Homélie du 21 mai 2020 - Fête de l'Ascension

S’élancer vers le ciel

par

fr. Cyrille Jalabert

Jeudi dernier, dès qu’il a cessé de pleuvoir, alors que je commençais mon chapelet dans le cloître de notre couvent de Rangueil, le couple de merles qui y a élu domicile ce printemps s’est mis à pépier pour appeler ses quatre petits. Le plus entreprenant des quatre était déjà sorti du nid, s’était avancé, considérait la hauteur du mur (environ trois mètres) et hésitait à s’élancer dans le vide pour son premier vol. À la fin de la quatrième dizaine, c’était fait. Laissant derrière lui le reste de la nichée, il a effectué un premier vol plutôt réussi, atterrissant sans difficulté au pied du laurier-rose qui prépare sa floraison dans un coin du cloître.

Nous sommes dans une situation comparable ; notre Dieu, notre sauveur, notre frère, le Christ, Jésus s’est élancé vers le ciel. Il nous montre à quoi nous sommes destinés, comme le dit saint Paul dans l’épitre au Éphésiens que nous venons d’entendre : « Pour que vous sachiez quelle espérance vous ouvre son appel, la gloire sans prix de l’héritage que vous partagez avec les fidèles. » Nous savons en effet que non seulement Jésus est monté au ciel avec son corps humain, mais aussi qu’il est assis à la droite du Père et qu’il reviendra comme il est monté, c’est-à-dire dans la gloire. Nous le proclamons chaque dimanche dans le Je crois en Dieu. La voilà notre espérance, le voilà notre héritage.

Bien sûr, ils sont rares les humains parvenus à ce jour au ciel avec leur corps : Jésus, la bienheureuse Vierge Marie dont nous célébrons l’assomption le 15 août. Nous autres, pour vivre avec notre corps en présence de Dieu, il nous faudra attendre la résurrection des morts, à la fin du monde, pour vivre, espérons-le, éternellement avec Dieu, dans la joie et l’allégresse. Auparavant, les âmes des sauvés vivent en présence de Dieu et attendent le dernier jour pour retrouver leur corps.

La réalité du Royaume de Dieu n’est pas seulement à venir. Nous voulons vivre dès aujourd’hui en présence de Dieu, dans la joie et l’allégresse. Les disciples le sentent bien qui demandent : « Seigneur est-ce maintenant le temps où tu vas rétablir le Royaume en Israël ? » Jésus leur répond : « Vous allez recevoir une force quand le Saint-Esprit viendra sur vous. » Les promesses qui nous sont faites ne concernent pas seulement la fin des temps, il nous revient dès aujourd’hui de contribuer librement à établir le Royaume de Dieu dans nos vies et dans le monde. La fête de ce jour nous invite à nous élancer, comme les petits merles de leur nid. Nous savons que c’est possible, nous entendons l’appel du Seigneur. Nous élancer pour quoi ? Pour nous laisser emplir par l’Esprit-Saint et ainsi vivre le Royaume des cieux, en présence de Dieu, dans la joie et l’allégresse dès aujourd’hui.

J’ignore si vous avez déjà vu le premier vol d’un jeune oiseau. C’est plus proche d’un atterrissage d’urgence que du vol précis, élégant et altier de ses parents. Durant leurs premières heures passées dans le cloître, les jeunes merles ont voleté plus que volé dans le cloître : ils peinaient à s’élever à plus de 1,50 ou 2 m du sol. Leur trajectoire était approximative et c’est seulement le lendemain qu’ils ont été capables d’atteindre le toit du cloître en quelques coups d’ailes. De même, nous sommes maladroits dans notre vie chrétienne ; notre péché nous empêche de nous élever pleinement vers Dieu. Mais le Seigneur ne regarde pas tant nos résultats que les moyens que nous prenons pour venir à lui, par les sacrements, nos bonnes œuvres, nos prières… Comme les petits merles, il nous revient de nous lancer. Même si nos réussites ne sont pas extraordinaires, c’est le Christ qui, de toutes façons, a remporté la victoire pour nous. La fête d’aujourd’hui nous le rappelle : dans le Christ, notre humanité est élevée au ciel. Nous n’entrons pas dans le Royaume de Dieu par nos propres forces, mais en raison de sa bonté, de sa miséricorde et de notre désir, et nos actes sont les signes de notre détermination. Aussi ne craignons pas notre vol maladroit de petits oiseaux à peine tombés du nid.

Pour ceux qui trouvent que ce sermon ornithologique ne vole pas assez haut, je propose de méditer l’image que nous a laissée un des plus grands auteurs spirituels du XIIe siècle, Richard de Saint-Victor. Parfois les oiseaux s’élèvent très haut, puis descendent au ras du sol, se projettent à toute vitesse dans une direction et font brusquement demi-tour, ils tournent à droite puis à gauche. Nous le voyons bien dans notre pays toulousain quand les étourneaux sont là. Le chrétien est capable de s’élever très haut, de regarder vers Jésus, vers les réalités du ciel, mais aussi de regarder vers le bas, sans oublier ce qu’il a vu du Royaume de Dieu. Les deux hommes en vêtement blanc le disent : « Pourquoi restez-vous là, à regarder le ciel ? » Quand nous considérons le monde dans lequel nous vivons sans perdre de vue ce que la foi nous fait voir des réalités divines, alors nous distinguons, au ras du sol, « l’homme qui veut, l’homme qui court » et, depuis les hauteurs, « Dieu qui fait miséricorde » (Rm 9, 16).

Jésus envoie ses apôtres : cela ne signifie pas que nous devons tous sauter dans un avion, partir au loin pour proclamer la bonne nouvelle du salut et baptiser toutes les nations. Nous qui sommes baptisés, ceux qui ont une famille, des enfants, nous pouvons vivre dans ce monde sans être de ce monde, autrement dit sans oublier le Royaume de Dieu. Ainsi nous serons des femmes et des hommes spirituels, capables de faire comme le recommande saint Paul : « Ceux qui font des achats comme s’ils ne possédaient rien, ceux qui profitent de ce monde comme s’ils n’en profitaient pas vraiment » (1 Co 7, 31). Il s’agit bien de vivre dans ce monde et d’en partager les réalités, parfois difficiles, mais de garder notre regard fixé sur les réalités d’en haut. Si nous nous convertissons jusque dans nos profondeurs, alors nous serons des témoins de feu. On verra, malgré notre fragilité, que le Royaume de Dieu est au milieu de nous. Pour que le nom de Jésus soit connu jusqu’aux extrémités du monde, pour que Dieu soit aimé par toutes les nations, frères et sœurs, petits oiseaux, témoins du Seigneur, bon vol.