Homélie du 12 mars 2006 - 2e DC

Transfiguration

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«Comme c’est bon d’être ici! Oui, c’est si bon de voir ton visage, irradiant la lumière de Dieu! Note que tout cela, je l’avais pressenti: tu te souviens quand j’ai bien répondu ? ta question en te disant que tu étais le Christ le Fils du Dieu vivant. Je le croyais, maintenant tu me donne le voir. Merci Seigneur.»

Alors maintenant, ta mission est accomplie, n’est-ce pas? Tu en as fini avec ces idées noires, le scénario catastrophe que tu me faisais l’autre fois: l’arrestation, la mise à mort et toutes ces horreurs… De tout cela, il n’en est plus question, n’est-ce pas? Alors tu restes ici, n’est-ce pas? Tiens! je vais dresser trois tentes, une pour Moïse à ta droite, une autre pour Élie à ta gauche, et la troisième pour toi bien au milieu. Comme cela vous allez pouvoir vous installer bien confortablement pour discuter ensemble.

Et moi, pendant ce temps là, je vais aller convoquer tout Israël: les anciens, les grands prêtres et les scribes pour commencer. Et je vais leur dire: «Venez donc faire un tour du côté du Thabor: il y a là un petit spectacle qui devrait vous intéresser». Et quand ils seront tous là, je leur dirai: «Et maintenant hein! Vous faites moins les fiers? Vous l’avez vu Moïse, celui qui nous a donné la loi? Le voici qui écoute bien sagement Jésus comme un disciple écoute son maître. Eh bien! Si Moïse le reconnaît comme le Messie, il ne vous reste plus qu’à faire comme lui, vous les observateurs zélés de sa loi: confesser qu’il est le Fils de Dieu». Voilà ce que je leur dirai, ou plutôt je ne leur dirai rien du tout: il leur suffira de te voir avec cette lumière, et leur cœur sera changé.

Et puis il n’y a pas que les grands prêtres et les scribes. Il y a aussi tous les impies, tous ceux qui oppriment le pauvre monde. Crois-moi, s’ils te voyaient ainsi, ils réfléchiraient à deux fois avant de persécuter les justes. Il y a encore tous les pécheurs, s’ils voyaient la lumière de ton visage, c’est sûr, ils se convertiraient. Tu l’as dit toi-même: c’est pour les pécheurs que tu es venu. Alors faisons-les venir ici.

Je t’en prie, reste ici pour nous autres pauvres humains ceux d’aujourd’hui et ceux qui viendront dans les siècles futurs; nous tous qui souffrons de vivre au milieu de tant de ténèbres; nous avons tellement besoin de la voir cette lumière sur ton visage. Sans compter que si tu devais aller à Jérusalem, je serais obligé de te suivre au milieu de tous ces dangers. On est tellement bien ici.
Donc tu restes ici, tu ne bouges pas: on laisse avec toi Jean pour te surveiller, enfin, je veux dire pour te tenir compagnie, et nous les apôtres, nous nous chargeons d’amener ici Israël et toutes les nations.

Avouons, frères et sœurs, que cette révision de l’histoire du salut, est bien tentante, non?
Pourtant, Jésus n’a pas cédé. La lumière qui irradiait son visage s’est éteinte.
Et s’il n’a pas cédé, c’est parce qu’il ne suffit pas d’avoir vu Jésus transfiguré pour être sauvé. La preuve? La vision de la transfiguration n’a pas empêché Pierre de le renier. La lumière du Mont Thabor réjouit peut-être la vue, mais elle ne suffit pas à changer le cœur. Car c’est le cœur qu’il s’agit de transformer. Mais que faut-il pour le transformer?

D’abord, ainsi que nous l’enseigne la voix du Père, il faut écouter ce que dit le Fils: «Celui-ci est mon Fils bien-aimé, écoutez-le». En ce sens, la transfiguration ne visait pas autre chose qu’à introduire solennellement cette injonction du Père, à disposer les apôtres à accueillir avec le respect sacré chacune des paroles de son Fils. La preuve? A peine le Père a-t-il achevé ces mots que tout disparaît: Moïse, Élie, la nuée et la lumière qui illuminait son visage. Tout disparaît. Il ne reste plus rien que Jésus, Jésus seul qui a retrouvé son apparence ordinaire.

La lumière qui illuminait le visage de Jésus serait-elle devenue définitivement inaccessible ici-bas ? Pour notre regard, peut-être, mais pas pour nos oreilles. Car, aussi étrange que cela paraisse, la lumière qui change le cœur, c’est d’abord l’oreille qui la perçoit. Comme si le Père disait aux apôtres : «vous avez vu l’éclat fascinant de son visage, vous voulez la retrouver? Ouvrez grand les oreilles de votre cœur, car c’est dans l’éclat tamisé des paroles de sa bouche que cette lumière va se diffuser désormais. Ouvrez vos oreilles ? leur lumière ». La parole de Jésus, voilà la montagne et la tente de la rencontre avec Dieu. Si nous accueillons sa parole, tout pour nous sera lumière, et notre vie sera transfigurée.

Mais pour que cette Parole illumine notre existence, il faut l’appliquer. L’appliquer qu’est-ce dire? La mettre en pratique? Assurément. Mais il ne s’agit pas seulement, ni même d’abord de cela. Appliquer la parole de Jésus, c’est d’abord s’en servir comme une lumière que l’on projette sur soi-même, sur le monde et sur tout ce qui s’y produit, comme on applique le faisceau d’une lampe pour pouvoir lire une page qui était dans l’obscurité.

Il faut en quelque sorte superposer les paroles de Jésus au monde pour en découvrir le sens profond, pour être capable de découvrir ce qui est vraiment beau, et ce qu’il y a de laid, ce qu’il y a de vraiment important, et ce qui ne vaut pas la peine qu’on s’y attarde. Or un tel exercice peut ménager bien des surprises.
Regardez par exemple ce condamné à mort crucifié entre deux brigands. C’est un spectacle hideux, c’est repoussant. On ne peut imaginer quelque chose de plus opposé à la transfiguration.
Mais si on y applique la lumière des paroles de Jésus, on voit tout autre chose. Si l’on superpose la lumière des paroles de Jésus au terrible spectacle de ce qu’il souffre au calvaire, on y découvre la plus belle chose qu’on ait jamais vue. On y voit ceci: «il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis». Alors ce Dieu meurt pour nous parce qu’il nous considère comme des amis? «Père pardonne leur, ils ne savent pas ce qu’ils font» Ainsi donc même cela, tu es capable de nous le pardonner? «J’ai soif» ainsi donc tu as besoin de moi pour étancher ta soif ? Sous le feu des paroles de Jésus, la montagne du Golgotha resplendit d’une lumière bien supérieure à celle de la montagne du Thabor.

Alors vite, Jésus, descends de la Montagne! Vas vers le Calvaire! Donne-moi le courage de te suivre jusque là, car je veux voir et sentir à quel point tu m’aimes. C’est de cette lumière-là que j’ai besoin; j’ai tellement besoin de me sentir aimé de toi, seule cette lumière-là peut illuminer ma vie!