Homélie du 23 avril 2017 - 2e Dimanche du T.P.

Vérifie ton identité!

par

fr. Édouard Divry

Portons-nous sur nous notre carte d’identité ? Habituellement oui. Jésus n’hésite pas à manifester la sienne, son identité historique. Il possède sur son corps sa carte d’identité, la marque de ses plaies cicatrisées :« Il leur montra ses mains et son côté. » Mais l’un des disciples, Thomas, n’était pas là au bon moment, et il veut constater par lui-même l’identité du ressuscité, voir, en bon agent raisonnable, la carte d’identité historique de Jésus : « Si je ne vois pas dans ses mains la marque des clous, si je ne mets pas mon doigt dans la marque des clous, et si je ne mets pas ma main dans son côté, je ne croirai pas. »
Entre gens bien éduqués, il sied normalement d’échanger sa carte de visite. Pourtant Jésus n’a pas exigé la carte d’identité de Thomas. C’est que Thomas est un privilégié publique : il appartient aux groupe des Apôtres choisis par Jésus, son nom est inscrit dans les Écritures sacrées. L’amitié crée l’égalité : « Je ne vous appelle plus serviteurs mais amis » (Jn 15, 15). Égalité et inégalité forment la trame existentielle de tous, mais l’aspiration à l’égalité supérieure est plus radicale, et c’est sous-estimer cette donnée, issue de la création, que de vouloir réaliser l’égalité en supprimant les différences.
Saint Thomas a été choisi parmi les Douze, égal des autres, et il est resté un compagnon fidèle. Il aura même le courage de déclarer au moment critique sa volonté de rester digne de foi jusqu’au bout : « Alors Thomas, appelé Didyme, dit aux autres disciples : “Allons, nous aussi, pour mourir avec lui !” » Mais saint Thomas souffre d’une certaine exclusion du cercle des intimes de Jésus : il n’était pas avec Pierre, Jacques et Jean à la Transfiguration, ni au moment de la résurrection de la fille de Jaïre, ni face à Jérusalem pour la question de la fin des temps, ni à l’agonie, ni parmi les premiers à voir le tombeau vide.
Le Christ lui réserve cependant une marque d’amour, malgré son absence qui le meurtrit sans doute au for interne : « Suis-je moins aimé que les autres ? » Il aura une apparition toute spéciale pour lui : pour l’aider à croire. Cette marque d’amour va lui permettre de se surpasser. Il fera en quelque sorte mieux que tous dans l’adhésion de foi, en déclarant explicitement, le premier, la divinité de Jésus : « Mon Seigneur et mon Dieu. » Il fera désormais davantage partie du cercle des intimes, comme le prouve la dernière pêche des Apôtres sur le lac de Galilée où Thomas est cité en second, juste après Pierre lui-même, le chef par excellence.
Pierre, lors de la vie terrestre de Jésus, avait seulement déclaré : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant » (Mt 16, 16) ; « Nous, nous croyons, et nous avons reconnu que tu es le Saint de Dieu » (Jn 6, 69). Il est clair que pour les évangélistes il s’agit dans ces expressions moins d’une foi expresse en la divinité de Jésus que d’une expression messianique qui pourrait ne signifier que le fait que Jésus est le béni de Dieu, l’oint du Seigneur, ainsi que l’attendent encore certains Juifs contemporains. En dehors de quelques textes explicites du Nouveau Testament (Cf. Rm 9, 5 ; Tit 2, 13 ; 1 Jn 5, 20 ; He 1, 8), il n’est pas dit dans les quatre Évangiles que Jésus est Dieu sauf par déduction (cf. Jn 1, 14, etc.).
Ainsi, l’apôtre Thomas a acquis un relief important pour la foi chrétienne : « Mon Seigneur et mon Dieu ! » Cette lumière de la divinité de Jésus lui est donnée tout près du cœur de Jésus, le lieu de discernement par excellence, et non à l’aide du seul sentiment : « Avance ta main et mets-la dans mon côté. »
Reposer sur le cœur de Jésus ne signifie pas nécessairement reposer physiquement sur sa poitrine comme saint Jean. C’est d’abord cette confiance que Jésus réalise au bénéfice de chacun ; il lui remet le trait véridique de l’événement. C’est aussi l’occasion de lire, comme en miroir, dans le cœur de Jésus la situation de chacun : en état de langueur, de nuit, de tristesse ; ou au contraire, de progrès, de consolation, ou de joie. L’Apôtre Thomas a senti la confiance monter dans son cœur. Une reconnaissance immense le saisit.
Et nous, frères et sœurs, quelle sera notre carte d’identité aujourd’hui et demain ? Aurons-nous le courage de dire publiquement que nous sommes chrétiens dans un monde de plus en plus hostile, qui rivalise de haine médiatique à l’encontre de celui qui a le courage de manifester ses convictions catholiques ? Un père de l’Église, Pacien de Barcelone, issu d’un pays riche en martyrs, et Benoît XV, le pape de la première guerre mondiale, ont osé déclarer au vu et au su de tous : « Mon prénom est chrétien, et mon nom de famille est catholique (christianus mihi nomen est, catholicus vero cognomen) ». Aurons-nous cette détermination pour lutter contre les idéologies, les sophismes, les discours outrés ? Saurons-nous défendre la vérité catholique, en particulier quand le journalisme force à tout confondre en gommant des différences existentielles ?
Saurons-nous combattre toute fausse référence à l’amour  « On n’a pas le droit de se donner pour martyr du moment qu’on n’observe pas la charité fraternelle » observait saint Cyprien à l’aube du christianisme naissant.
Saint Ignace d’Antioche, martyr au début du IIe siècle, déclarera  « Pour moi, mes archives, c’est Jésus-Christ ; mes archives inviolables, c’est sa croix, et sa mort, et sa résurrection et la foi qui vient de lui. » Quant à saint Paul, dans les Écritures elles-mêmes, il définira son identité à partir des plaies du Seigneur : « Pour moi, que jamais je ne me glorifie sinon dans la croix de notre Seigneur Jésus Christ, qui a fait du monde un crucifié pour moi et de moi un crucifié pour le monde… Dorénavant que personne ne me suscite d’ennuis : je porte dans mon corps les marques de Jésus » — littéralement les « stigmates de Jésus » (Ga 6, 14). Tenons-nous sur nos gardes, et vérifions notre identité. Nous « sommes ressuscités avec le Christ » (Col 3, 1) ! Amen !