Homélie du 13 avril 2001 - Vendredi Saint

Triompher de l’absurde

par

fr. Loïc-Marie Le Bot

Le juste est un mystère dont il faut venir à bout. Paradoxalement, il suscite autour de lui non l’adhésion mais la réprobation, non la paix mais la fureur de ses adversaires. Sa vie en conformité avec la Loi de Dieu rebute. Pourtant, les méchants n’ont pas le cœur tranquille. Le discours du juste les touche, réveille en eux des désirs de vérité, de bonheur et de communion avec Dieu. Les méchants veulent en avoir le cœur net. Est-il seulement un comédien, un menteur, un illuminé? «Si le juste est fils de Dieu, Dieu l’assistera, il le délivrera des mains de ses adversaires. Éprouvons-le par des outrages et des tourments; nous connaîtrons sa douceur, nous verrons à l’œuvre sa résignation. Condamnons-le à une mort infâme, puisque à l’entendre le secours lui viendra» (Sg 2, 18-20).

Les méchants veulent prouver par l’absurde qu’ils ont raison. Mettre à mort le juste, donne l’assurance qu’il a eu, qu’il a et qu’il aura toujours tort. La mort de Jésus sur la Croix doit prouver par l’absurde que ce qu’il nous a dit est faux et qu’il n’était pas celui qu’il prétendait être. D’ailleurs, il a été pris au mot. «Vous avez entendu qu’il a été dit: Œil pour œil et dent pour dent. – Eh bien! moi je vous dis de ne pas tenir tête au méchant: au contraire, quelqu’un te donne-t-il un soufflet sur la joue droite, tends-lui encore l’autre, veut-il te faire un procès et prendre ta tunique, laisse-lui même ton manteau (Mt 5, 39-40). «Vous avez entendu qu’il a été dit: Tu aimeras ton prochain et tu haïras ton ennemi. – Eh bien! moi je vous dis: Aimez vos ennemis, et priez pour vos persécuteurs» (Mt 5, 43-44). Mais plus encore, Jésus a rendu un témoignage bien plus dangereux pour le méchant, le témoignage de sa vie avec Dieu, celui qu’il appelle son Père, relation qu’il veut étendre à tous les hommes. Il s’est prétendu roi «tu l’as dit je suis roi» (Jn 18, 37) «Mais mon Royaume n’est pas de ce monde» (Jn 18, 36). Il s’est posé comme le chemin, la vérité et la vie… Le Fils de Dieu en personne.

Les méchants disent «Qu’est-ce que la vérité?» (Jn 18, 38). Les méchants disent «Tu te rends témoignage à toi-même, ton témoignage ne vaut pas!» (Jn 8, 13). Les méchants disent: «Nous n’avons pas d’autre roi que César!» (Jn 19,15). Les méchants sont désorientés par les réponses de Jésus. A la fin, ils ne savent plus trop pourquoi ils veulent le condamner mais ils savent qu’il faut qu’il disparaisse. «Si ce n’était pas un malfaiteur ne te l’aurions-nous pas livré?» (Jn 18, 30). Tous les prétextes sont bons. Les méchants espèrent encore comme Satan le promettait à Dieu pour Job «étends la main, touche à ses os et à sa chair; et je te jure qu’il te maudira en face» (Jb 1, 11).

À première vue, la preuve par l’absurde a semble-t-il fonctionné. Jésus n’a eu aucune aide céleste à peine le soutien de sa mère et d’un disciple. Il va mourir dans des conditions misérables: après un procès bâclé, il est abandonné de tous, livré aux outrages, aux avanies, aux injustices. La Croix serait-elle le triomphe de l’absurde?
«Ainsi raisonnent [les méchants], mais ils s’égarent; leur perversité les aveugle. Ils ignorent les secrets de Dieu» (Sg 2, 21). Les méchants ne connaissent pas les desseins de Dieu. Ils n’ont pas vu comment Jésus en mourant sur la Croix, lui assure la victoire.

Car Jésus nous montre d’abord une parfaite cohérence entre tout son enseignement et sa propre conduite. Pas d’insulte en sa bouche, pas de révolte, pas de blasphème. Il est celui qui fait ce qu’il dit. Il pose sa Croix comme un sceau sur sa vie entière. Il fait du chemin qu’il propose une réalité que lui-même ouvre aux hommes. «Heureux ceux qui sont persécutés pour la justice le Royaume des Cieux est à eux» (Mt 5, 10).

Car plus encore, il manifeste sa relation intime avec le Père à qui il remet tout. Je viens du Père et je retourne au Père. Les méchants seront déçus il ne maudira pas Dieu. Il vit sa Passion dans un total amour du Père. «La coupe que m’a donnée le Père ne la boirai-je pas?» (Jn 18, 11). Quand il remet son esprit, il peut dire «Tout est achevé» (Jn 19, 42). Tout est achevé car tout est remis au Père. Le Fils a glorifié le Père. «Je t’ai glorifié sur la terre; j’ai achevé l’œuvre que tu m’avais donné à faire» (Jn 17, 4).
Cette mort n’est pas vaine. Elle est non seulement preuve d’amour mais aussi la réalité de l’amour pour le Père et pour nous. Par amour, sa Passion devient offrande et sa mort sacrifice de réconciliation.

Frères et sœurs, Jésus nous entraîne aujourd’hui dans le cœur de sa vie, sa relation d’amour et de connaissance avec le Père. «Mais l’un des soldats avec sa lance lui perça le côté, et aussitôt il en coula du sang et de l’eau» (Jn 19, 34). Par le baptême et par l’Eucharistie, nous sommes associés intimement au Christ, au Christ en sa Passion, en sa mort et en sa victoire. La voie au Père nous est ouverte: c’est par le Christ en Croix que nous pouvons faire monter nos prières. Car Jésus les présente maintenant devant à son Père en son offrande parfaite. «Ce que vous demanderez au Père en mon nom il vous le donnera.» (Jn 16, 23).

La Croix n’est pas absurde car elle est la preuve et la réalité du mystère de l’amour de Jésus pour son père et du mystère de l’amour de Dieu pour nous. C’est pourquoi aujourd’hui nous allons la vénérer. Car c’est par elle que le Chemin du Père a été rouvert pour nous, que la Vérité a triomphé de l’absurde et que la mort a été vaincu la Vie. Amen!