Homélie du 11 novembre 2012 - 32e DO

Sans toi je ne peux plus vivre

par

fr. Arnaud Lamouille

Frères et Sœurs, quel geste aurions-nous remarqué? Celui des riches, déposant de grosses sommes dans le Trésor du Temple ou celui de cette veuve pauvre y jetant deux piécettes? Aurions-nous prêté attention à son geste dérisoire? C’est lui pourtant qui a attiré le regard de Jésus. Il nous le donne en exemple. Ce choix de Jésus n’est pas une fantaisie, il s’inscrit dans la logique de l’Incarnation. Jésus se reconnaît dans cette veuve devenue son icône. Souvenez-vous du premier geste de Jésus à Jérusalem: il purifie le Temple, il lui rend sa vraie fonction. Maison de Dieu, le Temple n’est pas une maison de commerce où on étale son argent, mais une maison de prière. Pour Jésus le geste de cette veuve est la seule véritable offrande, plus grande que toutes les autres réunies. Cette femme a tout donné, toute sa vie à Dieu. Ses deux piécettes offertes n’ont-elles pas la forme d’une prière: Seigneur, sans toi je ne peux plus vivre? Dieu est désormais sa seule chance de vivre, son seul trésor.

Frères et Sœurs, Dieu ne peut collaborer qu’avec ceux qui ont expérimenté que sans le Christ, ils ne sont rien, ils ne peuvent pas vivre. C’est évident dans l’évangile, Jésus ne peut agir qu’avec ceux qui ont pris conscience de leur misère; c’est même la condition première pour devenir disciple, pour répondre au suis-moi adressé à tous. C’est la raison pour laquelle Jésus donne cette veuve comme un modèle à imiter. La démarche de cette veuve, dépourvue de tout, abandonnée de tous et menacée de mort puisqu’elle a tout donné, ce fut en un certain sens l’expérience de Pierre, le chef des apôtres. Appelé à devenir successeur du Christ, il a dû d’abord faire l’expérience de sa misère. Nul ne rencontre Dieu sans se reconnaître faible, pauvre, pécheur. Avant son appel Pierre était sûr de lui, avait confiance en ses capacités, était conscient de sa valeur. Mais le passage du Seigneur l’a dépouillé de son amour-propre. Dès la première rencontre, (il y en aura d’autres car rien n’est acquis une fois pour toutes) Jésus l’a dépouillé de tout son confort naturel. Le royaume de Dieu ne s’ouvre qu’aux pauvres. La première lecture le souligne sans ambages: jarre de farine et vase d’huile ne s’épuiseront jamais qu’après que la veuve de Sarepta ait donné au prophète Élie ce qu’elle gardait pour elle et son fils avant de mourir. Dieu ne peut combler que ceux qui ont mis toute leur confiance en lui et en lui seul.

La meilleure préparation à ses responsabilités futures fut pour Pierre la révélation de sa faiblesse radicale et reconnue. Au point que, si sûr de lui d’habitude, si prompt à prendre des initiatives, Pierre a commencé par supplier Jésus de ne pas lui imposer son intolérable présence: Éloigne-toi de moi, je ne suis qu’un pécheur. Vous connaissez la scène. Un jour, pressé par la foule, Jésus était monté dans la barque de Pierre et de là s’était mis à enseigner. Pierre n’avait pu qu’écouter; il appréciait le bon prédicateur. Mais écouter des sermons, ce n’était pas son affaire. Son métier à lui, Pierre, c’était la pêche. Pêcheur compétent il connaissait bien le lac, il n’avait rien à apprendre dans ce domaine! Il en était là de ses réflexions quand Jésus lui avait dit: Simon, jette les filets. Surpris d’être deviné, Pierre avait répliqué: Inutile, Seigneur, la nuit entière nous avons pêché, et sans résultat. Jette quand même avait insisté Jésus et le miracle avait eu lieu; les filets lourds de poissons étaient sur le point de rompre. Pierre était confondu. Jésus venait de lui montrer que sur son terrain de prédilection, là où il se croyait le meilleur, la pêche, il ne valait rien! Sans le Seigneur, il n’était même pas capable de pêcher.

Le Christ a fait de Pierre son successeur, non pas à cause de sa valeur et de sa compétence, il en faut, mais à cause de son obéissance, si proche de celle de la veuve de Sarepta: sur ta parole, Seigneur, je jetterai les filets; la femme alla faire ce qu’Élie lui avait demandé. À cette heure Pierre avait aussi deviné ce que serait son métier d’apôtre, de travailler avec quelqu’un dont les pensées sont tellement au-dessus de nos pensées. Pierre avait compris que son apostolat serait d’abandonner son indépendance et sa tranquillité pour confronter sans cesse son insuffisance personnelle à l’immensité des desseins de Dieu. D’où sa supplication: Éloigne-toi de moi! Jésus lui avait alors simplement dit: Simon, tu n’as encore rien vu! Tu viens de pêcher des poissons, mais ce sera bientôt des hommes! Alors, alors tu auras envie de t’en aller, de te retirer à cause de ta misère. Tu devras apprendre à jeter souvent le filet dans la nuit sans rien prendre. Seule la foi te permettra de tenir. Un jour la grâce viendra et tu ne sauras comment accueillir tous ces êtres que Dieu te donne.

Dieu ne peut collaborer, Frères et Sœurs, qu’avec celui qui a conscience de sa misère, de son incapacité et qui l’admet au point de l’offrir. L’homme qui se reconnaît faible devant Dieu est déjà fort de Dieu. L’homme qui se sait pauvre devant Dieu est déjà riche de Dieu. Seul le pauvre cesse d’être sourd à tout ce qui n’est pas lui-même parce qu’il compte sur un Autre.

Le pauvre est celui qui accepte de se mettre en marche, de sortir de son petit monde clos. Abraham, premier pauvre de la Bible, fut le premier à entendre la voix dépouillante de Dieu: Pars, quitte tes biens, ton pays, tes habitudes. Et Abraham partit ne sachant où il allait commente l’épître aux Hébreux.

Dieu veut que nous ne gardions rien, parce qu’il veut tout nous donner. Aussi le Pauvre par excellence, c’est le Christ. Il n’a rien gardé, il ne s’est cramponné à rien, pas même à sa condition divine. Il n’a pas retenu son égalité avec Dieu. Il s’est anéanti lui-même prenant la condition d’esclave. Il s’est comporté comme un Fils obéissant jusqu’à la mort, et la mort sur une croix. Et Dieu en a fait le Sauveur du monde!

Au jour de l’Annonciation Dieu a dépouillé Marie de ses projets et Marie s’est réjoui de ce qu’il avait jeté les yeux sur la pauvreté de sa servante. Quand l’homme se vide et se rend ainsi disponible, il y a place en lui pour l’action de Dieu. Les puissants, Dieu les renverse de leurs trônes, les superbes il les disperse loin de lui. Mais il comble les affamés. Il prend près de lui les humbles, les disponibles, les prêts à tout comme Pierre, Abraham, Marie ou la pauvre veuve de l’évangile. Avec ceux-là il fait des merveilles.

Puissions-nous, Frères et Sœurs, avoir conscience de notre misère pour l’offrir comme la veuve de l’évangile ou celle de Sarepta, et nous aurons trouvé alors le vrai trésor puisque le plan de Dieu pourra enfin se réaliser en nous et avec nous.