Homélie du 21 avril 2000 - Vendredi Saint

« La clef du Royaume »

par

fr. Augustin Laffay

Nous sommes en prison! Le monde est une prison depuis le jour où le Seigneur Dieu «chassa l’homme et posta, à l’orient du jardin d’Éden, les chérubins et la flamme du glaive tournoyant, pour garder le chemin de l’arbre de vie» (Gn 3, 24). Depuis ce jour-là les hommes cherchent la sortie, ou plutôt ils cherchent à s’en sortir. Ils cherchent un salut à ras de terre, un salut horizontal, une échappatoire à la mort. Certains, paraît-il, souscrivent même des assurances vie, c’est-à-dire des assurances qui garantissent tout sauf qu’on vivra. Mais les petits panneaux électrifiés «sortie» qui surplombent toutes les issues de cette église disent bien ce que valent les «sorties» de l’homme sans Dieu. Ces panneaux n’indiquent aucune sortie véritable et par conséquent unique et définitive. Empruntez-les et vous verrez! Vous sortirez en direction de vos voitures, d’où vous sortirez en direction de vos maisons, de vos bureaux, d’où il vous faudra encore sortir: on tourne en rond. Oui, vraiment, nous allons mourir en prison.

La vérité, c’est que seul Dieu peut nous conduire à Dieu. Seul Jésus-Christ, vrai Dieu et vrai homme, peut étancher notre soif de vérité, de lumière, de libération. Lui seul peut, dans un même mouvement, briser les portes de notre prison et ouvrir la porte du Royaume. Mais «le monde ne l’a pas reconnu» (Jn 1, 10). Dieu offre aux hommes le salut éternel en son Fils alors que le monde se contente d’assurances. Il offre à la postérité d’Adam d’entrer au Ciel alors que les hommes se contentent de fausses sorties, de divertissements. Le point crucial, c’est l’acceptation ou le refus du moyen que Dieu a voulu pour nous guérir du péché et de la mort et pour nous faire revenir jusqu’à Lui. Pour être sauvé, pour être libéré, il faut en effet embrasser la croix de Jésus-Christ dressée sur la montagne du Calvaire. Cette croix est la clef qui ouvre la porte du Royaume.

La croix est donc une clef. Comme toutes les clefs, elle possède une forme plutôt fantastique. Une personne qui n’aurait jamais vu cet objet aurait du mal à deviner ce qu’il peut être. Dans les calculs auxquels se livrent les hommes, plus le bien que l’on cherche à préserver est précieux, plus la clef qui protège ce bien présente un dessin compliqué. Dans le plan de Dieu, il en va autrement. Il n’existe pas de bien plus précieux que le Ciel, la Vie éternelle, la Vision bienheureuse de la Face de Dieu. Pour protéger ce bien qui surpasse tout bien, Dieu a eu l’idée de la clef la plus simple qui puisse être: le bois mort, l’arbre nu de la croix. Cet arbre ne porte ni feuilles, ni fleurs, ni bourgeons. Son seul fruit est cloué à ses branches: le Corps infiniment saint de Jésus-Christ. Ce qui déconcerte et rebute tant d’hommes, dans la croix du Christ, c’est justement cette simplicité. Pour réaliser la clef de notre salut, nous nous y serions pris bien autrement! Il y a deux mille ans, le peuple élu s’y est trompé. Il n’a pas vu que cette simplicité annonçait la gratuité et l’universalité du salut.

Une clef n’est pas objet de discussions. On attend seulement d’elle qu’elle remplisse son office, qu’elle soit la bonne clef: elle va ou ne va pas, elle ouvre ou n’ouvre pas. Toute notre espérance est suspendue à Jésus cloué sur le bois de la croix. Si aujourd’hui le bon larron entre vraiment avec le Christ dans le Paradis, alors les portes de notre prison sont brisées à tout jamais.

Dans un instant nous allons entendre le long récit de la Passion selon saint Jean. Laissez ces mots tourner et retourner en vous, comme une meule passe et repasse sur le grain. Laissez ces mots broyer, écraser vos cœurs de pierre. Et après ce récit, après avoir élargi notre prière aux dimensions de l’univers, quand la clef de notre salut – la croix de Jésus-Christ – aura été déposée au pied de cet autel, venez l’embrasser. Approchez-vous avec des cœurs humbles, brisés, contristés; avec des cœurs de chair. Venez plonger vos mains et vos bouches dans le sang de l’Agneau immolé. Ne vous laissez pas rebuter. Il ne faut pas que le sang de la croix nous fasse mal au cœur. Venez tous, les vieux, les jeunes, les malades, ceux qui font la manche et ceux qui donnent à la quête. Que les mamans amènent les bébés. Il n’y a pas d’autre «sortie», il n’y a pas d’autre salut que celui offert sur cette croix. Venez et attendons dans l’espérance. Au matin de Pâques, la porte va s’ouvrir sur le jardin de la Résurrection. Cette porte, une fois ouverte, nul ne peut la fermer (Ap 3, 8).