Homélie du 30 novembre 2003 - 1er DA

Mon enfant, va travailler aujourd’huià ma vigne!

par

fr. Gilles-Marie Marty

Quand on compare l’Évangile de ce premier jour de la nouvelle année, avec celui de ces derniers jours de l’ancienne, on s’aperçoit que ce sont quasiment les mêmes!
À priori c’est étonnant puisque l’Avent étant la préparation de Noël, on aurait attendu un texte différent de ceux qui annoncent la fin du monde…
Cela m’intrigue et mérite de nous retenir un peu… Donc petite enquête…

À quoi pense-t-on naturellement, quand on entend ce mot: «Noël» ?

Eh bien, dans notre pays, ce mot évoque une curieuse guirlande: Noël, c’est… la mangeoire du petit Jésus, les bergers et mages, le bœuf et l’âne, la crèche et santons, le sapin et le givre, les boules brillantes et bougies colorées, les retrouvailles en famille et l’excitation des enfants, les joujoux et bijoux, donc les magasins illuminés, courses de dernière minute, amoncellements de victuailles et de cadeaux, et puis aussi le Père Noël, les vacances à la neige ou Tropiques (maintenant on a le choix), sans compter le – les – réveillons, le champagne et le foie gras, les chocolats fourrés et les marrons glacés…

Dites donc: pas étonnant que ce soit la fête préférée des Français!

Quant à la question des sondages: «qu’est-ce que ça représente pour vous?», les braves gens répondent en chœur: «Noël, c’est la fête des enfants, c’est la trêve des confiseurs!».
Mieux vaut en rire, mais tout de même: quelle misère!
«France, éducatrice des peuples, qu’as-tu fait des promesses de ton baptême?»

On ne dirait pas, et pourtant on est en plein dans notre question: pourquoi lire aujourd’hui l’Évangile de la fin des temps? Pourquoi parler du dernier avènement du Seigneur alors qu’on s’apprête à fêter le premier?

Pourquoi… sinon parce que, justement, les deux sont intimement liés, inséparables!
Impossible de comprendre Noël si on ignore ou oublie le Jugement et la Parousie!
… ou alors on tombe dans les dérisoires caricatures que je viens de dénoncer!

Voilà pourquoi Évangile premier dimanche de l’année est le même que celui dernier dimanche: pour nous interpeller, pour attirer notre attention!

Comme si l’Église avait prévu le coup et nous disait: «ah, tu prépares Noël… bravo, mais, de grâce, ne te trompes pas! Noël n’est pas la fête des enfants, ni des familles, ni de rien d’autre de mondain ou de mortel!»

Si tu veux comprendre Noël, une seule solution: regarde d’abord la fin de l’histoire…
Idée géniale pour nous aider à découvrir l’unité du mystère du Christ, et, du même coup, pour nous faire saisir que nous vivons dans les «derniers temps».

Mais certains continuent à interroger avec insistance: «si on est dans les derniers temps (disent-ils), alors… pourquoi l’histoire continue-t-elle ? Pourquoi y a-t-il encore des hommes qui naissent, et procréent, et meurent, sans arrêt?»
Je ne prétends pas répondre. Mais la dernière parole de Jésus éclaire suffisamment.

Au fait, est-ce que vous vous en souvenez, de sa dernière parole sur la Croix?
En grec, un seul mot: tétélestaï, qui signifie: «c’est fini» ou plutôt «c’est achevé».
«J’ai achevé, Père, l’œuvre que Tu m’as donné à accomplir…»

Jésus a achevé ce qu’il avait à faire, ce pour quoi il a été envoyé dans notre monde.
Mais cela signifie-t-il que nous autres n’ayons plus rien à faire? Pas du tout!

Cela signifie que, ce qu’il nous incombe de faire, nous ne pouvons le faire qu’avec lui.
Souvenez-vous aussi, à ce propos, de l’étonnante affirmation de saint Paul: je complète en ma chair ce qui manque aux souffrances du Christ en faveur de l’Église.

On demande: «eh, que manque-t-il aux souffrances du Christ?» Réponse… Rien!
Il ne manque rien aux souffrances du Christ, sinon… de devenir enfin celles de Paul…!
Il ne manque rien aux gestes et aux souffrances du Christ, à ses actions et à sa passion, à sa mort et sa vie, que de devenir les miennes, les tiennes, et si, par malheur, l’un de nous refusait de répondre, il manquerait toujours au Christ (même si tous les autres se donnaient à fond)!

Voilà le mystère chrétien:
Ce que Jésus a parfaitement accompli seul, cela doit pourtant encore se poursuivre, d’une certaine façon, dans son Église, c’est-à-dire en chaque membre de son Corps, afin que cela soit aussi accompli en chacun et en tous, car tel est le Dessein du Père!

Si tu connais l’amitié (si tu as éprouvé pour de bon sa terrible logique), tu comprendras…
Il me semble que cela éclaire (un peu) le sens des images effrayantes de cet Évangile: elles annoncent solennellement qu’une chose capitale, décisive, arrivera forcément dans la vie du monde entier, et dans celle de chaque homme.

Qu’est-ce donc qui sera si important, si décisif, pour moi?
Mais notre jugement personnel, bien sûr! Et sur quoi serons-nous jugés?

Jésus conseille: craignez que votre cœur ne s’alourdisse c’est-à-dire faites attention que votre cœur ne tombe pas, ni dans votre ventre, ni plus bas, faites attention qu’il ne se fasse pas bouffer par les choses d’en-bas, car alors que restera-t-il de vous?

Ne dites pas «c’est effrayant», car saint Paul l’est beaucoup plus (si on le prend au sérieux): Ayez à l’égard de tous les hommes un amour de plus en plus intense et de plus en plus débordant… afin d’être trouvé dans une sainteté sans reproche devant Dieu notre Père, au jour où notre Seigneur Jésus viendra avec tous les saints!

Ah, ce n’est plus le cœur qui manque, c’est les bras qui nous en tombent, quand on considère ce programme de sainteté «irréprochable» … et pourtant, ce programme n’est-il pas le seul digne des enfants de Dieu que nous sommes tous, maintenant?

Aussi en ce premier jour d’Avent, premier de l’an, n’ayons qu’un seul souhait (pour nous), qu’un seul vœu (pour autrui): celui de rester attentif, éveillé, vigilant, et de relever la tête, de nous «donner de l’air» pour découvrir à quel point Jésus – lui seul – est notre absolu et éternel bonheur.