Homélie du 28 février 2016 - 3e Dimanche de Carême (A)

L’avènement d’une révélation (la Samaritaine)

par

fr. Édouard Divry

Cette homélie a été donnée à la messe de 10h30 le dimanche 28 février 2016, en présence des catéchumènes qui vivaient leur premier scrutin.

Les lectures étaient celles de l’Année A:
-* Ex 17, 3-7
-* Rm 5, 1-2.5-8
-* Jn 4, 5-42

Un homme, une femme. Mais quel homme ! Quelle femme ! L’homme c’est le Nouvel Adam venu pour nous sauver. Il est né de Marie sans assumer ni le péché ni le fonds du péché pour mieux réaliser sa mission de salut. La femme, c’est une descendante d’Adam et d’Ève, marquée, ô combien !, par les conséquences de la faute originelle, allant de passion en passion, et s’épuisant dans une affectivité déréglée, pesante : une galère que cette vie dans laquelle désormais elle gît !

Le Nouvel Adam est venu pour détruire les œuvres du diable (cf. 1 Jn 3, 8). Il a assumé notre humanité dans tout ce qu’elle possède, dans toutes les conséquences physiques de ce qu’est devenu Adam après la chute. Après la faute, Adam a une vie pesante (cf. Gn 3, 19), et Jésus la ressent : il est fatigué, il s’assoit sur la margelle du puits, il a soif. À d’autres moments il aura faim, il pleurera, il souffrira, il accepte la condition d’Adam dans toutes ses dimensions, sauf le péché, sauf le foyer du péché. Il est venu détruire ces œuvres-là en nous par la victoire de la Croix, de sa Résurrection d’entre les morts. Et c’est à cela que le cheminement du Carême, ainsi réalisé par étapes, veut nous conduire, c’est-à-dire au triomphe de Jésus-Christ en nous.

La femme est triplement désavantagée vis-à-vis de Jésus : d’abord elle est Samaritaine, ensuite, elle est femme – les disciples sont étonnés que Jésus parle avec une femme – ; et troisièmement, elle est dans un service de pauvre : elle va au puits à midi, à l’heure où l’on ne rencontre pas la plupart de ceux qui viennent puiser. Sans doute, elle a peur, elle se cache, elle ne veut pas rencontrer les relations de ses anciens amants, de ses anciens concubins.

Jésus, lui, est juif ; il est homme ; et il est chef : il a 12 disciples qui vont lui chercher de quoi manger dans la ville de Samarie. La disproportion est immense ! Les Samaritains, dit l’Évangile, n’ont pas de relations avec les juifs, et les Samaritains du temps de Jésus sont doublement dans une dimension d’infériorité, car il sont issus de ce schisme qui a eu lieu sous la royauté du petit-fils de David. C’était à l’époque du roi Roboam, lorsque Jéroboam est parti avec les tribus du Nord, Samarie-Israël, plus de dix tribus l’ont suivi… seul est resté fidèle le noyau du Sud, dont Juda. Et voilà que les Samaritains ont toujours été comme une force d’opposition par rapport au Royaume du Sud, le Royaume où se trouve Jérusalem, la Bien-aimée !

Le royaume des Samaritains, en outre, a été détruit au VIIIe siècle (722 avant J.-C.), et la plupart d’entre eux sont partis en exil, portés par les Assyriens dans d’autres contrées. Ceux-ci ont peuplé alors la Samarie avec des tribus étrangères qui ont adopté le dieu des Samaritains, mais non pas en appartenant à la lignée de la descendance israélite, mais par le fait d’une sorte de cooptation : on les appelle les Kousheans (ou Kuthim), c’est un terme méprisant, ils sont donc doublement méprisés ces Samaritains. Il faut se rendre compte de cela pour saisir le geste de Jésus qui parle à cette femme : c’est ahurissant ! Jamais un juif – que l’on reconnaît au premier coup d’œil, par son accoutrement, la façon de tenir ses cheveux, sa barbe, la fierté de son allure – et bien, jamais un juif ne parle à un Samaritain, et encore moins à une Samaritaine ! Stupéfaction ! Jésus brise là un tabou : il accepte de rencontrer cette femme et de la regarder. Un regard d’amour, un regard qui l’invite à accepter l’eau vive que Jésus veut lui donner.

Cette pédagogie de Jésus est extraordinaire, réalisée en trois temps : l’eau, ensuite le déficit matrimonial, et puis la vraie religion jusqu’à affirmer privément qu’il est le Messie.

1. C’est par l’eau que Jésus rejoint la Samaritaine là où elle peine, dans son œuvre quotidienne. Le grand théologien de l’Antiquité chrétienne, Origène, aimait dire que Dieu nous rejoint dans nos habitudes. Et voilà que la Samaritaine va au puits comme d’habitude ; cela pèse en elle ; c’est le pouvoir érosif du temps, du quotidien qui pèse sur elle, comme pour nous ; et elle demandera à Jésus, dans cette conversation, d’être libérée de ce poids corrosif du journalier. Jésus lui demande à boire, et devant sa réponse interloquée, il lui dit : « Si tu savais le don de Dieu et celui qui te parle, c’est toi qui aurais demandé, et il t’aurait donné de l’eau vive ! » (Jn 4, 10). Jésus veut la hisser de ce quotidien, vers une autre réalité, la réalité d’en haut, qui fait que tous les déserts peuvent par la bénédiction de Dieu se transformer en eau jaillissante. Quatre fois le prophète Isaïe le répète, que le désert de la steppe sera par la puissance de Dieu transformé en source d’eau vive. Et c’est Jésus qui donne cette source d’eau vive, c’est Jésus qui est cette source. Il dira dans le Temple de Jérusalem, quelques temps après : « Si quelqu’un a soif, qu’il vienne à moi, et qu’il boive ; celui qui croit en moi, de son sein couleront des eaux vives.» (Jn 7, 37-38). Ces eaux vives, c’est le Saint-Esprit donné par la puissance du Christ sauveur, et qui sera donné à ces personnes qui, la Nuit de Pâques, vont s’avancer vers le prêtre, et qui, de catéchumènes, vont devenir des baptisés, plongés dans l’eau, dans la mort du Christ, et ressuscités avec le Christ, illuminés par le Saint-Esprit. Voilà ce que souhaite Jésus pour la Samaritaine, mais il y a un blocage.

2. Et c’est la vérité morale qui se trouve aussitôt mise en lumière, après cette étape pédagogique de passer par le quotidien. Veritatis splendor, c’est la splendeur de la vérité qui jaillit ! Jésus dit toute la vérité à cette femme en lui demandant d’aller chercher son mari. Elle en est à son 6e concubinage, et elle réalise que Jésus dit vrai ; c’est à travers cette vérité morale que le reste des Samaritains va commencer à croire. Étape, donc ô combien importante, que nous réalisons bien des fois lorsque nous nous confessons, où nous retournons vers le Seigneur en rétablissant l’ajustement moral de notre vie à la vie que Dieu nous indique.

3. Troisième étape : la religion vraie. Le concile Vatican II n’a pas eu peur de dire que l’Église est la « religion vraie » (cf. Dignitatis humanæ, n° 1). Et Jésus n’a pas peur de dire que le Salut vient des Juifs. Il est juif ! Tous ses disciples sont juifs ! La Vierge Marie est juive. Le Salut vient de Juifs. Et pourtant Jésus veut la conduire plus loin par rapport à cette opposition entre Samaritains et Juifs. Il montre qu’il y a une adoration « en esprit et en vérité » (Jn 4, 24). Cette élection qui repose sur le peuple juif n’est pas pour le refermer sur lui-même, mais pour attirer à lui tous les hommes de bonne volonté, pour qu’ils puissent boire à la source. Adorer en esprit et en vérité, voilà ce pourquoi Jésus est venu donner ce Royaume dans l’Esprit à chacun, mais par l’élection : l’élection des juifs, et puis l’élection des chrétiens qui est comme une élection au carré !

« Reconnais, ô chrétien, ta dignité » (Léon le Grand), et admire les œuvres de Dieu, en ce jour du dimanche de la Samaritaine ! Reconnais le don de l’Esprit qui t’a été fait le jour de ton baptême ! Reconnais « les eaux vives qui murmurent en toi : viens vers le Père ! » (Ignace d’Antioche). Amen.