Homélie du 9 août 2020 - 19e Dimanche du T.O.

« Pourquoi as-tu douté ? » (Mt 14, 31)

par

fr. Édouard Divry

Pourquoi as-tu douté ?, dit Jésus à Pierre après l’avoir remis dans la barque. Pourquoi ce reproche ? Pourtant, il est naturel de douter sur ce qui est incertain. C’est même une discipline scientifique de douter sur ce qui n’est qu’une opinion. Le progrès scientifique, philosophique, pour acquérir de nouvelles certitudes, n’a pu se passer du doute méthodique. Des professeurs de philosophie aimaient naguère déclarer à leurs nouveaux élèves : « Laissez vos certitudes au porte-manteau. » Nous autres chrétiens nous avons, par exemple, un doute légitime sur la validité d’une loi votée seulement par une soixantaine de députés sur 577 (10 %), mais nous avons la certitude de l’invalidité d’une loi qui autorise à pratiquer l’avortement de plus en plus tardivement, à fabriquer des unions illégitimes, des embryons cobayes, et des chimères.

Dans l’évangile de saint Matthieu, Jésus ne corrige pas saint Pierre sur le doute utile et profitable. Jésus apostrophe saint Pierre, le futur vicaire du Christ sur la faiblesse de sa foi : « Homme de peu de foi », lui dit-il en premier. Elle n’est pas nulle cette foi pétrinienne, d’où résulte ce doute, sinon Jésus ne craindrait pas de le lui reprocher, selon ce qu’enseigne ailleurs l’Écriture en affirmant que « tous n’ont pas la foi » (2 Th 3, 2). Des croyances, mais pas la foi. Ce que Jésus recherche pour Pierre et pour nous, c’est le progrès de la foi : « Nous devons rendre grâce à Dieu à tout moment à votre sujet, frères, et ce n’est que juste, parce que votre foi est en grand progrès » (2 Th 1, 3). Pierre a bien commencé, mais sa foi a faibli. Il a douté. Il a coulé. Douterons-nous, coulerons-nous à notre tour ? Si nous nous glorifions de nos faiblesses (cf. 2 Co 12, 9-10), c’est que nous croyons que nous pouvons « tout en celui qui nous fortifie » (Ph 4, 13) selon les deux versants de la même réalité spirituelle à ne pas opposer.

La foi, acte humain et don de Dieu, se pratique dans la confiance et dans une certaine obscurité inhérente à notre condition de voyageur, et non encore celle de visionnaire. Au Ciel, dans la Patrie, nous verrons Dieu « tel qu’il est » (1 Jn 3, 2). Nous serons au sens propre des visionnaires : rien moins que de voir Dieu avec les « yeux illuminés du cœur » (Ep 1, 18), notre âme étant soulevée, agrandie par une lumière de gloire : « Dans ta lumière, nous verrons la lumière » (Ps 34/35, 10). Mais « nul n’a jamais vu Dieu » (Jn 1, 18) des yeux de la chair. Notre espérance de voir Dieu un jour, « non en miroir mais face à face » (1 Co 13, 12), nous fait vaincre collectivement tous les obstacles. Pourtant nous découvrons, hélas, individuellement une foi qui peut faiblir comme celle de saint Pierre aujourd’hui. Le Seigneur nous prévient de notre faiblesse toujours possible dans la mesure où nous nous appuyons trop sur nous-mêmes.

Un pasteur protestant, moins connu que le fameux Dietrich Bonhoeffer († 1945), parmi les grands et rares résistants protestants à l’avènement du régime nazi, est Martin Niemöller († 1984). Il déclamait, dans l’expérience de la Dernière Guerre, le poème suivant :

« Quand ils sont venus chercher les socialistes, je n’ai rien dit
Parce que je n’étais pas socialiste.
Alors ils sont venus chercher les syndicalistes, et je n’ai rien dit
Parce que je n’étais pas syndicaliste.
Puis ils sont venus chercher les Juifs, et je n’ai rien dit
Parce que je n’étais pas juif.
Enfin ils sont venus me chercher, et il ne restait plus personne pour me défendre. »

Mais où sont donc les voix autorisées pour réprouver ce qui vient de se passer en France dans la nuit du 31 juillet au 1er août dernier à l’Assemblée nationale ? Bien des prétendues prudences ne sont que des couardises.
« Nous avons eu beau prêter l’oreille, nous n’avons entendu que de faibles et vagues gémissements », avait commenté Paul Claudel dans le contexte précédent.

N’y a-t-il que si peu de voix vraiment humaines qui défendent l’homme issu d’une génération naturelle ?
N’y a-t-il que si peu de chrétiens engagés pour défendre l’écologie intégrale ?
N’y a-t-il que si peu de catholiques pour dénoncer le mal (cf. Ep 5, 13) ?
N’y a-t-il plus, au pays de tant de saints en Europe, je dis cela cum grano salis (avec ironie), que des capuches, des calottes, et des casquettes rétrécies, naphtalinisées, voire nécrosées ?
N’y a-t-il que si peu de martyrs dignes de suivre le Christ pas à pas jusqu’au bout ?
Pourtant l’avertissement apostolique est des plus clairs : « Ne prenez aucune part aux œuvres stériles des ténèbres ; dénoncez-les plutôt » (Ep 5, 11).

Saint Jean-Baptiste, le Précurseur, n’a pas craint de risquer sa vie et finalement de la perdre pour défendre la loi morale. Nous vivons, enseigne le concile Vatican II, sous la « loi naturelle et évangélique » (GS, n° 74). On ne peut pas les séparer. Aurons-nous le courage d’aller jusqu’au bout de nos convictions en recourant à des armes de lumière de plus en plus marquées par la résistance active, et l’objection de conscience ? Que chacun s’interroge dans ce qu’il a fait pour combattre le mal. S’il se sent faiblir devant le déluge de forces hostiles qui s’abat contre lui, qu’il se souvienne que la main de Jésus est là qui le retient de sombrer dans l’abîme. Car « personne ne peut être arraché à la main du Père » (Jn 10, 29). Saint Pierre aujourd’hui en a fait l’expérience. Que ce soit aussi la nôtre. Amen.