Homélie du 24 décembre 2000 - 4e DA

Marie, Arche de l’Alliance

par

fr. Serge-Thomas Bonino

Descends, Zachée, de ton arbre, «car il me faut aujourd’hui demeurer chez toi» (Lc 19, 5). Tel est le désir de Jésus. Tel est, depuis toujours, le désir de Dieu: faire sa demeure parmi nous. Ou mieux: faire sa demeure en nous (Jn 14, 23). Habiter en moi comme l’ami habite dans le cœur de son ami. Être connu de moi, être aimé de moi, comme lui-même me connaît et m’aime. C’est cela l’amitié. C’est cela la charité.

Dieu veut donc habiter en nous. Il veut prendre possession de notre humanité pour la transfigurer par sa divinité. &Oelig;uvre de longue haleine, qui ne sera achevée qu’à la fin des temps quand «Dieu sera tout en tous» (1 Co 15, 28). Alors la bûche incandescente de l’humanité ne fera plus qu’un avec le feu de la divinité qui l’embrase et la pénètre de toutes parts. Mais au jour de l’incarnation cette œuvre franchit une étape décisive: désormais le feu a pris! «Le Verbe s’est fait chair et il a habité parmi nous et nous avons vu sa gloire» (Jn 1, 14). Déjà un homme est Dieu.

Cette épiphanie, cette manifestation de Dieu dans la chair, était prévue de longue date, car notre Dieu n’agit ni à l’improviste ni au coup par coup. Aussi, pour préparer les cœurs au mystère de l’incarnation, Dieu avait-il déjà choisi, dans l’ancienne alliance, de manifester sa présence de manière plus intense en certains lieux privilégiés. Ces «lieux saints» sont, pour nous chrétiens, comme autant d’annonces et de préfigurations de Jésus-Christ: le buisson ardent (Ex 3); la montagne sainte du Sinaï, toute fumante du feu de Dieu (Ex 19, 18); la Cité sainte, Jérusalem, «le lieu de son repos» (Ps 131, 14); «le mont Sion où il fit sa demeure» (Ps 74, 2); le Temple, demeure de sa gloire… Mais aussi l’arche de l’alliance, signe rayonnant de sa présence. «C’est là que je te rencontrerai», dit Dieu à Moïse (Ex 25, 22).

Toutes ces figures trouvent leur réalisation dans la sainte humanité de Jésus. Mais elles éclairent aussi d’une lumière incomparable le mystère de la Vierge Marie. Car, si l’humanité de Jésus est le lieu où Dieu se donne, Marie est le lieu où ce don est accueilli par la créature. En ce sens, Marie est le prototype, le modèle, le condensé, de l’Église, c’est-à-dire de la communauté de ceux qui accueillent en Jésus le don de Dieu. Aussi Marie est-elle saluée par la tradition chrétienne du titre de montagne véritable, de cité sainte… C’est elle la fille de Sion, «le lieu que Dieu a choisi pour y faire habiter son Nom» (Dt 14, 25). Et le récit de la Visitation nous fait contempler en elle la nouvelle arche de l’alliance.

L’arche d’alliance – souvenez-vous – est à l’origine un simple coffret de bois, rectangulaire (Ex 25). Placée dans la Tente de la Demeure puis dans le Saint des saints du Temple de Jérusalem, elle est le signe et le gage de la mystérieuse présence de Dieu au sein même de son peuple. Elle renferme, nous dit l’Épître aux Hébreux (9, 4), «une urne d’or contenant la manne, le rameau d’Aaron et les tables de l’alliance». Trois signes majeurs de la présence active de Dieu. Par les tables de la Loi, Dieu trace pour son peuple le chemin qui conduit à la vie. Par la manne, il le nourrit et le fortifie dans sa marche. Par le sacerdoce, que symbolise le rameau d’Aaron (Ex 17), il le sanctifie, il se l’approprie.

Mais c’était là «l’ombre des réalités à venir» (Col 1, 17). Car la véritable arche de l’alliance, celle dont l’ancienne n’était qu’une pâle image, c’est la Vierge Marie. Marie porte en elle Jésus, «le Médiateur d’une alliance nouvelle» (He 12, 24). Jésus vaut infiniment mieux que les tables de pierre de la Loi, lui, le Maître qui enseigne du dedans, en donnant l’Esprit, et qui grave sa loi d’amour dans nos cœurs de chair. Jésus vaut infiniment mieux que la manne, lui «le Pain vivant descendu du ciel» (Jn 6, 51). Jésus, enfin, vaut infiniment mieux qu’Aaron, lui le Prêtre véritable qui nous a réconcilié avec Dieu en s’offrant une fois pour toute sur l’autel de la Croix. Oui, Marie est l’arche véritable.

Selon la Bible, l’arche sainte fut construite en bois de shittim – une sorte d’acacias – un bois précieux, réputé imputrescible. Elle était plaquée d’or pur, au dedans comme au dehors (Ex 25, 11). De même, Marie, sanctifiée par l’Esprit dès sa conception, est toute immaculée, toute belle, maison d’or resplendissante pour accueillir le Roi des rois. Et sa chair virginale, sa chair qui a porté le Verbe, pas plus que le bois de l’arche, ne pouvait connaître la corruption.

Une fois construite, l’arche fut placée dans la Demeure et aussitôt, dit l’Écriture, «la nuée couvrit la Tente du Rendez-vous et la gloire du Seigneur [c’est-à-dire sa présence] emplit la Demeure» (Ex 40, 43), comme elle envahira encore le Temple de Salomon lors de sa consécration (1 R 8, 10). De même, au jour de l’Annonciation, la nuée féconde de l’Esprit prend Marie sous son ombre et fait germer en elle, Jésus-Christ, la gloire de Dieu, Emmanuel, Dieu parmi nous (Lc 1, 35).

La première arche d’alliance a connu quelques tribulations. Tombée un temps aux mains des Philistins, elle est reprise par le roi David. Celui-ci projette alors de la faire monter vers la région montagneuse de Juda, vers Jérusalem, la toute récente capitale de son royaume. Toutefois, devant la sainteté de l’arche, David hésite. Comme Joseph, son lointain descendant, qui craint de prendre chez lui Marie son épouse (Mt 1, 20), David craint de prendre chez lui l’arche sainte. Comme Élisabeth, il se juge indigne d’une telle grâce: «Comment l’arche du Seigneur entrerait-elle chez moi?» (2 Sam 6, 9); «Comment m’est-il donné que vienne à moi la mère de mon Seigneur?» (Lc 1, 43).

L’arche est donc laissée en dépôt dans la maison d’un certain Obed Edom pendant trois mois (2 Sam 6, 11) – tout comme Marie resta «environ trois mois» (Lc 1, 56) dans la maison de Zacharie. Et, de même que la maison d’Obed Edom fut bénie à cause de l’arche, de même la maison de Zacharie est inondée de grâces par la Visitation de Marie.

David se décide alors à transférer l’arche à Jérusalem et pendant tout le trajet, le peuple, nous dit-on, pousse de grandes acclamations (2 Sam 6, 15) – «les prêtres se vêtent de justice et les fidèles crient de joie» (Ps 131, 9). De même, à l’approche de Marie, Élisabeth pousse un grand cri (Lc 1, 42). Quant à David, il danse de joie, exulte et tournoie devant l’arche (2 Sam 6, 14), comme Jean-Baptiste aujourd’hui tressaille d’allégresse devant Marie (Lc 1, 41).

Dieu veut habiter parmi nous et c’est pourquoi Jésus nous demande à nous aussi d’accueillir chez nous l’arche d’alliance. «Voici ta Mère» (Jn 19, 27), dit-il à Jean au pied de la Croix, et dès cette heure là, le disciple bien aimé la prit chez lui. Prendre Marie chez soi, c’est penser à elle, l’aimer, la prier. C’est se mettre à son école, devenir vraiment ses fils. C’est faire siennes ses dispositions intérieures, regarder Jésus avec ses yeux à elle, s’imprégner de son esprit – par la prière du Rosaire par exemple.

La vraie dévotion à Marie – celle qui ne détourne pas de Jésus mais y conduit – n’est pas une option ou un appendice baroque qui viendrait défigurer le bel édifice de la vie chrétienne dont Jésus est la pierre d’angle. Non, elle est le chemin royal pour apprendre à accueillir vraiment Jésus-Christ.

Car c’est en Marie – l’Évangile le souligne – que l’on rencontre vraiment Jésus. Dès cette nuit, les bergers «viendront en hâte et trouveront Marie, Joseph et le nouveau-né couché dans la crèche» (Lc 2, 16). Plus tard, quand les Mages entreront dans le logis, ils verront «l’enfant avec Marie sa mère» (Mt 2, 11). Il n’y a donc pas à chercher Jésus ailleurs qu’auprès de Marie, au sein de cette Église dont elle est le modèle et déjà la plus belle réalisation.