Homélie du 26 janvier 2003 - 3e DO

Et si Dieu avait besoin des hommes?

par

fr. Olivier de Saint Martin

Bien-sûr, nous avons appris au Catéchisme – et cela est très vrai – que Dieu nous a créé par pure gratuité et que nous ne pouvions rien lui apporter. Et pourtant, s’il y a bien une chose qui ne laisse d’étonner, c’est cette ténacité avec laquelle Dieu ne cesse de venir à notre aide pour que nous puissions le trouver. Oui, Il a multiplié les alliances avec nous et formé son peuple dans l’espérance du salut (P. E. IV). Mais ce peuple, en lequel il est si facile de nous reconnaître, est trop souvent resté cramponné à son infidélité (Os 11, 7). Et malgré l’appel divin, combien de prophètes n’ont-ils pas essayé de temporiser – Je ne suis pas doué pour parler (Ex. 4, 10), Je ne suis qu’un enfant (Jér. 1, 6), voire même, comme Jonas, de prendre la tangente? Mais Dieu n’a jamais abandonné, il voulait que son dessein bienveillant s’accomplisse. Lorsque les temps furent accomplis, nous dit encore la quatrième Prière Eucharistique, il nous a envoyé son propre Fils, pour qu’il soit notre Sauveur. Le Verbe de Dieu allait-il alors sauver l’homme de l’extérieur? Non! Juste après son baptême, Il se met en quête et dit à celui qu’Il rencontre : «Suis-moi». Alors, frères et sœurs, Dieu aurait-il besoin des hommes?

Je me suis souvent demandé ce que la Parole du Christ avait pu éveiller en Pierre, André, Jacques et Jean pour qu’ils quittent tout aussitôt. Je crois que Jésus leur a révélé un désir très profondément inscrit en chaque être humain, celui d’être sauvé. Et il me semble que ce désir c’est, fondamentalement, que se réalise en nous le dessein bienveillant, c’est-à-dire que nous devenions enfants de Dieu. Mais pour cela, oui, Dieu a besoin des hommes. Ils ont découvert que Dieu, à qui rien ne manque, avait besoin d’eux. Découverte extraordinaire s’il en est que celle-ci! Le bonheur de Dieu passe par notre adoption filiale! Les disciples n’ont pas cherché ce que cela leur apporterait, ni même leur bonheur. Ils ont, au fond de leur conscience, reconnu que c’était là que se trouvait la vraie joie: donner sa vie pour celui qu’on aime (Jn 15, 13), pour son bonheur. C’est peut-être cela que la Parole du Christ a éveillé en chacun des disciples, ce désir d’aimer Dieu pour lui et d’être aimé de Lui parce que c’est là son bonheur. Alors ils ont répondu en se donnant et en suivant le Verbe incarné.

Et cet appel nous est adressé. En général, avant de nous donner, nous calculons le pour (ce que cela va nous apporter) et le contre (ce que cela va nous demander) et nous cherchons un compromis. Or avez-vous remarqué combien l’invitation du Christ est de celles avec lesquelles on ne peut biaiser? Et qu’elle réclame le don de toute notre personne? On ne peut y répondre que par oui ou par non. Il n’y a pas une virgule que l’on pourrait intercaler entre le Suis et le moi pour, en changeant un peu le sens, en adoucir le caractère absolu. Il n’y a pas d’amendement à ajouter pour obtenir un accord acceptable, un accord diplomatique. Il n’y a que Dieu qui puisse appeler d’une telle manière, et il n’y a qu’à Lui que nous puissions faire une telle remise de notre personne mais reconnaissons humblement que cela nous fait peur. Alors nous sommes tentés de contrebalancer le Suis-moi par le je ferai de toi un pécheur d’hommes. Nous sommes prêts à acquérir de multiples compétences, c’est un peu notre amendement au traité. Nous sommes plus à l’aise, cela a un petit côté professionnel qui n’est pas pour nous déplaire et ce d’autant plus que c’est pour la bonne cause. Tout cela est important et même nécessaire mais seulement si nous comprenons comme Augustin qu’il faut mieux ;connaître pour mieux aimer.

Si, de générations en générations l’appel du Christ nous a été transmis par ces fameux pécheurs d’hommes, c’est que ceux-ci étaient plus des intimes du Christ que des professionnels de la Parole. Et là, vous me pardonnerez, mais je ne pouvais m’empêcher de penser à la figure de S. Dominique. Certes, il était très bien formé, il connaissait très bien les livres saints. Mais, surtout, il s’est laissé regarder par le Christ, il l’a aimé passionnément. Et il a découvert que le cœur de Dieu avait besoin des hommes, de tous les hommes et c’est devenu sa grande inquiétude. Il en était si taraudé que c’était devenu sa prière. C’est ainsi que l’évangile a peu à peu pris corps en lui. L’évangile de la Vie est passé de sa tête à son cœur et de son cœur à ses mains et c’est cela qui a touché ses contemporains.

Pour nous aussi les temps sont accomplis : Aujourd’hui encore le Christ vient nous dire que Dieu a besoin des hommes. Saurons-nous écouter la voix du Fils Bien-Aimé ou lui fermerons-nous notre cœur?