Homélie du 9 avril 2004 - Vendredi Saint

Le Prêtre et l’Agneau

par

fr. Loïc-Marie Le Bot

Jésus est venu pour juger le monde, pour nous juger. Il nous le dit et nous le répète plusieurs fois: «C’est pour un jugement que je suis venu dans le monde» (Jn 9, 39). Jésus vient accomplir un discernement, un jugement. C’est bien lui qui doit juger: «Car le Père ne juge personne: tout jugement il l’a remis au Fils» (Jn 5, 24). Jésus ne vient pas rendre un jugement selon la chair, mais selon la volonté du Père qui l’a envoyé. Il est la lumière qui est venue dans la monde et que les ténèbres n’ont pas voulue. Les ténèbres sont jugées et sont condamnées.

Voyez Jésus juger: une femme adultère est amenée devant lui. Elle est déjà condamnée à la lapidation par de zélés défenseurs de la loi. Jésus rend un jugement tout à fait surprenant: c’est un jugement selon Dieu, qui n’est pas une condamnation, mais un jugement de salut et de miséricorde: «Moi non plus je ne te condamne pas, va désormais ne pèche plus» (Jn 8, 11). Il ne condamne pas la personne, mais le péché lui-même.

Voilà le jugement de Dieu que donne le Fils et que proclame Jésus. Jésus le juste juge auquel le Père a remis son pouvoir.

Et que voyons-nous ce soir? Qui est en procès? Qui est en jugement? Qui est condamné? Jésus lui-même, lui qui se présentait à nous comme le juge inspiré par Dieu. Il y a là au moins une contradiction, sinon un paradoxe étonnant. Il semble que Jésus soit pris à son propre piège, il voulait juger les autres. C’est lui qui est condamné, tel est pris qui croyait prendre!

Jésus est d’abord jugé par les anciens et les grands prêtres. Puis, il est mis en accusation devant Pilate. Et la condamnation tombe: la mort. Si l’on regarde de plus près, on ne voit pas très bien le motif exact de cette condamnation: pour les uns, c’est à cause de ses prétentions à s’ériger en Fils de Dieu, pour d’autres car il se serait prétendu être le roi des juifs qui s’oppose à César, mais c’est surtout parce qu’il se présente comme celui qui juge de tout. Il juge le pouvoir de Pilate comme de l’enseignement des grands prêtres. Jésus est mis en procès, son jugement expéditif, joué d’avance entraîne une condamnation sans appel. Mais condamnation sans appel pour qui? Pour Jésus, mais ne serait-ce pas le mal qui ce soir se serait lui-même condamné à disparaître? «C’est pour un jugement que je suis venu dans le monde: pour que ceux qui ne voient pas voient et pour que ceux qui voient deviennent aveugles» (Jn 9, 39).

Regardons Jésus, celui qui prétendait juger le monde se tait et ne prononce aucune sentence de condamnation des auteurs de cette injustice flagrante. Jésus se laisse amener comme un agneau vers l’abattoir. Il n’ouvre pas la bouche pour se défendre, pour maudire ou condamner: «je ne suis venu dans le monde que pour rendre témoignage à la vérité» (Jn 18, 37). La vérité de sa mission exige au contraire de lui une entière remise au Père, une entière soumission à l’injustice et à la souffrance pour détruire toute injustice et toute souffrance. Voilà le jugement de Jésus.

Jésus nous avait prévenu: «C’est maintenant le jugement de ce monde, maintenant le prince de monde va être jeté bas, et moi élevé de terre j’attirerai tout à moi» (Jn 12, 31). Le jugement du monde, Jésus le réalise à sa manière qui lui est si propre sans ouvrir la bouche, lui qui a tant prêché. Il parle avec sa vie même.

Il est condamné, mais c’est le mal qui est condamné.

Il est cloué sur une Croix, mais c’est le péché qui est vaincu.

Il meurt, mais c’est la vie éternelle qui va triompher.

Il quitte ce monde et il nous donne sa mère comme gage de notre adoption.

En inclinant la tête, il remet son esprit et déjà le paraclet, le consolateur promis commence son œuvre.

On lui ouvre le côté, il en sort de l’eau et du sang, et le Baptême et l’Eucharistie nous sont donnés, et voilà l’Église qui naît.

Le prince de monde qui semblait mener la danse du procès de Jésus est le vrai vaincu de ce soir. La mort, la souffrance et le péché subissent leur plus grande défaite. Ils sont vaincus par celui qui juge le monde dont le mal n’avait pas perçu la force. Ce jugement obéit à une loi nouvelle : «Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis» (Jn 15, 13).

Voila pourquoi la Croix opère un jugement : pour entrer nous aussi dans la vie nouvelle qui commence à naître, ce soir nous devons suivre Jésus et l’associer à toute notre vie pour pouvoir avec lui entrer dans une vie renouvelée: «En vérité, en vérité je vous le dis, celui qui écoute ma parole et croit à celui qui m’a envoyé a la vie éternelle et n’est pas soumis au jugement, mais il est passé de la mort à la vie» (Jn 5, 24). Passer là où lui est déjà passé, prendre notre croix et le suivre.

La Croix loin d’être un instrument d’infamie et de mort, devient signe de la Gloire de Jésus et c’est pourquoi nous allons oser la regarder en face, nous allons oser la chanter, nous allons oser la vénérer. La Croix est le jugement du monde, signe de la Victoire sur le Mal.

«Car Dieu n’a pas envoyé son Fils pour condamner le monde, mais pour que le monde soit sauvé par lui.» (Jn 3, 17). Oui, ta Croix est notre gloire et notre unique espérance.

Amen!