Homélie du 30 octobre 2016 - 31e Dimanche du T.O.

Sur nos sycomores

par

fr. François Daguet

Tout le sens de notre vie tient à la rencontre que nous faisons du Christ. Cela ne disqualifie pas le reste, mais c’est là l’essentiel, le plus important  : aurai-je, oui ou non, rencontré Jésus le Christ au cours de ma vie terrestre ? Cela vaut pour tout homme, y compris pour les chrétiens. Cela vaut pour vous, pour moi. Comment savoir ? En regardant ce qu’il en advient. Quand on a rencontré Jésus, après n’est plus comme avant. C’est ce qui est arrivé à Zachée.
Soyons francs  : Zachée a tout pour déplaire. Il est petit, il est collecteur d’impôt, il est riche, et il est probablement malhonnête. On imagine volontiers qu’il est laid. Si vous l’aviez croisé sur le parvis de l’église en arrivant, vous l’auriez évité. C’est lui que Jésus choisit pour nous donner le schéma parfait, la charte en quelque sorte, de la conversion. Elle se déroule en quatre temps. D’abord, il veut voir Jésus, et se dispose à ne pas le manquer. Le deuxième temps est celui de la rencontre  : Jésus passe, le voit, l’interpelle et s’invite chez lui. Le troisième est celui du repas partagé, qui ne va pas sans susciter des récriminations  : « Il est allé loger chez un pécheur. » Enfin, Zachée change sa vie, et la remet dans la lumière en se détournant de ses péchés.
Il y a deux acteurs, Zachée et Dieu lui-même. On discerne sans peine, comme en filigrane, l’œuvre cachée de la grâce  : grâce prévenante qui dispose le cœur et éveille le désir, grâce opérante qui convertit en envahissant l’âme, grâce coopérante qui accompagne les œuvres humaines. Tout se joue dans cette rencontre de Dieu et de l’homme, de la grâce et de l’agir humain. Toute âme humaine est une citadelle assiégée par la grâce. Mais c’est à nous d’en ouvrir les portes.
Méditons un instant le premier temps, vous méditerez les autres de votre côté. Zachée a voulu voir Jésus qui passait dans sa ville de Jéricho. Zachée, dans sa vie si mêlée de ténèbres, est mystérieusement attiré par la lumière. Hérode aussi souhaitait voir Jésus (Lc 9, 9). À la veille de sa Passion, des Grecs voudront le voir (Jn 12, 21). C’est que l’homme est fait pour voir Dieu et qu’il ne peut être heureux loin de Lui (cf. CEC 27). Il faut oser le dire et le redire sans cesse  : le cœur humain ne peut être comblé sans Dieu, même celui de l’époux qui a la meilleure épouse. C’est un immense mensonge du monde contemporain que de laisser croire aux hommes qu’ils peuvent combler leurs désirs par eux-mêmes. Saint Augustin l’a dit à l’ouverture des Confessions dans des mots célèbres, toujours repris  : « Tu nous as faits tournés vers toi et notre cœur est sans repos jusqu’à tant qu’il repose en toi » (Confessions, I, 1). Même s’il ne le reconnaît pas, Zachée a soif, il aspire à être comblé, son besoin d’infini ne peut se contenter de la finitude, même celle de sa grande richesse. Et cette attrait vers la plénitude rejoint l’attraction de Jésus sur tout homme  : « Quand j’aurai été élevé de terre, j’attirerai tout à moi » (Jn 12, 32). L’homme a soif de Dieu, mais le Christ aussi a soif de l’homme. Ce sera son dernier mot  : « J’ai soif. »
Alors, il y a le sycomore. Quelle étrange intervention que celle de cet arbre, proche du figuier, dont on dit qu’il produit des fruits de folie ! Zachée grimpe dans ce sycomore pour voir Jésus. La masse et le tohu-bohu de l’humain, la foule, empêchent de le voir. Alors il faut se hisser sur quelque piédestal pour ne pas le manquer. Nous aussi, nous avons besoin de sycomores pour nous extraire des obstacles et apercevoir Jésus. Sycomore de la prière et du silence, sycomore de la Parole de Dieu, où le Christ continue de passer, sycomore de la liturgie, qui dispose les cœurs, sycomore de l’étude, de la théologie, qui nous rapproche sans cesse des mystères, sycomore de la fréquentation des saints, car il est bon pour un nain d’être juché sur les épaules d’un géant… Tout cela nous dispose à le saisir au passage, à ne pas le manquer. Tous ces sycomores nous sont offerts.
Alors, infailliblement, la rencontre se produit. Jésus s’arrête et nous parle  : « Aujourd’hui, il faut que j’aille demeurer chez toi. » Demeurer  : le verbe qui revient sans cesse dans les écrits de saint Jean. « Demeurez en moi comme moi en vous » (15, 4) ; « si quelqu’un m’aime, nous viendrons à lui et nous ferons chez lui notre demeure » (14, 23) ; « qui demeure en moi, comme moi en lui, porte beaucoup de fruits » (15, 5). Voilà l’enjeu  : que le Christ vienne demeurer en nous, et que nous désormais nous demeurions en lui. Il le faut, dit Jésus. C’est cela qu’il veut pour nous, et c’est cela que nous désirons, plus ou moins consciemment.
Eh bien, voilà ce qui va se produire, ici et maintenant. Vous avez quitté vos occupations, vous êtes venus ici – c’est votre sycomore de ce matin –, et Jésus dit à chacun, personnellement  : « Il faut que j’aille demeurer chez toi. » Et c’est ce qu’il fait en se donnant en nourriture. Et ainsi, à nouveau, « aujourd’hui, le salut est venu pour cette maison ». Celle de notre cœur. Nous n’avons qu’à ouvrir les portes de notre cœur, de notre âme. Il fera le reste.

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