Homélie du 16 avril 2000 - Dimanche des Rameaux

« L’allégresse de ceux qui ne savent pas »

par

fr. Henry Donneaud

Quel contraste entre l’allégresse triomphale des Rameaux et la brutale nudité du Vendredi Saint! Quel contraste entre la joyeuse procession qui nous a conduit ici et la Passion que nous allons maintenant entendre!

Il serait trop facile d’accuser la foule versatile, comme si ceux qui chantaient aujourd’hui étaient les mêmes qui huaient plus tard.

En fait, il y a ceux qui n’étaient pas là, le jour des Rameaux, et qui crurent triompher peu après. Et il y a ceux qui acclamaient Jésus en son entrée à Jérusalem et qui se dispersèrent bientôt dans la peur.

Les premiers sont ceux qui croient savoir.

Les moralisateurs: «A quoi bon ce gaspillage de parfum? Ce parfum pouvait être vendu trois cents deniers et donné aux pauvres (Mc 14, 5). A quoi bon tous ces fastes; l’Église pourrait se montrer plus sobre.»

Les savants: «Qu’avons-nous encore besoin de témoins? Vous avez entendu le blasphème (Mc 14, 63-64). Nous savons, nous, que cet homme n’est pas le Christ, le Fils du Béni, mais un imposteur. Car Dieu n’agit pas ainsi. Il ne peut pas se faire homme; il ne peut ni souffrir ni mourir. Ce serait contraire au bon sens et à la raison.»

Les habiles, ceux qui savent manier et flatter les foules, en s’adaptant au goût du jour et des modes. C’est ainsi que Pilate, voulant contenter la foule, leur relâcha Barabbas et leur livra Jésus pour être crucifié (Mc 15, 15).

Et puis il y a les autres, ceux qui ne savent pas, ceux qui tentent de croire, ceux qui veulent croire mais qui chancellent dans la foi, et qui tombent.

Ceux là ont entouré Jésus avec enthousiasme, au Jour des Rameaux. Ils l’ont chanté, acclamé. Ils mettaient en lui toute leur espérance, une espérance maladroite, enfantine, une espérance de pauvres, mais une espérance si vive, si ardente: Hosanna au Fils de David! Ils ne savaient pas, mais ils croyaient, ils espéraient. Ils n’avaient guère confiance en eux-mêmes, – sinon Pierre, un peu hâbleur, quelques instants – mais ils espéraient en Jésus. Ils s’abandonnaient à lui, en le suivant, joyeusement.

Puis vient l’épreuve, la tribulation, la débandade. A Gethsémani, ils n’eurent pas la force de veiller une heure avec Jésus (Mc 14, 37); ils ne savaient que lui dire (Mc 14, 40). Et l’abandonnant, ils s’enfuirent tous (Mc 14, 50).

Dans la cour du Sanhédrin, Pierre le renia trois fois, et il éclata en sanglots (Mc 14, 72).

Au Golgotha, aucun d’eux n’était là, sinon quelques femmes qui regardaient à distance, entre autres Marie de Magdala (Mc 15, 40).

Non vraiment, ils ne savaient pas. Ils avaient espéré. Ils ne comprenaient plus.

Ce contraste entre allégresse et misère, entre espérance et désillusion, il est nôtre, aujourd’hui encore.

Contraste pour chacun de nous, partagés que nous sommes entre la ferveur lumineuse de la vraie foi, et la tiédeur persistante du péché qui nous tient comme à distance de la vraie charité.

Contraste pour l’Église tout entière, au long de son pèlerinage sur la terre. Elle processionne depuis 2000 ans à travers le monde; chaque dimanche, chaque jour, elle acclame son Roi et son Sauveur, qui se tient au milieu d’elle: Hosanna, béni soit celui qui vient au nom du Seigneur! Mais chaque jour, aussi, elle subit l’épreuve, la contradiction. Contradiction extérieure de ceux qui ricanent d’elle, de ceux qui croient savoir qu’elle n’est qu’une marâtre aigrie et fanatique. Contradiction intérieure du péché de ses enfants, qui macule et blesse sa beauté au point de la défigurer.

Ainsi en sera-t-il jusqu’au jour de la Pâques éternelle, jusqu’au jour où le Seigneur viendra prendre possession de son règne en pleine lumière. Jusque là, nous ne saurons pas, nous ne comprendrons pas. Jusque là, il nous faudra croire, espérer, aimer, tant bien que mal, dans une alternance de joie et d’échec, d’acclamations et de lamentations. Jusque là nous ne saurons rien. Ou plutôt, nous ne saurons rien, sinon Jésus-Christ et Jésus-Christ crucifié (1 Cor 2, 2).

Aussi, en cette sainte semaine qui résume toute notre vie, toute la vie de l’Église ici-bas, ne prétendons pas savoir. Tels les enfants des Hébreux, suivons Jésus, acclamons-le et pleurons nos péchés qu’il porte sur son dos, réjouissons-nous et supplions-le dans la nuit de nos coeurs. Regardons-le, lui, et lui seul, Jésus crucifié, en qui sont cachés tous les trésors de la sagesse et de science de Dieu (Col 2, 3).

 

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