Homélie du 6 septembre 2015 - 23e DO

Il est celui qui ouvre, et personne ne fermera
(Ap 3, 7/ Is 22,22)

par

fr. Gilles Danroc

Qui est-il donc notre Sauveur sinon Celui qui ouvre à la vie, à la vie véritable? N’a t-il pas ouvert – grandes ouvertes – les portes du Royaume étincelant de beauté en ouvrant les bras sur la croix où il a été défigure ? Élevé de terre – sur la croix en sa Résurrection et son Ascension auprès du Père – n’est-il pas Celui qui attire tout à Lui?

En Son jour contemplons le Sauveur du monde, Jésus Ressuscité qui ouvre grand – Effata – le Salut et l’offre à l’humanité entière. L’Évangile de l’Effata est la Bonne Nouvelle de la vie et du salut donnés par Jésus au monde, car il n’est pas venu pour condamner mais pour sauver. En pleine Décapole Jésus est en territoire païen où stationne la légion romaine. Il est bien le Messie annoncé aux fils d’Israël par le prophète Isaïe : Il vient lui-même et va vous sauver (1re lecture). Mais le salut déborde les frontières d’Israël pour rejoindre un sourd anonyme, figure de toute l’humanité enfermée sur elle-même. Devant ce handicap qui n’est pas une maladie, posons-nous la question que le monde ne veut plus entendre : Sommes-nous aujourd’hui une humanité enfermée sur elle-même, sûre de son autonomie et de sa liberté, capable de se sauver elle-même en réduisant tous les handicaps et en dépassant toutes les limites? Le salut n’est pas autre chose que le progrès des sciences et des techniques. L’avenir doré nous appartient si nous résorbons les dysfonctionnements. La croissance va résoudre le chômage, ouvrir des écoles, des hôpitaux, augmenter sans cesse la durée de vie. Nous ne sommes pas sourds puisque notre propre parole a conquis l’univers. Toute autre parole – viendrait-elle de Dieu – ne peut que nous contraindre, nous aliéner, empêcher notre liberté.

Une telle réponse contemporaine, où tout n’est pas à rejeter, est une fin de non recevoir à la parole de Dieu et à toute parole qui vient d’ailleurs, poésie comprise. Justement, devant tout ce qui ne va pas dans un monde qui se croit tout puissant, le prophète Isaïe réveille l’espérance, casse la (l’auto) suffisance d’un monde qui croit abolir les limites et les handicaps : N’ayez pas peur, Dieu va venir lui-même et l’eau va jaillir de vos déserts.
Devant un sourd anonyme en terre païenne, qui nous représente tous, Jésus, à l’écart de la foule, effectue le geste et la parole qui ouvrent et qui sauvent. Effata, ses oreilles, sa vie, son être s’ouvrent à la nouveauté du Salut : Il fait entendre les sourds et parler les muets. Tous ceux qui acceptent de reconnaître qu’ils sont orgueilleusement enfermés sur eux-mêmes et qui reçoivent en pleine vie l’Effata du Seigneur, ceux-là sont porteurs de sa parole pour le monde et l’Évangile est annoncé jusqu’aux limites du monde. Magnifique réponse chrétienne à notre monde d’aujourd’hui.

J’en étais là de ma méditation quand, au sortir de camp de jeunes chrétiens, j’ai rencontré un jeune homme de 9 ans et demi que j’appellerai Thomas. Il a fini par me dire : « On me demande d’ouvrir mon cœur à Jésus, j’essaie mais je n’y arrive pas. » En pensant que les autres y arrivaient, il avait les larmes aux yeux. Mais il a compris que tout le groupe était dans le même cas. Patatras, toute ma belle méditation s’effondrait devant ses larmes. J’ai entendu des centaines de prédications « ouvrez vos cœurs », des cantiques « ouvrez vos cœurs au souffle de Dieu », toutes ces paroles de mamans chrétiennes « Jésus est dans ton cœur ». Et tout cela est vrai. Sauf les larmes de Thomas.

Alors, en pensant à l’Effata de Jésus, nous avons lu les lectures d’aujourd’hui. Avec la lettre de Saint Jacques Thomas a cessé de pleurer, ses yeux se sont littéralement ouverts. Ouvrir son cœur, ce n’est pas avec sa tête ou ses sentiments. Ouvrir son cœur c’est accueillir concrètement le pauvre au nom de Jésus. Et Thomas est reparti, presque pressé, le regard clair. Je crois qu’il s’ouvrait.

Je vous redis la merveille : Écoutez donc, frères et sœurs bien-aimés, écoute Thomas, Dieu lui-même n’a t-il pas choisi ceux qui sont pauvres aux yeux du monde pour en faire des riches dans la foi et des héritiers du Royaume promis par Lui à ceux qui l’auront aimé? (Jc 2, 5). Soudain les écailles nous tombent des yeux : notre culture s’enferme dans son autonomie parce que nos cœurs se sont embourgeoisés. La vie chrétienne est concrète. Elle rend visible l’amour invisible de Dieu en nous :
[|« Quand t’avons-nous vu affamé, prisonnier, nu ou malade? » (Mt 25)|]

Alors l’ouverture du cœur c’est quoi ? Pour ouvrir les yeux je vous propose de vérifier un curseur de vie. D’un côté, soi et les siens. De l’autre, le pauvre et l’autre. À la louche, faites 50/50 et examinez votre vie. Combien de temps, d’intelligence et d’amour suis-je en train de donner à moi et aux miens, à ceux qui vivent comme moi, ou, mieux, d’intelligence à ceux qui réfléchissent comme moi, de cœur, d’attention, d’argent et de prière à ceux qui répondent et prient comme moi ? Suis-je capable d’écouter et de voir le pauvre qui appelle, le malheureux qui est sans aide, au lieu de déverser mon savoir, mon avoir et mon pouvoir?

Où est le curseur? Soyons réalistes. Temps, intelligence, attention du cœur, les saints ont approché les 50/50 ou plus si affinité avec l’Esprit Saint.

Accrochez sur tous vos portails, portes d’entrée et sur votre frigidaire un autocollant EFFATA!
Voici le code de vos comptes, de vos coffres : EFFATA!

En y repensant maintenant, Thomas est parti avec le sourire.