Homélie du 25 novembre 2018 - 34e Dimanche du T.O. (Christ, roi de l'univers)

Le bon sens du roi

par

fr. Philippe Jaillot

Quelques 160 ans avant notre ère. Un temps de persécution subie par le peuple juif. Un certain Daniel et sa prophétie. Un Fils d’homme venant sur les nuées. Puissance, gloire et royauté à ce Fils d’homme… Il va régner à la place de la domination grecque… Sa royauté sera éternelle…

Mais effet de réveil qui sonne ! Quand on ouvre les yeux, rien ne va. Pas de nuée. On cherche la royauté de ce Fils d’homme. L’Évangile nous le montre confronté à son juge. On ne donne pas cher de lui dans ce procès. Début de notre ère et pas de domination du Fils d’homme.
Et il était question de domination éternelle ? Alors aujourd’hui ? Non. La situation n’est pas au mieux. On a l’impression que chacun cherche son roi. Untel la science. Tel autre l’argent. Lui cherche un maître de sagesse. Tel autre un chef d’armée. Lui un humaniste. Et lui, et elle et eux se disent qu’ils sont leur propre chef. Autonomes, disent-ils. Ils se sont débarrassés de tout roi. Et celui-ci, il désespère et ne croit plus en rien. Et celui-là s’acharne amèrement contre tout ce qui semble vouloir régir sa vie et la vie des autres. Sale temps pour les religions.

Et les chrétiens, dans tout ça ? Ils essaient d’apprendre à ne pas se démobiliser, même si leur Dieu semble loin des fascinations de la gloriole. Peut-être grâce à cela, d’ailleurs. Ils apprennent à chercher ailleurs la gloire de leur Dieu. Tout spécialement aujourd’hui, car beaucoup de nos concitoyens vous diront qu’ils se passent bien de Lui. Au fond, c’était déjà cela lorsque la solennité du Christ, roi de l’univers, a été instituée. En 1925, le pape Pie XI constatait la déchristianisation envahissante. La place de l’Église dans la vie sociale et la morale chrétienne étaient mises à mal. La Révolution russe prétendait bâtir une société qui se passerait de toute référence chrétienne. Mais le pape voulait redonner le sens de Dieu sans lequel il estimait que la paix ne pouvait régner.

Il faut pourtant constater que des catholiques eux-mêmes se méfient de ce titre sous lequel ils doivent célébrer leur Christ : « roi de l’universr. J’en ai entendu, en toute bonne foi, qui étaient gênés par cette fête. Une hégémonie chrétienne ? Ceux qui m’en ont parlé, récemment, m’ont dit qu’ils ont tendance à coller à Jésus l’image des rois de France, et ils n’imaginent pas Jésus ainsi. J’ai répondu que, pour ma part, j’assume plutôt bien de ce point de vue l’histoire de notre pays et ses siècles de royauté. Mais surtout, je n’associe pas vraiment le Christ aux rois de la terre. Jésus lui-même donne cette clé de compréhension du titre que Pilate lui octroie : « Ma royauté n’est pas de ce monde. » En ce monde, il y a beaucoup de chefs d’état, de dirigeants du CAC 40, de rois et de reines, de présidents… et l’on attend d’eux qu’ils gouvernent pour le bien de tous, ce qui est loin d’être réalisé. Pour ma part, c’est plutôt mon baptême qui m’aide à associer le Christ et le mot « roi ».
À mon baptême, j’ai été reconnu, appelé à la sainteté, déclaré « prêtre, prophète et roi », rendu capable de vivre en ce monde comme le Christ. Car au baptême, je revêts le Christ.
Et le Christ est Prêtre, celui qui fait entrer dans l’intimité de Dieu. Être prêtre, c’est entrer dans la prière au Créateur et y introduire le plus grand nombre. C’est contribuer à mettre les autres en contact avec Dieu, grâce au Christ qui est notre vie.
Et le Christ est Prophète, l’enseignant de mon âme, celui par qui je sors de la confusion dans mes choix fondamentaux de vie, et celui au nom de qui je témoigne aux autres de ce qu’est Dieu pour notre monde. Grâce à lui, je me nourris de la Parole de Dieu et j’ose l’annoncer au plus grand nombre.
Et le Christ est Roi, celui qui guide notre action pour qu’elle serve la vie de tous. Au baptême, je reçois la grâce de laisser Dieu agir par moi afin que j’exerce mes responsabilités au sein de ce monde, que j’agisse moi-même pour les autres, en vue du bien.

Le roi est celui qui veut agir et transformer le monde. Il est même celui qui peut agir et transformer. Celui qui s’engage du profond de lui-même. Celui qui reste droit en son cœur et en son intelligence. Le roi est droit, frères et sœurs. Même courbé devant son juge, comme le Christ en son procès, le roi est droit.
Il est roi parce qu’il est vrai, il n’y a pas de distance entre son désir d’agir et les moyens qu’il y met. Il est droit parce qu’il cherche la vérité. Il en témoigne. Il écoute, il comprend, il entend. Mais il ne se compromet pas avec la fausseté.
Le roi est droit. Et cela nous redresse. Et cela nous redonne vie. Et cela nous rend dignes. Et cela nous permet de reprendre le dialogue avec ce monde, comme Jésus dialogue avec Pilate, même si c’est à la limite du dialogue de sourds, comme nous, en ce monde, lorsque nous parlons au nom de notre foi en Dieu.
Pilate veut caser Jésus dans son titre de roi, parce que c’est commode. Et quand nous raisonnons comme le monde, nous en faisons autant. Pauvreté spirituelle et paresse intellectuelle, le plus souvent. Or il en faut une âme de chercheur du Dieu grand, lorsqu’on voit un Jésus qui ne semble pas régner, ici, devant son juge, comme nous, lorsque nous sommes confrontés à l’opposition d’un monde qui entend se passer de Dieu. À Pilate qui lui demande : « Qui es-tu ? », Jésus répond : « Mon royaume n’est pas de ce monde ». Non pas que son royaume n’ait pas d’impact en ce monde, ici-bas, mais plutôt qu’il règne au milieu de nous sous une forme qui n’est pas celle du monde. C’est vrai, il est créateur, il sauve l’homme au plus profond, il prie pour lui et avec lui, il se donne pour lui jusqu’au bout et il pardonne au-delà de l’imaginable, il se met au service de tous, il aime. Il aime en vérité. Ça change notre vie !
Et quand Pilate demande à Jésus : « Qu’as-tu fait ? » Jésus répond : « J’ai témoigné de la vérité ». J’ai été vrai. Je suis Dieu qui parle à l’homme. Je suis Dieu qui parle en l’homme, si celui-ci se laisse profondément gagner par son Dieu.

Ne vous trompez pas, dit Jésus. Je ne suis pas votre chef d’armée, votre président, votre maître à penser. Je suis celui qui vous fait être. Je suis celui qui vous rend à la vérité et à la liberté. Celui qui vous aime et vous fait aimer. Celui qui vous rend capable de redevenir vraiment vous-même, sans crainte et sans tiédeur.
Il est le fondement de toute chose, avons-nous dit dans la prière du début. Et à qui d’autre vous verriez-vous accorder cet attribut ?

Aux catholiques qui restent perplexes sur cette fête du Christ Roi de l’univers, Jésus, notre Dieu, rappelle : vous souvenez-vous que vous me demandez souvent : « Que ton règne vienne » ? Mon règne vient et vous contribuez à le faire advenir avec moi.

Le roi est droit, frères et sœurs, et il veut que nous prenions part à son règne, à la façon de notre Dieu, humble, aimant et vrai. Les rois que nous sommes seront peut-être maladroits. Mais grâce à lui, tenons notre place.
Amen.