Homélie du 15 décembre 2002 - 3e DA

Le Dieu qui vient

par

fr. Jean-Michel Maldamé

Permettez-moi d’évoquer une rencontre très émouvante qui remonte à l’été dernier. Quelqu’un est venu me parler de sa démarche et de la route qui l’avaient conduit à rencontrer le Dieu vivant. Mais il me disait aussi sa gêne à participer aux assemblées chrétiennes, parce que la prière employait une formule qui le choquait et qui nous est familière. En effet, on ne cesse de s’adresser à Dieu en lui disant: «Prends pitié!». Formule qu’il percevait comme irrecevable, car me disait-il : «À qui demande-t-on pitié, sinon à quelqu’un qui vous fait du mal, à un despote, à un tortionnaire?» Ainsi l’appel à avoir pitié suppose que l’on se représente Dieu comme celui qui punit et qui châtie, un Dieu qui traque toute faute de manière implacable et qu’il faut supplier de cesser de faire du mal.

Peut-on donner sa vie, sa foi, son cœur à un tel Dieu? Cette difficulté de croire est largement partagée, et elle suscite partout autour de nous le refus de croire. C’est une vraie difficulté pour tout croyant. Je la portais dans mon cœur, lorsque je fus chez nos sœurs moniales de Prouilhe pour une retraite. Là, j’ai reçu une réponse. Au lieu du triste «prends pitié», les sœurs chantaient: «Viens, Seigneur». Quelle joie de trouver une manière de prier digne et de Dieu et de l’homme!

Tel est le Dieu des chrétiens, celui vient! Car là où est le mal, là où œuvre une puissance qui détruit l’humanité, Dieu n’est pas.

Là où est la jalousie, là où est la colère, Dieu n’est pas.

Là où sont la haine et la division, là où sont la guerre et la torture, Dieu n’est pas.

Là où l’homme humilie l’autre homme, Dieu n’est pas.

Là où l’homme est défiguré, Dieu n’est pas.

Pour cette raison, la prière chrétienne demande à Dieu de venir. On lui demande de venir pour que cessent la haine, la division, la guerre, l’humiliation et la souffrance. Nous demandons donc à Dieu de venir. Cela en tout temps et en tout lieu. Mais tout particulièrement en ce temps qui nous prépare à Noël.

Oui! À Noël, nous célébrons la naissance de l’enfant de Bethléem comme la venue de Dieu dans notre chair, dans notre histoire, dans notre humanité. Cette venue de Dieu révèle la richesse de son amour et la puissance de sa tendresse.

Le plus élémentaire de la foi chrétienne nous fait reconnaître que cet enfant de Bethléem est Dieu avec nous – en hébreu, Emmanuel – et donc il arrache l’image d’un Dieu cruel devant qui il faudrait se prosterner en demandant pitié. Le plus élémentaire de la foi chrétienne nous fait reconnaître que Dieu ne fait pas violence. Dieu respecte l’histoire de chacun.

Nous nous reconnaissons dans les bergers, premiers venus voir le nouveau-né, pour qui ce fut une bonne nouvelle, car Dieu venait à eux.

Oui Dieu est venu. Il vient. Nous lui demandons de venir et nous savons que ce sera comme il l’a fait : dans le respect et l’amour des hommes. Un Dieu sensible au cœur.

Il vient. Pour qui vient-il ? Il vient pour tous les hommes. Pour cette raison, nous ne nous contenterons pas de venir avec les bergers, mais nous viendrons aussi avec les mages. Or ceux-ci ne sont pas des fils d’Abraham. Aussi nous savons que Dieu vient pour tous les hommes. Pour tous. Ses pas ne sont pas limités par nos rites, nos pratiques ou nos institutions. Dieu vient pour tous. Il vient par les chemins qui nous sont familiers, mais aussi par des chemins que nous ne connaissons pas.

Au cours de la messe du jour de Noël, nous entendrons le Prologue de l’évangile de Jean qui nous dit que celui qui naît à Noël est lumière qui éclaire tout homme venant en ce monde, «de tout être il est la vie».

Les célébrations de l’Avent et celle de Noël nous invitent à nous libérer de cette image d’un Dieu cruel. Elle habite notre mémoire, car elle était dans les textes bibliques de l’Ancien Testament ; elle était encore sur les lèvres de Jean-Baptiste qui annonçait la colère de Dieu, mais avec Jésus elle s’efface.

Jean-Baptiste est notre modèle aujourd’hui, car nous avons au cœur toujours cette idée que Dieu est un monarque tout-puissant, qui punit, qui demande des sacrifices et à qui l’on devrait demander pitié. Aussi nous avons besoin de faire comme lui, de remplacer cette image par la réalité qui se manifeste dans la vie de Jésus.

Le vrai Dieu est le Dieu qui vient. Il ne cesse de venir.

Il vient par le baptême. Quand un enfant est baptisé : Dieu vient à lui. Il s’associe à sa vie.

Il vient par le sacrement de l’eucharistie. Il s’associe à notre vie. Il s’unit à nous pour nous permettre de transfigurer notre présent.

J’évoquais en commençant, une rencontre. Permettez-moi de vous dire que souvent je suis souvent surpris de voir comment Dieu entre dans une vie. Comment il vient au cœur, à l’esprit, à la pensée… et comment sa présence transfigure le présent.

Oui, viens Seigneur Jésus. Nous t’attendons.