Homélie du 25 mai 2003 - 6e DP

Entrer dans la joie chrétienne

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Nous sommes aujourd’hui dans les derniers jours avant que Jésus ressuscité remonte vers son Père et notre Père. Et nous réentendons les paroles de Jésus à ses disciples au dernier soir de sa vie terrestre. Il nous enseigne sur l’Amour dont nous sommes aimés et avec lequel nous sommes appelés à aimer, pour notre plus grande joie. Jésus appelle ses disciples, chacun de nous, à un lien de communion, d’amitié: à une joie en plénitude et éternelle, qui est de vivre de sa vie qui ne finit pas, et de vivre de cette vie éternelle avec lui pour toujours, à une joie qui est de vivre de Dieu et avec Dieu.

Écoutons tout ce que Jésus nous dit pour notre joie: contemplons tout ce qu’il fait pour nous. Car ce qu’il fait, c’est ce qu’il nous dit. En effet, tout ce qu’il dit, il le fait toujours. Allons d’abord à la source de la vraie joie: l’Amour.

«Dieu est amour». Cet amour est celui dont le Père aime le Fils et dont le Fils aime le Père, et nous aime, dans l’Esprit. Cet amour n’est pas simplement un exemple à imiter: il en est la cause, la source. «Comme le Père m’a aimé, moi aussi je vous ai aimés»: et «comme je vous ai aimés, aimez-vous les uns les autres». Il y a là l’aqueduc de l’amour de Dieu vers les hommes, les trois arches du viaduc de la charité: du Père au Fils, du Fils à chacun, de chacun à ses frères, dans l’Esprit.

Cet amour est haut: il vient de Dieu, il est de Dieu. Il nous conduit à Dieu.

Cet amour est large, universel: il est pour tous les hommes. C’est ce que Pierre proclame: «En vérité, je le comprends: Dieu ne fait pas de différence entre les hommes: mais, quelle que soit leur race, il accueille les hommes qui l’adorent et font ce qui est juste».

Cet amour est profond: Dieu aime tout homme pleinement, tout l’homme, excepté le péché en lui.

Cet amour est long, fidèle. Il aime jusqu’à mourir pour chaque homme sur la Croix. Il aime le pécheur avec patience jusqu’au bout de l’amour.

Cet amour est premier. Il prend l’initiative de la création: et il prend l’initiative de la re-création: l’Incarnation rédemptrice qui dépasse tout ce que l’homme pouvait imaginer et espérer. Il choisit chacun.

Cet amour est gratuit: l’«agapè». Il façonne en nous pécheur, esclave du péché, le saint, l’ami. L’amour qui a pour nom pardon fait des pécheurs les amis de Dieu. Il appelle chacun par son nom (Jn 10,3). Cet amour introduit les pécheurs pardonnés dans l’intimité divine.

Cet amour, le vrai amour est don. Il ne garde rien pour lui. Le Fils nous fait connaître tout ce que le Père lui a fait connaître. Il nous a tout dit de l’amour: il n’y a pas d’autres révélations à attendre que ce qui nous a été donné en Jésus. Là et là seul, en Lui et Lui seul, est la plénitude de la révélation. Il a tout fait par amour pour nous, jusqu’au bout, dans la fidélité: il est mort pour nous par amour. Le Père ressuscite son Fils par amour: l’amour plus fort que la mort. Il monte au ciel par amour de son Père et des hommes pour leur y préparer une place (Jn 14,3). Il nous a tout donné par amour: sa vie, lui même, lui qui est la Vie (Jn 14,6).

Le vrai amour est créateur: fructueux. L’un des fruits de cet amour est la joie. L’amour est créateur de joie. La joie a les yeux d’un enfant dans le regard d’un père et d’une mère. La joie éternelle du Père c’est son Fils comme la joie éternelle du Fils c’est son Père, dans l’Esprit qui les unit. La joie est causée par l’amour: soit parce que celui que nous aimons est présent, soit est heureux, soit est rendu heureux par notre amour même. L’amour de Dieu est ainsi source de joie en plénitude: car il est présent chaque jour et infiniment heureux. L’amour du frère, à l’image de Dieu, nous relie aussi à cette source de joie.

C’est la joie que nul ne pourra nous ravir (Jn 16,22): joie fidèle, la joie d’une présence dont nul ne pourra nous séparer, pas même la mort de Jésus ni son ascension. Car il est avec nous chaque jour jusqu’à la fin du monde: et la joie de l’Épouse c’est d’être avec l’Époux (Mt 9,15; Jn 3,29), de vivre avec lui, en sa présence, sur la terre comme au ciel. Sur la terre, dans la prière au secret de notre chambre (Mt 6,6) ou en communauté (Mt 18,20), ou dans le service fraternel (Mt 25,40) : au ciel, où Jésus part nous préparer une place afin que là où il est nous soyons aussi (Jn 14,3).

Cette joie est dans le dessein éternel de Dieu: du premier jour de la salutation de l’Ange «Réjouis-toi, Marie, comblée de grâce» (Lc 1,28) ou de son ministère par la proclamation des Béatitudes (Mt 5,1-12), jusqu’au dernier soir «Qu’ils aient en eux-même ma joie en sa plénitude» (Jn 17,13).

Cette joie n’est accessible qu’à ceux qui passent par la porte de la mise en pratique de la parole de Dieu: «Sachant cela, heureux serez-vous si vous le faites» (Jn 13,17). Faire ce que Jésus nous dit de faire: c’est l’écouter. Écouter, c’est demeurer près de la personne qui nous parle, c’est demeurer avec le Seigneur qui s’adresse à nous (Jn 12,25), c’est demeurer en lui, comme lui demeure avec nous, en nous dans l’Esprit. La gloire, la joie de Dieu c’est la présence de l’homme sauvé avec lui éternellement: la joie de l’homme c’est la présence de Dieu avec lui pour toujours.

Cette joie commence «aujourd’hui» pour les bergers (Lc 2,12), pour Zachée (Lc 19,5-6,9), pour le bon Larron (Lc 23,43), pour toi et moi, mon frère. L’eucharistie en est le sacrement: sacrement de la présence de Dieu parmi les hommes. Sacrement de l’amour de Dieu source de la joie véritable de l’homme: sacrement de la joie. Est joyeux celui qui s’abreuve à la joie de celui qui est la source de la joie. Comme est lumineux celui qui se tient dans la lumière de celui qui est la Lumière. Comme est amoureux celui qui se tient dans l’amour de celui qui est l’Amour.

Elle n’est pas une petite joie, à moitié: mais une «méga» joie. Celle que les anges annoncent aux bergers (Lc 2,11), celle des rois venus d’Orient qui ont trouvé le Sauveur, qui peuvent se tenir en sa présence et l’adorer (Mt 2,10).

C’est une joie entière qui augmente quand on la partage, qui tend vers la plénitude: la joie elle-même est créatrice comme l’amour dont elle est un fruit. En effet, une souffrance partagée diminue, une vraie joie partagée se répand, augmente. Le monde, terre et ciel, que Dieu a créé ainsi n’est pas si mal fait. Il y a plus de joie au ciel pour la brebis retrouvée que pour les 99 qui n’ont pas besoin de pardon (Mt 18,13; Lc 15, 7): joie du don (Ac 20,35) qui croît.

Comment ne pas prendre au «sérieux» cet amour, cette joie: comment ne pas se laisser aimer par cet amour, et ne pas aimer le Seigneur, l’épouse, l’époux, le frère, de cet amour, avec joie, comment ne pas aimer cet amour, cette joie. Voilà de quel amour nous sommes aimés et appelés à aimer: en lui, nous connaissons que la vie de chacun vaut la vie de Dieu, puisque le Fils, l’Innocent, est mort pour chacun de nous pécheur. La vie du pécheur vaut la vie du Fils dans le cœur du Père. Tel est son amour: telle est notre joie. Telle est notre foi en son amour, telle est notre joie fruit de son amour. Il est grand le mystère de la foi: il est grand le mystère de la joie. Pas incompréhensible: mais inépuisable comme est infini son amour qui en est la source.

Souvenez-vous, Jésus s’est réjoui aux noces de l’amour des époux à Cana (Jn 2,2), et il a exulté devant la sagesse des humbles (Lc 10,21). Il nous dévoile la sainte face de la joie de Dieu. Elle est la fille de l’amour et de l’humilité. Cette joie que le monde rejette s’est réfugiée dans le cœur des pauvres. Attention, elle est très contagieuse: déjà par un sourire, une parole bienveillante, une main tendue, une offense pardonnée, une solitude visitée. Mais elle fait une fugue dès qu’on veut la garder pour soi. Comme la vie, on la perd en la gardant et on la garde en la donnant (Mt 16,25). Car la joie d’être aimé a passé épousailles éternelles avec la joie d’aimer: elles sont inséparables. Elles entraînent dans leur ronde mystique la joie de croire et la joie d’espérer. La joie de l’amour mène la danse, la joie de croire s’élance vers Dieu et la joie de «la petite fille espérance» (Péguy) ravit le cœur de Dieu. C’est la joie dans l’Esprit qui vient.