Homélie du 20 avril 2014 - Jour de Pâques

Le chemin de Pâques

par

fr. François Daguet

On voudrait que le jour de Pâques soit tout entier d’euphorie et d’allégresse, comme les trompettes et les cymbales de la liturgie pascale semblent l’exprimer. Manifestation joyeuse de la victoire de la vie sur la mort, le cœur de notre foi. Mais ce n’est pas la tonalité des Évangiles du petit matin de Pâques: ce n’est pas l’euphorie qui domine, comme après une épreuve remportée, c’est l’hébétude, ce n’est pas l’enthousiasme, c’est l’incompréhension, ce n’est pas la joie, c’est la stupeur. Hébétude, stupeur face au seul signe qui soit donné, celui du tombeau vide, qui signifie sans doute que la mort n’a pas eu le dernier mot, mais encore que Jésus n’est pas là où on pense le trouver. La nuit dernière, c’était la surprise des femmes, ce matin, c’est celle des hommes, Pierre et Jean. Eux n’ont pas droit aux paroles d’un ange: pas d’ange, pas de parole, un tombeau vide. Jean, arrivé le premier, n’entre pas tout de suite. Pierre, qui le suit, entre le premier. Mais c’est Jean qui, entré après lui, croit dès qu’il a vu. Pour Pierre, nous ne savons rien: il a vu le tombeau vide, mais il ne nous est pas dit qu’il a cru alors à la résurrection de Jésus. Deux chemins apparemment tout proches pour ces deux apôtres, deux recherches de Jésus, mais deux découvertes différentes.

Cet épisode nous montre que la foi en Jésus ressuscité, l’adhésion à cet événement inouï, n’a rien d’immédiate ni d’évidente. Le Christ est ressuscité, nous le confessons, mais il faut encore que cette vérité prenne corps en nous. Nous avons parcouru, pendant cinquante jours, ce temps qui nous conduit jusqu’à ce jour: chemin vers Pâques. Mais il y a aussi, pour chacun de nous, un chemin de Pâques, ce chemin par lequel la réalité de la résurrection de Jésus va prendre forme en nous, ce chemin par lequel la résurrection de Jésus devient un événement réel et agissant, une expérience pascale. Et ce chemin, pour certains, peut être long. C’est pourquoi nous entrons aujourd’hui dans cette Octave pascale, ces huit jours qui n’en font qu’un, qui ne sont qu’un unique jour de Pâques. Et il y aura encore les cinquante jours du Temps pascal, tout centrés sur cette résurrection. Parce qu’adhérer à la résurrection n’est pas évident, le risque est grand de l’oublier, de repartir après Pâques sur le même chemin que celui que nous avons emprunté en venant, comme ceux qu’on appelle les disciples d’Emmaüs, en nous disant, sans trop l’avouer, que rien n’a vraiment changé par rapport à la semaine dernière. Le ressuscité n’est jamais ce que l’on croit, comme l’on croit, où l’on croit. Nous aussi, nous avons à faire notre expérience pascale, comme les Saintes Femmes et les Apôtres avant nous.

Il s’agit de croire à la vue d’un seul signe: le tombeau est vide. C’est le point de départ de notre foi pascale. Si le tombeau est vide, de deux choses l’une: ou bien on a fait disparaître son corps – mais on ne voit pas bien qui y aurait eu intérêt -, ou bien c’est que Jésus est vivant. Et s’il est vivant, c’est que tout ce qu’il a annoncé pendant trois ans est en train de se réaliser. «Comme Moïse éleva le serpent au désert, ainsi faut-il que soit élevé le Fils de l’homme afin que tout homme qui croit ait par lui la vie éternelle» (Jn 3, 14-15); «de son sein couleront des fleuves d’eau vive» (Jn 7, 37); «Je suis venu pour qu’ils aient la vie, et qu’ils l’aient en abondance» (Jn 10-10). L’expérience pascale c’est, pour chacun de nous, l’expérience de cette vie nouvelle que le Christ est venu nous offrir. Ce qui est rude, parfois, c’est que cette expérience se fait au plus intime de nous-même, de façon cachée, aux yeux du monde, et peut-être aussi à nos propres yeux. Nos baptisés de cette huit, à vue humaine, ressemblent à s’y méprendre à ce qu’ils étaient auparavant. Et les baptisés de longue date n’ont pas tous les jours des têtes de ressuscités, comme le disait méchamment Nietzsche. Pas encore, faut-il répondre, ce sera pour la gloire, après la mort, mais la vie nouvelle est cependant bien réelle. Comment en vivre? En mettant nos pas dans ceux des Femmes et des Apôtres, qui ont parcouru avant nous ce chemin de Pâques. Et que nous montrent-ils?

D’abord, qu’il faut désirer rencontrer le Ressuscité, qu’il faut le chercher. Les Femmes, les Apôtres sont hébétés au matin de Pâques, mais ils cherchent à savoir, à comprendre, à le voir. Le Christ, d’ordinaire, ne se manifeste qu’à ceux qui sont habités par le désir de le voir, ou qui sont affamés de lumière et de vérité. Ensuite, ils nous invitent à aller à sa rencontre là où il nous donne rendez-vous. Comme il convoque ses Apôtres: «il vous précède en Galilée, là vous le verrez», nous aussi, il nous invite à le rejoindre. Où? À sa table, où il se donne à nous en nourriture. N’oublions pas les disciples d’Emmaüs, qui l’ont reconnu à la fraction du pain. Et enfin, comme lors de la Cène, il faut le laisser faire. C’est lui qui vient à notre rencontre, à son heure. Souvenez-vous de sa réponse à Jude, le soir de la Cène: «Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole, et mon Père l’aimera et nous viendrons à lui, et nous ferons chez lui notre demeure» (Jn 14, 22-23).

Maintenant, partons à sa rencontre, afin que chacun de nous puisse, à son tour, dire comme les Apôtres le soir de Pâques, ce soir, si possible: «C’est bien vrai! Le Seigneur est ressuscité» (Lc 24-34).