Homélie du 25 décembre 2017 - Noël, messe du jour

Enfant, Dieu entre dans son bien

par

fr. Nicolas-Jean Porret

Un fidèle de notre église m’a rapporté un souvenir de Noël très étonnant, d’une vérité que l’histoire ne peut englober (comme un conte).
Alors que l’après-midi de Noël il jardinait, il sentit une présence. Relevant la tête, notre ami — son nom est Théodule (c’est-à-dire “adorateur de Dieu”) — vit, posté devant son portail, un petit monsieur qui observait sa propriété, l’air étranger et pourtant familier,.
Ce jour de Noël était calme. L’air portait un désir de printemps. “Il n’y a plus de saison, mon bon monsieur”, lui dit-il. La conversation se hissa tout bonnement, comme entre honnêtes hommes, sur la propriété et la maison. Avec tact, le petit monsieur manifestait une tranquille autorité et un intérêt attentifs touchant tous les aspects de ce bien qui faisait la fierté de Théodule : le terrain, son exposition, la qualité des matériaux utilisés pour la bâtisse, le style toulousain, etc. Le visiteur de Théodule était à même de relever chaque bonne trouvaille d’architecture… et d’en approuver le choix. “Ah, mesdames, si vous saviez le bonheur de vos maris de pouvoir parler de pierre et de bois, de proportions et d’ingénierie avec ce que l’on appelle un connaisseur !” “Cela met du baume au cœur”, se dit Théodule. « C’est Noël”.

Un léger trouble le saisit pourtant, tout d’abord parce qu’au petit monsieur n’avait pas échappé certaines petites accommodations, d’aucuns les nommeraient “tricheries”, par rapport aux règles de l’art, sans parler de la relative modestie de l’ensemble ; pourtant en cela pas une once de jugement de la part du petit monsieur ; plutôt une empathie. Le trouble aurait pu grandir, mais l’empathie l’emporta, quand le petit monsieur révéla connaître plusieurs détails de la peine prise pour cette construction. Il semblait qu’il n’était pas étranger à l’histoire de Théodule. Mieux, il était informé de l’histoire de la famille, des tracas dans l’enchaînement des héritages… Par quel magie, Théodule ne sut le dire, la conversation se transmua en une sorte de confession. On peut se confier à un homme de bien, qui s’y connaît, qui vous connaît, plein de sympathie et de compassion.
Au début de son Évangile, saint Jean dit que Celui “par qui tout a été fait, et sans qui rien de ce qui existe n’existerait, purement et simplement, est venu dans son bien ; et les siens ne l’ont pas accueilli”
Qui Théodule était-il en train d’accueillir ?
Le promeneur n’était pas un vagabond : il avait dit habiter non loin, un abri sous-roche. Et il était là, et c’était Noël. “La vie était la lumière des hommes, la lumière luit dans les ténèbres et les ténèbres ne peuvent l’enserrer.”

Déjà il faisait sombre ; les jours sont courts. Théodule se retrouva seul devant la crèche. Depuis combien de temps était-il là ? Les braises rougeoyaient dans l’âtre. À genou, Théodule adorait le nouveau-né enveloppé de langes ; il s’émouvait de la simplicité de la mère-vierge, de la tranquillité de Joseph l’artisan, de la pauvreté d’une étable de bêtes.
L’Architecte de l’univers (par qui tout fut créé) ne fut donc pas mieux logé que dans une étable !
Il lui sembla que la clé de sa vie à lui, Théodule, tenait là, dans le mystère de cet abaissement : la fermeté de la terre qui le portait et qui portait sa maison; la solidité des pierres; la chaleur du sapin, la veille de la nature en hiver, le feu dans la cheminée, la longue et parfois douloureuse histoire de ses ancêtres, de ses frères et sœurs, sa femme et ses enfants (qui, au fait, tardaient à revenir du spectacle de Noël), tout cela appartenait à Celui sur qui ce monde repose et qui… en ce jour vagit dans une crèche. “Ceux qui croient en son Nom ne sont pas nés des sangs, ni d’un vouloir de chair, ni d’un vouloir d’homme : mais ils ont été engendrés de Dieu.”

La clé de l’existence de Théodule comme la nôtre à tous, nous est révélée par ce fils d’homme, petit monsieur, petit enfant qui a dressé sa tente dans le voisinage parmi nous. Il est venu s’abriter ici, comme un sans-abri ballotté au gré des recensements de ce monde. Il nous révèle que tout ce que nous tenons, c’est de lui que nous le tenons ; et que nous-mêmes sommes protégés comme des enfants dans sa petite main de nouveau-né.
L’Épître aux Hébreux dit que Dieu “l’a établi héritier de toutes choses”. Puissions-nous le laisser nous englober dans son héritage pour être accueillis en sa Maison auprès du Père !
“Et nous avons contemplé sa gloire, gloire qu’il tient de son Père, comme fils unique plein de grâce et de vérité. Oui, de sa plénitude nous avons tous reçu, et grâce après grâce !”