Homélie du 17 décembre 2000 - 3e DA

Jean Baptiste ou l’humanité accomplie d’un ascète

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Parlons franchement. Je ne sais pas si vous partagez mon sentiment mais je trouve notre Jean Baptiste un peu pâlichon. Oui: pâlichon, timide si vous préférez. En comparaison des réformateurs d’aujourd’hui, rabbins orthodoxes, talibans et autres excités, notre Jean Baptiste a quelque chose de retenu qui me surprend.

Il annonce la venue imminente du Messie. Nous, nous attendons son retour. Or, dites-moi un peu: comment le Messie pourra-t-il tolérer aujourd’hui le désordre établi? Comment la paix de Dieu pourra-t-elle régner à Jérusalem et dans les territoires occupés si les soldats restent soldats? Comment l’Emmanuel pourra-t-il s’accommoder d’une mondialisation qui sacrifie tant d’innocents, si les hommes d’argent continent à trafiquer avec l’argent? Préparer les chemins du Seigneur au temps de Jean Baptiste, construire le Royaume de Dieu aujourd’hui, n’est-ce pas lutter contre les trafics d’armes et toutes les spéculations? Pour les contemporains du Baptiste comme pour nous, la venue des derniers temps, n’exige-t-elle pas de grands bouleversements?

Permettez-moi d’actualiser parce que Noël n’est pas pour nous une fête pieuse et familiale, tournée vers le passé. Les chrétiens ne marchent pas à reculons. Les chrétiens ne sont pas non plus des animistes aux rites cycliques, reprenant chaque année les mêmes fêtes, au rythme des saisons. Pour nous l’histoire n’est pas circulaire, elle est linéaire et irréversible. Elle a commencé et elle finira! Nous rappelons la venue du Messie parce que nous attendons son retour définitif. Le passé est avant tout un élan vers l’avenir car l’incarnation du Verbe en Jésus de Nazareth est le point de saisie du cosmos tout entier. L’histoire aura une fin, un accomplissement et, de même que Jean Baptiste préparait les chemins du Messie, nous travaillons, nous, au Royaume de Dieu. Nous attendons la Parousie, la manifestation triomphale du Ressuscité. Nous croyons qu’il achèvera et récapitulera en lui tout l’univers.

Dans cette perspective, découvrir que Jean Baptiste est mesuré, me fait prendre conscience, dans la cacophonie des exaltés, qu’il y a dans la foi chrétienne un équilibre et une retenue, une limite et un respect, qui n’ont pas d’équivalent chez les activistes, religieux ou laïcards.
Tenez par exemple, à la différence de tous les intégristes contemporains, nos fanatiques ne sont pas armés.

Je disais que le discours de Jean Baptiste est modéré. Or c’est un discours social, vous l’avez remarqué! Certes, Jean Baptiste est fils de Zacharie, prêtre de Jérusalem, mais il ne parle jamais du Temple ni ne s’intéresse aux sacrifices sanglants. Je résume son programme: partagez et ne faites pas d’excès. «Celui qui a deux vêtements, qu’il partage avec celui qui n’en a pas; celui qui a de quoi manger, qu’il fasse de même!» Donc, partagez les biens les plus élémentaires: vivres et vêtements. Au collecteurs d’impôts, il demande de se satisfaire de la marge fixée; aux soldats, de se contenter de leur solde. C’est tout. J’en connais beaucoup qui auraient dit aux militaires: changez de métier, devenez non-violents et aux collecteurs d’impôts: entrez en dissidence, cessez de collaborer! Mais Jean Baptiste est celui qui sait accepter l’autre comme différent. Tout, décidément chez lui, est dans la limite consentie. Il ne cherche pas à transformer le monde en un immense couvent! Cela serait si bien, pourtant!

A l’opposé du fanatique qui détruit l’autre ou cherche à le conditionner, Jean Baptiste reçoit l’autre, tel qu’il est. Il a compris qu’il faut lui laisser de la place: préparer ses chemins, c’est se préparer à l’accueil. Il limite son propre champ pour que l’autre puisse se manifester. «Il faut qu’il grandisse et que je diminue». Il s’efface, comme devant une porte, on s’efface pour introduire quelqu’un. Il jeûne et il s’affaiblit, se préparant à recevoir (Mt 11, 18). Le Baptiste est célibataire mais il sait accueillir et respecter celui qui vient après lui.

Jean Baptiste est donc impressionnant d’humilité et de discrétion. Il ne se prend pas pour le Messie, pas non plus pour son maître ou son initiateur (Jn 3, 27-30). Il ne prétend pas accélérer sa venue par sa prédication. Il sait que le don de Dieu s’accueille mais ne se produit pas. C’est un homme de désir mais il reste patient. Il est la voix qui indique le Verbe. Il est la lampe qui annonce le soleil levant. Il est l’ami qui introduit l’Époux. Il ne se confond jamais avec celui qu’il annonce et qu’il attend.

Finalement, Jean Baptiste est celui qui accepte pleinement la condition humaine. Il n’attend pas Dieu aux extrêmes. Il vit dans le désert mais il n’est pas un fakir. Il mène une vie proche de la nature, en homme libéré, simplifié, humanisé. Avec sa peau de chameau, son miel sauvage et ses criquets, il est une sorte d’Adam primitif, un grand innocent. Comme Moïse, il conduit le peuple au désert. Comme Josué, il lui fait franchir le Jourdain pour entrer dans la terre promise, près de Jéricho. Il reprend les symboles historiques de l’exode et de la Pâque pour conduire le peuple à une démarche de conversion. Jean Baptiste a deux intuitions, étroitement liées: le Christ ne vient pas au terme de ses efforts et la réconciliation avec Dieu est un don gratuit. A l’opposé de ce qu’imaginent les pharisiens, le salut n’est pas le trophée des champions de la loi, mais un pur cadeau, offert aux grands pécheurs quand ils reviennent humblement vers Dieu.

J’insiste donc sur ce point, mes amis: ne croyons pas non plus que le Christ se manifestera comme le résultat de notre agitation. Notre défaut est d’en faire beaucoup trop et notre hyperactivité nous sert d’alibi pour ne pas même apercevoir notre voisin immédiat.

Même si nous faisons pâle figure en comparaison de beaucoup d’excités, respectons les limites de notre condition. Nous n’avons pas à être des surhommes toujours géniaux! Être limité n’est pas un péché, c’est la condition d’humanité! Or il s’agit justement d’accueillir un Dieu qui se fait humain! Comme Jean Baptiste, laissons de la place à l’autre, partageons ce que nous avons et transformons nos relations humaines, même limitées, en relations d’amour, c’est ainsi que nous serons prophètes, c’est ainsi que nous deviendrons des dieux (Jn 10, 31-39; 17, 21).