Homélie du 22 avril 2001 - 2e DP

Les signes de la résurrection

par

fr. Serge-Thomas Bonino

C’est bien beau, frères et sœurs, ces alléluias en cascade, ce cierge flambant neuf, ce petit air guilleret que prennent nos églises au temps de Pâques, mais je crains que, quelque part en nous, une petite voix vienne jouer le trouble-fête. Vous savez, cette petite voix qui susurre: «C’est beau! Que c’est beau!… C’est même trop beau pour être vrai!»

Car enfin, l’événement est incroyable: un mort, un vrai mort – mort et enterré, pas un mort de cinéma – ce mort est revenu à la vie et aujourd’hui encore il est vivant. Et ça n’est pas une manière de parler, un symbole, une belle image. C’est une réalité, un événement, un fait qui s’est réellement produit à un moment donné de l’histoire et dont le moins qu’on puisse dire est qu’il renouvelle nos perspectives. Car, si Jésus est vraiment ressuscité, je ne peux décemment plus envisager la vie, ma vie, comme s’il n’était pas ressuscité!

Mais voilà le hic: Jésus est-il ressuscité? Car, enfin, quelle preuve en avons-nous? Pas de reporter, pas de photographe dans la nuit de Pâques, aucun témoin direct. L’événement le plus important de toute l’histoire des hommes – le scoop des scoops – a eu lieu dans le secret, dans la nuit, dans le silence. Et c’est normal. Car – nous en avons tous fait l’expérience – plus un événement touche profond, moins on tient à le déballer sur la place publique, plus on le garde secret, comme par une sorte de pudeur instinctive. On peut, devant la caméra de télévision, faire coucou à sa grand-mère, mais généralement on n’en profite pas pour déclarer sa flamme à l’élu(e) de son cœur. Il y a des événements qui exigent l’intimité. C’est donc avec le cœur, un cœur illuminé par la foi, qu’on accueille la bonne nouvelle de la résurrection. C’est, dans le silence, à l’intime du cœig;ur que l’Esprit Saint atteste: «C’est vrai, le Seigneur est ressuscité» (Lc 24, 34).

Mais attention. Si croire en la résurrection est un acte éminemment personnel, ce n’est pas pour autant un choix purement subjectif, irrationnel, un saut dans l’absurde. «Je crois parce que je crois. Un point, c’est tout.» Non, il existe de bonnes raisons de croire en la résurrection de Jésus, des raisons objectives, valables pour tous. Non pas des évidences aveuglantes qui obligeraient tout un chacun à s’incliner devant le Fait, qu’il le veuille ou non, mais des signes objectifs qui font que notre foi en la résurrection n’est pas le caprice d’un enfant mais l’acte réfléchi d’un adulte. Ces signes ne suffisent pas mais ils sont nécessaires. Comme le disait en substance Pascal, il y a assez de lumière pour ceux qui, avec la grâce de Dieu, sont disposés à voir et assez d’obscurité pour ceux qui choisissent de ne pas voir (Pensées, Lafuma, 736)

Eh bien, ces signes quels sont-ils? J’en retiens quatre.

Premier signe: le tombeau vide. C’est un fait: au matin de Pâques, le cadavre de Jésus n’est plus où on l’avait déposé. Personne ne le conteste. Pas même les juifs qui sont obligés d’inventer une histoire rocambolesque de kidnapping nocturne pour expliquer la situation (Mt 28, 11-15). Le tombeau vide ne prouve pas la résurrection mais il en établit la possibilité. Si le tombeau avait été plein, la question ne se poserait même pas.

Deuxième signe, le signe qui a fait tilt pour saint Jean: les linges qui enveloppaient Jésus gisent à terre et le suaire est roulé à part (Jn 20, 6-8). Or, dans l’hypothèse d’un enlèvement précipité, on voit mal pourquoi les ravisseurs auraient dénudé le cadavre, encore moins pourquoi ils auraient pris soin de ranger les linges.

Troisième signe, le principal: des témoins ont vu Jésus vivant après sa mort. Ils l’ont vu, de leurs yeux vu. Et ce n’était ni un fantôme ni un esprit. Ils ont «mangé et bu avec lui après sa résurrection d’entre les morts» (Act 10, 41). Thomas a même été invité à le toucher, à le palper.

Qu’ils l’aient vu, je ne peux pas en douter. Car c’est la seule manière logique d’expliquer le retournement, aussi inattendu que complet, qui s’opère chez les disciples en l’espace de quelques heures, entre le Vendredi saint et le temps de Pâques. Au moment de la Passion, les disciples s’enfuient, ils se terrent par peur des juifs. Pour eux, l’affaire Jésus est une affaire classée. «Nous espérions, nous, diront les disciples d’Emmaüs, que c’était lui qui allait délivrer Israël» (Lc 24, 21), mais désormais face à l’évidence de l’échec, le rêve s’évanouit. Les disciples n’ont plus qu’à rentrer chacun à ses tentes – tristes à coup sûr, déçus, mais enfin résignés. Or, quelques jours plus tard, Pierre, au nom des Apôtres, se dresse hardiment en plein cœur de Jérusalem pour proclamer: Jésus est vivant, «Dieu l’a ressuscité des morts, nous en sommes témoins» (Act 3, 15). Et pour ce témoignage, maintenu jusqu’au bout, lui et ses compagnons verseront leur sang. C’est une signature qui ne trompe guère.

Certes, murmure, insidieuse, la petite voix, je veux bien que les disciples aient cru voir Jésus vivant, mais il est si facile de se faire illusion… Ils espéraient tellement revoir Jésus qu’ils ont pris leur rêve pour la réalité! Projection, hallucination collective. Ce n’est ni la première ni la dernière fois.

Eh bien, petite voix, tu te trompes. Les disciples s’attendaient tellement peu à la résurrection de Jésus qu’ils en ont été au contraire les premiers surpris. Loin de la créer de toutes pièces par manière d’autosuggestion, il leur a plutôt fallu du temps pour se rendre à l’évidence. Voyez Thomas! Non vraiment, on ne lui fera pas gober une histoire pareille. «Si je ne mets pas mon doigt dans la marque des clous, je ne croirai pas» (Jn 20, 25).

Bien sûr, me direz-vous, Jésus avait préparé ses disciples à comprendre le sens profond de sa résurrection, il y avait même fait allusion devant eux, mais cet enseignement n’avait pas encore «pris» en eux, cristallisé. De l’aveu même des disciples, ils n’y avaient rien compris. «Ils se demandaient ce que pouvaient bien signifier ‘ressusciter d’entre les morts’» (Mc 9, 10).
C’est donc bien l’événement qui a provoqué le déclic, l’interprétation, et non pas l’interprétation qui a créé l’événement.

Bref, notre foi en la résurrection de Jésus s’appuie sur de sérieuses raisons de croire. Mais alors, si c’est vrai, si Jésus est vraiment ressuscité, ne faut-il pas en tirer les conséquences? Car la résurrection de Jésus n’est pas un événement lointain, indifférent, comme le siège d’Alésia ou la bataille de Marignan: il me concerne très directement, de façon vitale. Si Jésus est ressuscité, ça veut dire que Dieu, aujourd’hui comme hier, est plus fort que la mort. Que la mort n’est pas une fatalité, qu’elle n’a pas le dernier mot dans ma vie. Car si la mort physique est le signe et la conséquence de la mort spirituelle, c’est-à-dire du péché, de la rupture avec Dieu, la résurrection physique est le signe et la conséquence de la résurrection spirituelle, c’est-à-dire de la réconciliation avec Dieu, du pardon de Dieu qui nous vient par Jésus-Christ. Oui, Dieu ouvre nos tombeaux. Il brise les portes de la mort. Il fracasse toutes ces pierres qui retiennent notre cœur dans les ténèbres et l’ombre de la mort: la pierre de notre égoïsme, la pierre de nos peurs, la pierre de nos faiblesses et de nos doutes. Nous ne sommes pas fait pour vivre parmi les tombeaux (Mc 5, 3) et dès maintenant, avec la grâce du Ressuscité, nous pouvons accueillir la vie nouvelle, celle qui passe la mort.

Et, finalement, c’est peut-être ça le quatrième et grand signe de la résurrection de Jésus. Tous ces hommes et toutes ces femmes qui, depuis vingt siècles, ont roulé la pierre de leurs tombeaux, ont fait le choix de la vie contre la mort, de la foi contre l’absurde, de l’amour contre la haine. Ce choix – nous le savons par expérience – n’est pas l’œuvre de l’homme laissé à lui-même. Il est et ne peut être que l’œuvre de Dieu en nous, l’œuvre de Jésus ressuscité présent, vivant, agissant par sa grâce, au milieu de son Église. Il atteste le rayonnement continu d’une source cachée: la Résurrection de Jésus-Christ.