Homélie du 18 octobre 2020 - 29e Dimanche du T.O.

Rendez ce qui est de Dieu à Dieu

par

fr. Emmanuel Perrier

Que devons-nous faire ? Est-il permis de payer l’impôt à César, oui ou non ? Est-on fidèle à Dieu en versant à César son tribut, ou bien est-on fidèle à Dieu en refusant à César son tribut ?

Frères et sœurs, la question des pharisiens et des partisans du roi Hérode n’était pas un examen d’école pour valider le contrôle continu. Au temps du Christ, elle était particulièrement sensible en Palestine où fermentaient déjà les révoltes contre l’occupant romain, qui aboutirent quelques décennies plus tard à la dispersion des juifs et à la destruction du Temple de Jérusalem.
Il ne nous est pas bien difficile de nous représenter cette situation instable. Il nous suffit pour cela de nous imaginer dans un pays qui aurait plus de 300 000 articles de lois et règlements en vigueur, des impôts, des taxes et des démarches administratives en veux-tu en voilà, qui sortirait de trois mois de confinement, dont les habitants seraient tenus au gel et au masque, aux gestes barrières et aux tests, voire au couvre-feu. Pour faire bonne mesure, on pourrait ajouter à ce pays sans ressemblance avec une situation connue, une incertitude économique, des réunions et activités annulées, un isolement prolongé des personnes âgées, un grand nombre de personnes fragiles ou pauvres, et de la violence un peu partout. Couronnons le tout avec une loi en passe d’être adoptée, qui d’un côté commercialiserait des enfants produits à la demande et qui de l’autre suspendrait une sentence de mort au-dessus de tout enfant jusqu’au jour de sa naissance. Imaginez-vous un instant habitant un tel pays. N’auriez-vous pas de temps à autre envie de demander au Christ : Seigneur, faut-il continuer à courber docilement l’échine, ou bien faut-il se révolter ?
Ainsi en fut-il de la question adressée à Jésus. En face d’une situation politique explosive, on voulait qu’il déclarât son parti, on voulait qu’il dît de quel côté est Dieu. Enfin, pas exactement. Car ceux qui interrogeaient Jésus voulaient surtout le piéger. Ils n’avaient aucune intention de suivre les consignes du Christ, car ils avaient en vue de le faire condamner, soit par la foule pour collaboration avec les Romains, soit par les Romains pour révolte contre l’empereur. Voici pourquoi le Christ les démasque en les traitant d’hypocrites. Quant à nous, nous ne voulons pas piéger le Christ. Sa réponse nous importe parce que nous avons besoin de savoir ce que Dieu attend de nous dans les circonstances difficiles de notre époque. Seigneur, que devons-nous faire ? Faut-il continuer à payer l’impôt à César, oui ou non ?

Je le répète : nous ne posons pas cette question à la légère, nous avons bien l’intention de suivre ce que Dieu nous demande parce que nous savons que, lui, sait où il veut mener notre monde et nous avec. Il se sert des Césars de cette terre comme du roi Cyrus dont nous parlait Isaïe, et de tous les chefs des nations pour accomplir ses desseins. Tout lui est soumis. Alors, sans aucune crainte, nous pouvons prêter attention à sa réponse : « Montrez-moi la monnaie de l’impôt. L’image qui est dessus, et l’inscription, de qui sont-elles ? » On pourrait tout aussi bien sortir un billet de banque. Quelle image voit-on sur nos billets de banque ? À la place de César sur les deniers d’empire, nos euros ont des ponts et des arches. Les Romains obéissaient à leur empereur, nous, nous obéissons visiblement à des experts en maçonnerie, des architectes en chef, c’est-à-dire à des technocrates. « Eh bien, nous dit le Christ, rendez ce qui est de Dieu à Dieu et ce qui est des technocrates aux technocrates. »

La clé de la réponse du Christ, c’est donc l’image, car l’image nous dit à qui on doit rendre. Tout ce qui porte l’image des technocrates est rendu aux technocrates, et tout ce qui porte l’image de Dieu est rendu à Dieu. Par exemple, une bouteille de gel hydroalcoolique porte une marque CE et s’il faut payer un impôt dessus on le retournera aux technocrates qui ont fait apposer la marque. En revanche, un homme porte l’image de Dieu inscrite dans son âme spirituelle, et il doit donc se retourner lui-même vers Dieu pour lui rendre ce qu’il lui doit.

Mais si l’on voit bien comment payer l’impôt aux technocrates, comment rend-on à Dieu ce qu’on lui doit ? Ici, il faut entrer dans un peu plus de détails. Car il y a image de Dieu et image de Dieu. La parfaite image de Dieu, c’est le Fils du Père éternel, éternellement engendré dans l’unité de la substance divine. Il est l’effigie de sa substance (He 1, 3), Dieu né de Dieu, Lumière née de la Lumière, vrai Dieu né du vrai Dieu. Voilà l’image parfaite. Or lorsque le Fils éternel fut envoyé dans notre chair, lorsqu’il fut fait homme, l’Image du Père fut imprimée dans son humanité. C’est pourquoi l’humanité du Christ est sainte et la plus ressemblante avec Dieu qu’il soit possible à une humanité. Qui le voit voit le Père. Le Christ toutefois n’a pas été envoyé pour être le seul saint au milieu des pécheurs mais pour être le premier-né d’une multitude de frères, ceux que le Père a prédestinés à devenir conformes à l’image de son Fils par la foi (cf. Rm 8, 29). Ainsi, par la foi au Christ, toute grâce que nous recevons du Christ depuis notre baptême vise-t-elle à former en nous une image de Dieu conforme au Christ. Le Christ est notre modèle et sa grâce nous modèle à son image.

Nous avons progressé. Nous comprenons que rendre ce qui est de Dieu à Dieu consiste à devenir une image plus fidèle à Dieu par la grâce du Christ. Mais il faut rendre les choses plus concrètes. La grâce donnée par le Christ pour devenir image n’est autre que l’Esprit-Saint, qui vient dans notre âme comme un sceau déposant l’empreinte du Christ. Or l’Esprit-Saint déploie en nous la sainteté du Christ de deux manières, d’abord par les vertus de foi, d’espérance et de charité que l’on appelle vertus théologales, et ensuite par les sept dons que l’on appelle les dons du Saint-Esprit. Ainsi, l’image de Dieu en nous se forme-t-elle à mesure que la foi, l’espérance, la charité ainsi que les sept dons nous transforment pour ressembler à Jésus-Christ notre Seigneur, l’Image parfaite du Père. Nous avons entendu saint Paul évoquer cette œuvre divine de transformation des chrétiens de Thessalonique : « À tout moment, nous rendons grâce à Dieu au sujet de vous tous […] nous souvenant que votre foi est active, que votre charité se donne de la peine, que votre espérance tient bon en notre Seigneur Jésus-Christ, en présence de Dieu notre Père. » Paul rend grâce à Dieu de ce que Dieu est en train de transformer les chrétiens à l’image du Christ. Et nous-mêmes pouvons rendre grâce à Dieu pour la foule des saints qui dans leur diversité reflètent le Christ leur modèle.

La phrase du Christ aux pharisiens et fidèles d’Hérode s’éclaire. Ils demandent au Christ d’enrôler Dieu dans un parti, le parti des soumis au pouvoir ou le parti des insoumis, le parti des carpettes ou le parti des révoltés, le parti des compromis ou le parti de l’incendie. Ils ont l’audace de tenter Dieu en le sommant d’être dans un camp comme si Dieu ne tenait qu’une partie du monde dans sa main, comme s’il ne gouvernait pas toutes choses selon ses desseins à lui. Nous aussi, dans les temps qui viennent, nous allons de plus en plus souvent nous trouver tiraillés entre ces deux partis. Nous nous demanderons : que faut-il faire ? C’est alors qu’il faudra se souvenir de l’enseignement du Christ : nous avons été appelés par Dieu à être reformés à l’image du Christ. Cette fidélité à notre appel repose sur trois principes. D’un côté, rendre aux technocrates ce qu’ils demandent tant qu’il s’agit de leur rendre leurs œuvres techniques. Mais d’un autre côté, ne pas livrer l’homme aux technocrates car l’homme est à l’image de Dieu et doit se rendre à Dieu seul. Enfin, devenir soi-même une image de Dieu conforme au Christ, selon la grâce de l’Esprit-Saint reçue au baptême. Par une foi chrétienne qui produit des œuvres imprégnées par la foi, par une charité qui se donne de la peine partout où le prochain est en attente de soutien, par une espérance qui tient bon en désirant les biens qui demeurent en vie éternelle. Ainsi rendrons-nous ce qui est de Dieu à Dieu.