Homélie du 27 juin 2021 - 13e dimanche du T. O.

Première messe de fr. Jean-Baptiste

par

fr. Romaric Morin

Pour un jeune prêtre fraîchement ordonné, la scène de l’Évangile que nous venons d’entendre a de quoi faire rêver. Tout juste revêtu de la grâce sacerdotale, configuré au Christ pour agir en sa personne — et même être en quelque sorte un « autre Christ », pour peu qu’il soit également dominicain, notre jeune prêtre ne se voit-il pas, tel le Christ, traverser les villes au milieu d’une foule en folie venue le voir, l’écouter, le toucher, réclamer à genoux sa bénédiction et lui embrasser les mains ? Foule compacte qui l’entoure et l’enserre, au point d’arracher au passage son scapulaire pour en obtenir une guérison.

Évidemment, si notre jeune prêtre se prend à rêver ainsi, certains ne manqueront pas de lui signaler qu’il est tout de même au mieux un brin vaniteux, au pire bien orgueilleux. Pour qui se prend-il celui-là qui se prend à rêver ainsi ? Ils n’auront peut-être pas tort de le penser, voire de le dire. Pour autant ils n’auront pas nécessairement raison.
Ils n’auront pas tort si notre jeune prêtre s’attribue effectivement à lui-même le mérite d’un tel succès, et s’il le tourne à sa propre gloire personnelle. « Vraiment, qu’est-ce que je suis bon ! Je prêche comme un Dieu. » Alors là oui, ce serait bel et bien orgueilleux. Toutefois ne lui jetons pas la pierre trop vite. Il n’est pas nécessairement seul responsable de la starisation dont il est à la fois l’objet, l’agent et la victime. La foule en quête de star et de héros peut bien avoir sa part de responsabilité. Le cas échéant, si notre jeune prêtre ne peut calmer l’ardeur de la foule en folie, il lui reste à imiter le Christ. Et à l’imiter à fond, i.e. en gardant de la distance avec cette foule qui veut le faire roi autrement que par la croix.
En revanche, les pourfendeurs de l’onirisme néo-sacerdotal pourraient bien se méprendre s’ils ne voyaient dans le rêve de succès apostolique de notre jeune prêtre qu’orgueil et vanité. Si notre jeune prêtre sait que le succès de sa prédication n’est pas le sien mais celui de Dieu, s’il sait également que ce succès est pure grâce que Dieu lui a accordée gratuitement sans aucun mérite de sa part (après tout, Dieu a bien su faire parler l’ânesse du prophète Balaam), s’il sait encore que ce n’est pas à lui mais à Dieu que vient la foule, s’il sait enfin que le succès de sa prédication n’est pas destiné à sa propre gloire mais à glorifier Dieu, alors il n’aura de cesse que d’œuvrer sans compter à cette gloire de Dieu, en étant justement pour cela le plus transparent possible à la grâce de Dieu. De façon à la laisser passer à travers lui sans la troubler de son opacité personnelle.
À condition donc d’être mu exclusivement par l’amour de Dieu et de son prochain, à condition de ne chercher que la gloire de Dieu et le salut du monde, notre jeune prêtre peut donc se laisser rêver sans orgueil au succès apostolique, et se laisser happer par la foule en folie… si c’est ainsi qu’il lui convient de servir Dieu. Non, l’humilité qui nous montre petit devant Dieu n’interdit pas la magnanimité, cette grandeur d’âme qui nous fait voir grand avec Dieu.

Certes il peut sembler difficile à notre jeune prêtre de tenir ensemble humilité et magnanimité. À cette fin, pour ne pas tirer à lui une gloire qui ne revient qu’à Dieu tout en aspirant à se donner totalement pour la gloire de Dieu, notre jeune prêtre peut songer que, même s’il a été ordonné, configuré au Christ, rendu apte à poser en son nom des gestes sauveurs, même s’il est un « autre Christ », il est davantage la frange du manteau du Christ que le Christ lui-même.
En effet, certains Pères de l’Église n’ont pas manqué de signaler que le vêtement, le manteau, dans l’Évangile, est souvent une image de l’humanité du Christ, de la chair dont le Verbe s’est revêtu. De sorte que la frange du manteau, dont elle est le prolongement, pourrait à son tour être une image de ce prolongement de l’humanité du Christ qu’est le prêtre. En quelque sorte, et pour le dire plus simplement, le prêtre serait à l’humanité du Christ ce que la frange est au manteau.
Or la frange du manteau du Christ s’est-elle glorifiée du miracle par elle accompli ? A-t-elle dit à la manche ou à l’encolure : « Regardez comme je suis merveilleuse et fais de grandes choses » ? Bien au contraire, n’est-ce pas plutôt parce qu’elle est plus insignifiante que la manche ou l’encolure, parce qu’elle passe inaperçue et se laisse oublier, parce qu’elle est tenue pour rien, n’est-ce pas pour tout cela qu’elle a été choisie pour guérir et sauver ? La frange est tout parce qu’elle n’est rien, et laisse ainsi la puissance de Dieu se déployer à travers sa petitesse et sa faiblesse. Si elle veut se glorifier, qu’elle se glorifie de sa faiblesse. C’est alors qu’elle est forte et puissante. C’est ainsi qu’elle sert à la gloire de Dieu et au salut du monde. Amen.