Homélie du 17 mars 2002 - 5e DC

« La résurrection de Lazare »

par

fr. Alain Quilici

Aujourd’hui Lazare!

Aujourd’hui Lazare est mort!

Aujourd’hui Jésus est confronté à la mort. Pas à la mort en général, pas au problème philosophique de la mort, mais à la mort d’un ami. Cet événement tellement inimaginable et pourtant si réel. Cet événement qui jalonne notre vie d’homme et qui va en se multipliant à mesure que l’on avance en âge. Jusqu’au jour qui nous paraît si improbable où ce ne sera plus de la mort des autres qu’il s’agira mais de la nôtre.
Et sur cette question, je n’ai rien à dire. Personne n’a rien à dire, faute d’expérience. Seul Jésus peut parler de la mort au passé: J’étais mort et me voilà vivant, dit-il dans l’Apocalypse.
Lazare lui-même n’a rien à dire de ce qu’ont été pour lui ces trois jours au tombeau. A proprement parler, pour lui il ne s’est rien passé!

Aussi est-ce plutôt l’attitude de Jésus qui nous intéresse dans le récit de ce qu’on appelle improprement la résurrection de Lazare. Il vaudrait mieux dire son rappel à la vie.

Ici, me semble-t-il, Jésus répond à la question déterminante et fort débattue de savoir si, tout en étant parfaitement homme en toutes choses excepté le péché, Jésus avait en même temps la claire vision du Père?
Autrement dit: était-il dans la nuit, comme nous le sommes nous-mêmes face à la mort? Ou avait-il la claire vision de la vie éternelle, de la résurrection de la chair et de la communion avec Dieu au sein de la Sainte Trinité?

Nous tenons, en effet, que Jésus n’a pas joué à l’homme. Il a été vraiment homme comme nous le sommes. Et comme homme, il ne pouvait pas voir ce que nous-mêmes ne voyons pas. Comme nous, il était dans la nuit et faisait confiance à son Père. Ce qui apparaît au maximum dans le cri déchirant qu’il lance du haut de la croix: Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné?

Mais puisqu’il est vraiment Dieu comment n’aurait-il pas la connaissance que Dieu a de toutes choses? Comment ne serait-il pas toujours dans la lumière de la Sainte Trinité?

S’il ne voit rien, il n’est qu’homme!

S’il voit clairement, il est trop Dieu!

À moins que, mystérieusement, les deux ne soient compatibles. À moins que Jésus ne connaisse en même temps la pleine lumière de la Trinité et l’obscure interrogation de l’humaine condition?

Et c’est bien ce qui apparaît dans le récit qui vient de nous être proclamé.
Qu’il soit vraiment homme, Jésus le manifeste par le trouble qu’il connaît, par les larmes qu’il verse, par le désarroi qu’il laisse voir face à la mort de son ami et à la peine de Marthe et de Marie.
Mais qu’il soit Dieu et qu’il voie clairement le plan de Dieu, il le déclare lui-même quand il se réjouit à l’avance de cette mort qui est pour la gloire de Dieu. Il le montre quand il affirme à ses disciples que Lazare s’est endormi et qu’il va le réveiller. Il le montre de façon plus convaincante encore quand il dit qu’il est lui-même la résurrection et la vie.
Et dans l’intense prière que Jésus adresse au Père avant de tirer Lazare du tombeau comme le Créateur tire le vivant de la terre, Jésus manifeste qu’en lui sont réunis et inséparable, l’homme qui cherche et Dieu qui sait; l’homme qui fait confiance et Dieu qui agit:
Je savais bien, moi, que tu m’exauces toujours, mais si j’ai parlé, c’est pour cette foule qui est autour de moi, afin qu’ils croient que tu m’as envoyé!

L’homme prie le Père de bien vouloir exaucer sa prière.

Dieu sait ce que sait le Père.

L’homme demande. Dieu le fait.

Évidemment pour nous, pauvres croyants de la base, nous avons du mal à comprendre comment sont compatibles tant de lumière et tant d’obscurité, encore que nous sachions bien que lorsque la lumière révèle des ténèbres, elles n’en sont que plus terribles!
Mais il a été donné à un certain nombre de saints, non pas de communier à ce mystère, mais d’en approcher et parfois de très près.

Sans doute la Vierge Marie au pied de la croix, qui vit en même temps le déchirement de son cœur de mère seule au plus haut de la douleur et la paix d’une foi absolue fondée sur tout ce qu’elle a vécu.

Et plus proche de nous, c’est aussi l’expérience que fait sainte Thérèse de l’Enfant Jésus. Elle le dit souvent: elle voit le ciel, le beau ciel avec Notre Seigneur au milieu des saints et des anges, et elle vit dans la nuit, une nuit si obscure qu’elle la compare à un tunnel sans fin.

Écoutez cette confidence faite à sa sœur, Mère Agnès, trois mois avant sa mort: «J’ai lu un beau passage dans les Réflexions de l’Imitation (…) Notre Seigneur au Jardin des Oliviers jouissait de tous les délices de la Trinité, et pourtant son agonie n’en était pas moins cruelle. C’est un mystère, mais je vous assure que j’en comprends quelque chose par ce que j’éprouve moi-même.»

Et nous-mêmes, mes frères, n’est-il pas vrai que la lecture assidue des Écritures, la pratique des sacrements et notre vie liturgique nous donnent des Mystères de Dieu une modeste mais indéniable connaissance qui illumine notre vie, tout en nous laissant dans la nuit la plus noire et dans la foi la plus totale?

Jésus, aujourd’hui, face à la mort de son ami Lazare, en nous laissant entrevoir ce qu’il vit et qui restera toujours pour nous un mystère insondable, nous fait comprendre quelque chose de ce que nous vivons.
Tels les disciples d’Emmaüs, nous avons le cœur brûlant au contact du cœur de Dieu et pourtant nos yeux sont empêchés de le voir.
Telle est notre situation de croyants. Elle est fondée sur ce que Jésus est: vrai Dieu et vrai homme!

Amen.