien figurez-vous que personne ne réagit! Personne ne proteste…

Alors que tout le monde vient d’entendre saint Paul affirmer que les chrétiens «ont reçu toutes les richesses, toutes celles de la parole et toutes celles de la connaissance de Dieu (1 Co 3, 4) … (et pour faire bonne mesure, il ajoute:) aucun don spirituel ne vous manque !».

Si les chrétiens ont reçu Jésus-Christ (en qui Dieu a dit son dernier mot), et avec Jésus, s’ils ont reçu le salut éternel, et la grâce divine, que pourraient-ils attendre d’autre?

D’ailleurs, les premiers chrétiens [qui savaient que «cette génération ne passera pas que tout ne soit accompli» et que «nous les vivants, serons (bientôt) emportés dans les nuées»…] étaient persuadés d’avoir tout ce qu’ils pouvaient désirer, et chantaient «que ce monde passe!». Ils disaient: puisque le Messie est vraiment venu, il n’y a rien à attendre, plus rien… sauf une seule chose: sa venue dans la gloire… (car, à toute bonne règle, il faut une exception).

Les premiers chrétiens n’attendaient qu’une chose: le retour glorieux de Jésus, c’est-à-dire la fin de ce monde, de son histoire et de ses petites histoires: ils attendaient que ce monde passe et laisse place à l’éblouissement du Royaume éternel!

Oui, nos Pères dans la foi, contemporains du Christ ou des Apôtres, n’attendaient qu’une chose: que ça se termine, et si possible, tout de suite!

J’imagine que demain, au bureau, ou au marché, ou à l’école, vous déclariez en public «mes amis, tout ce qui arrive dans le monde, tout ce qu’on voit à la télé, toutes nos histoires et projets… ça n’a aucun intérêt! Une seule chose compte, que Jésus vienne dans la gloire»… vous ne voulez pas essayer?

Eh oui, la vérité, c’est que les chrétiens veulent bien attendre, attendre tout… sauf la seule chose qu’ils doivent attendre!
Certes, depuis 2000 ans que ça dure, les chrétiens ne sont pas restés les bras croisés.
On est stupéfait devant les merveilles d’énergie, de civilisation, de philanthropie déployées par eux durant ces vingt siècles d’attente. Ah oui, ils ont été à la hauteur. Ils se sont battus admirablement pour la justice, pour la paix, pour le développement, pour la liberté.
Impossible de citer un nom, car dès qu’on en cite un, il faut en citer des milliers d’autres.
Les chrétiens se sont battus car ils désiraient, attendaient un monde plus juste et fraternel.

Seulement… cette attente, n’est-ce pas celle de tous les autres hommes de bonne volonté?

C’est bien, c’est grand, c’est beau… mais… ce n’est pas l’attente chrétienne.
La confusion se paie cher: voyez l’usure, la lassitude, la grosse fatigue qui pèse sur les Églises des vieux pays chrétiens… 18 siècles de christianisme pour en arriver là!
C’est que l’attente chrétienne, l’espérance,pour l’appeler de son nom propre, diffère de toutes les autres attentes, de tous les autres espoirs humains, par deux choses essentielles…

La première différence, c’est l’objet: nous attendons le Christ glorieux. Notre espérance est celle de nos pères dans la foi: nous voulons le Christ dans sa gloire, sinon rien!

La seconde différence, c’est le sujet. On dit: «nous attendons», mais qui est ce «nous»?

Réponse à la dernière ligne de la Bible, au dernier verset de l’Apocalypse:

l’Esprit et l’Épouse disent «viens!». (Alors) que celui qui entende dise (lui aussi) «viens !» … «Amen! Viens,Seigneur Jésus» (Ap 22, 17.20).

Alors… qui attend, qui espère? Nous autres certes, mais, au-dedans de nous, au plus intime de nous, ce sont l’Esprit et l’Épouse, l’Esprit du Christ et l’Épouse du Christ… ce sont Dieu lui-même et l’Église de Dieu qui attendent, qui espèrent!

L’Esprit céleste qui inspirait le prophète Isaïe, c’est le même qui inspire notre propre espérance et nous fait chanter avec des gémissements ineffables «Ah, si tu déchirais les cieux, si tu descendais, les montagnes fondraient devant toi!».

Et dire que l’Église, dont chacun de nous est un membre infime, se trouve pourtant tout entière en chacun de nous… lorsque nous espérons! Un peu comme la vaste vigne se trouve tout entière dans le pépin d’un grain de raisin.

S’il en est ainsi, si l’Esprit et l’Église nous font espérer, il n’est pas étonnant que ce bref évangile contienne quatre fois le verbe de l’espérance dans la langue biblique: «veiller», avec cette injonction pressante de Jésus «je vous le dis: veillez! Je vous en supplie: espérez!».

Attention cependant à bien comprendre le sens de «veiller»: ça n’est pas «tuer le temps»! Veiller, espérer, c’est appeler Jésus tout au long de nos jours!

L’appeler, car j’ai enfin compris que lui seul peut me tirer du péché et de la mort!

Alors, Seigneur, je T’en prie: ouvre mes yeux comme ceux des auditeurs d’Isaïe, il y a 25 siècles: fais-moi découvrir que je suis un homme souillé, dont les belles actions sont des guenilles, des feuilles mortes que mes péchés chassent comme le vent… Fais moi sentir que je suis l’argile, et toi le potier, moi la glaise, toi le Tout-Puissant!

Je ne te prie pas que pour moi, mais aussi pour cet homme qui trouve notre veille trop courte, sous prétexte qu’il a encore tant de choses à faire, et donc que ce serait plutôt à Toi de l’attendre… J’aimerais lui dire: «toi, mon ami, tu ne veilles pas, tu rêves! Ta vie est un songe, un rêve éveillé… Un rêve court et irréel… Le réveil approche, et tu ne seras pas déçu en voyant ce que tu es vraiment…».

Je te prie aussi pour cet autre homme qui trouve notre veille trop longue, sous prétexte qu’il a tellement hâte que Jésus revienne! J’aimerais lui dire: «mon ami, es-tu sûr d’être prêt? d’avoir fait tout ce que Jésus attend de toi? Ne regretteras-tu pas tout ce temps qu’il t’accorde pour te préparer?»

Bon… après toutes ces paroles, il y en a au moins un qui s’est converti: c’est moi… qui dois faire amende honorable: mes frères, je reconnais que ce sont les curés qui ont raison! L’Avent est le temps de l’attente, du désir,de l’espérance!

Amen ! Amen ! Amen ! Viens, Seigneur Jésus, viens!