Homélie du 28 janvier 2018 - Solennité de saint Thomas d'Aquin (aux Jacobins)

Se promener dans le mystère de Dieu comme en un jardin

par

fr. Timothée Lagabrielle

« Mon Père, c’est décidé ! Avec tout ce que j’ai entendu dire sur la beauté de la théologie, j’ai décidé de m’y mettre, je veux connaître Dieu. Alors, dites-moi, par quoi est-ce que je commence ? Qu’est-ce que je dois lire en premier ? Donnez-moi un livre simple avec les choses à savoir sur Dieu, et un genre de procédure à suivre, une technique infaillible pour apprendre… » Houlà-là ! Quelle question redoutable ! C’est une de ces questions terribles qui laissent un peu sans voix un Dominicain… « Ah mon brave monsieur (ou ma brave dame), ce que vous cherchez n’existe pas… »

Laissez-moi vous expliquer pourquoi. Tenez, on pourrait poser la question à saint Thomas d’Aquin puisque nous sommes avec lui ce soir : « Frère Thomas, par quoi commencer pour connaître Dieu ? »

À ma connaissance, il ne répond pas directement à la question, mais il a écrit plusieurs ouvrages qui veulent présenter une vue d’ensemble sur la foi ; et, quand on regarde les plans de ces œuvres, quand on regarde par quoi commence saint Thomas, que constate-t-on ? Eh bien on constate qu’ils ne sont pas toujours pareils. Selon les ouvrages, saint Thomas a différents points de départ, différents enchaînements d’idées. Il n’y a pas chez saint Thomas un système déductif bien construit, il n’y a pas chez saint Thomas une idée forte (ou quelques idées fortes) d’où tout découle. Il n’y a pas chez saint Thomas un système bien cadenassé.

L’homme qui cherche un livre qui part d’une idée simple, en fait le tour puis progresse vers des choses plus élaborées jusqu’à avoir fait le tour de la théologie, cet homme-là sera déçu en faisant de la théologie, il sera déçu en lisant saint Thomas. Saint Thomas n’a pas écrit un tel livre parce que cette façon de procéder ne fonctionne pas pour connaître Dieu. Et cela ne fonctionne pas pour connaître Dieu parce que l’homme ne peut pas comprendre Dieu. Voici une vérité que saint Thomas a bien vue et il le répète sans cesse : l’homme ne peut pas comprendre Dieu.

Comprenons bien : l’homme — qui n’est qu’une créature limitée — ne peut pas comprendre tout Dieu qui est infini. L’homme ne peut pas connaître parfaitement Dieu qui n’est pas à sa mesure. Nous pouvons connaître parfaitement des choses qui sont à notre taille, comme des règles de grammaire ou des démonstrations mathématiques (même celles qui sont assez longues), ou une leçon de chimie (même celle sur les diastéréoisomères), ou des articles du code civil…, mais il n’est pas possible de connaître parfaitement Dieu ni même un des mystères divins.

Puisque Dieu est trop grand pour nous, puisqu’il est trop grand pour notre capacité de connaissance, nous ne pouvons le connaître que par « petits bouts ». Nous pouvons savoir des choses sur Dieu, mais nous ne pouvons pas le comprendre parfaitement. Il n’y a donc pas un itinéraire qui va du plus simple au plus compliqué pour décrire Dieu.

C’est pour cela que saint Thomas nous propose plusieurs entrées dans le mystère de Dieu, plusieurs itinéraires pour découvrir des choses sur Dieu.
Nous ne pourrons pas comprendre Dieu, mais nous pouvons savoir des choses sur Dieu, et cela est déjà une grande béatitude, une grande joie. C’est dans cette joie que saint Thomas veut nous introduire. Il sait que nous ne pouvons pas expliquer par le menu tout le mystère de Dieu, mais il sait aussi que tout ce qu’on pourra connaître de Dieu sera bon. Il nous propose de cheminer dans le mystère de Dieu, comme lui-même l’a fait, en contemplant au long de notre route ce que nous pourrons en saisir. Un peu comme le font des promeneurs dans un jardin botanique.

Il nous propose de nous accompagner dans notre recherche de Dieu. Cela commence par le fait de découvrir des choses sur Dieu, puis — et c’est peut-être pour cela que saint Thomas est le plus précieux —, pour mettre ces connaissances en relation entre elles afin qu’elles s’éclairent encore plus, pour les mettre en ordre, pour voir ce qui est particulièrement important. À force d’avoir parcouru ce jardin botanique, il en a une meilleure vue d’ensemble.

Alors, par quoi commencer pour apprendre qui est Dieu ? On pourrait dire qu’on peut commencer par n’importe quoi ! En tout cas, on peut commencer par n’importe quel bout. De toute façon il faudra passer un peu partout : aussi bien par la Bible que par l’étude du Credo, aussi bien par des écrits d’auteurs spirituels que par les grands textes des papes et des Conciles. C’est cela qui fera grandir notre intelligence du mystère de Dieu et qui nous fera l’aimer de plus en plus.

Plus que le point de départ, ce qui compte c’est de commencer, et aussi d’avancer, petits pas après petits pas, et de mettre ces connaissances en ordre. C’est un travail de longue haleine : c’est l’œuvre de notre vie. D’ailleurs, nous savons que la mort viendra nous prendre avant que nous n’ayons terminé, comme ça a été le cas pour saint Thomas. C’est un travail inépuisable, et c’est tant mieux puisqu’il est aussi la source d’une joie qui est donc, elle aussi, inépuisable.