Homélie du 7 décembre 1997 - 2e DA

Oui ou non ? Vrai ou faux ? Réel ou imaginaire ?

par

fr. Alain Quilici

        Mes frères, aujourd’hui, comme chaque année à pareille époque, nous réentendons cet évangile sur la voix de Jean-Baptiste qui crie dans la désert. Je ne sais si, à l’époque, le grand prophète a eu du mal à se faire entendre dans le silence du désert. Mais je sais qu’à notre époque, c’est dans un gigantesque vacarme que l’Évangile est proclamé.

        Et je ne parle pas seulement du bruit des vaines paroles et des musiques sans âme qu’amplifient tous les moyens que la modernité met au service de l’assourdissement universel. Il y a, ces temps-ci, un bruit bien plus redoutable dont le but, plus ou moins avoué, est d’étouffer non seulement la voix de Jean-Baptiste, mais ce qui est plus grave, la Parole même de Dieu: c’est la cacophonie des messages religieux. Là encore, je ne sais pas si, comme disait l’autre, le 21e siècle sera spirituel ou ne sera pas, mais nous constatons que le 20e siècle se termine dans un brouhaha indescriptible. Au marché des religions, c’est à qui criera le plus fort!

        Si bien que la confusion s’installe. Et nous ne sommes pas épargnés. Un peu pour avoir la paix, un peu pour montrer son bel esprit de tolérance, on en vient à déclarer, et même à penser, que toutes les religions se valent. Après tout, comme on dit, c’est le même Dieu, n’est-ce pas? Et s’ensuit la conclusion: que chacun rentre chez soi et que chacun reste ce qu’il était à la naissance. Inutile de dire que si ce slogan avait prévalu au soir de la Pentecôte, il en eut été fini de l’annonce de l’Évangile. Mais il est cependant de bon ton de déclarer, même chez des sociologues et des théologiens catholiques, qu’après tout le Christianisme est une religion comme les autres, et que l’invitation pressante du Saint Père à une nouvelle évangélisation relève d’une regrettable nostalgie, d’ailleurs vouée à l’échec! voire d’une mentalité propagandiste qui met en péril la paix entre les peuples.

        Dans ce contexte, l’Évangile de ce jour prend un relief extraordinaire. Car il nous met dans la même situation que celle que décrit saint Paul lorsqu’il parle de la résurrection de Jésus et en montre l’enjeu: Si le Christ n’est pas ressuscité, vaine est notre foi, vide notre prédication. Nous sommes les plus malheureux des hommes. Car nous sommes des menteurs! Aujourd’hui, nous pouvons dire: si Jean-Baptiste annonce une parole comme les autres, une parole humaine et non la Parole de Dieu, une parole qui s’ajoute aux autres et qui fait nombre avec elles, une parole qui a fait son temps et qui doit maintenant rentrer dans le rang, vraiment autant se taire et rentrer chez soi. Nous sommes les plus malheureux des hommes puisque nous avons appelé divin ce qui n’était qu’humain.

        Mes frères, vous le voyez, l’enjeu est d’importance. Et le temps de l’Avent est là pour nous le rappeler. Il est là pour nous réveiller. L’Évangile de ce jour résonne comme un coup de semonce, au milieu de la cacophonie. Il nous interroge: ce qui a retenti dans le désert, l’an 15 du règne de l’empereur Tibère, Ponce Pilate étant gouverneur de Judée, Hérode étant prince de Galilée, les grands-prêtres étant Anne et Caïphe, est-ce une parole parmi d’autres ou est-ce la parole unique du Dieu unique? Est-ce l’annonce de la naissance d’une religion parmi d’autres, ou est-ce l’irruption de Dieu en personne dans l’histoire?

        Le moment est venu de faire vos comptes. Vous ne pouvez échapper à la question. Pourquoi suis-je chrétien? Est-ce une fatalité sociologique, un comportement héréditaire assumé vaille que vaille? Ou est-ce ma réponse personnelle à une parole à nulle autre pareille qui s’est adressée à moi et qui m’a retourné? Ce que vous allez fêter à Noël, est-ce une fête de la naissance équivalente à d’autres fêtes religieuses célébrées sous d’autres cieux, ou est-ce l’inimaginable mais réelle incarnation du Verbe de Dieu? Et ce baptême de Sophie que nous allons célébrer, est-ce un rituel parmi d’autres ou le signe efficace d’une réelle naissance en Dieu?

        Je n’ai évidemment pas à répondre à votre place: mais vous ne sauriez honnêtement esquiver l’interrogation. Et c’est cette interrogation qui donne toute sa force à l’Évangile de ce jour:

Dans le désert, à Jean-Baptiste fut adressée la parole de Dieu!

Oui ou non? Vrai ou faux? Réel ou imaginaire?

Cette grave question en rappelle une autre: celle que Jésus, qui vient d’annoncer qu’il donnerait sa chair à manger et son sang à boire et qui a été abandonné par le grand nombre, pose à la petite poignée de ceux qui sont restés avec lui:  » Voulez-vous partir vous aussi? »

        Voilà la question qui nous est posée en ce deuxième dimanche de l’Avent de cette année du Seigneur 1997: allons-nous partir, ou allons-nous redoubler de ferveur pour accueillir Celui qui vient, pour accueillir Celui pour lequel Jean-Baptiste donne de la voix dans le désert?