Conférences
Conférence – Exemple 2
Conférence de Carême du 17 mars 2016, par fr. Jean-Miguel Garrigues, o.p.
Retranscrite à partir des enregistrements.
Les indulgences, sujet douloureux dans l’histoire de l’Église…
Les indulgences plongent à la fois dans l’incertitude et le malaise. Il en avait été question pendant le Concile Vatican II. Certains pères conciliaires ont demandé que l’on n’en parle plus. Paul VI a pris la chose en main, sentant qu’il fallait donner vraiment une doctrine sûre, dans un contexte œcuménique. D’où la Constitution apostolique de 1967 sur les indulgences, document auquel a beaucoup collaboré le cardinal Charles Journet, et sur lequel s’appuie le Catéchisme de l’Église Catholique pour fournir le dernier grand texte du Magistère sur les indulgences.
Pourquoi les indulgences ont-elles mauvaise presse ? Elles ont été la cause ou le prétexte de la rupture de la Réforme, en tout cas l’élément déclenchant. À la suite de la prédication des indulgences, entre autres par des Dominicains, prédication très maladroite, même fausse, qui donnait l’impression d’une sorte d’automaticité ; c’est-à-dire que, du moment que l’indulgence était acquise, l’âme à laquelle on l’appliquait bondissait hors du Purgatoire. On disait même : « Quand la pièce de monnaie atteint le fond du tronc, l’âme bondit hors du Purgatoire. »
C’était en plus une manière de quêter de l’argent pour la reconstruction de la basilique Saint-Pierre, cette belle basilique que nous admirons maintenant a coûté très cher. Le P. Yves Congar, o.p., chaque fois qu’il traversait la place Saint-Pierre et admirait la coupole de Michel-Ange, se disait : « Elle est certes très belle, mais nous l’avons payée de l’unité de l’Église en Occident. » C’est cher payé ! Les indulgences furent longtemps une pierre d’achoppement ; dans ma génération, elles étaient encore présentées maladroitement. En particulier sur les mémentos, les images pour un défunt, où il y avait souvent au dos des prières indulgenciées pour le défunt. Chacune comportait une mention de ce genre : tant de jours d’indulgence… En fait, ce nombre de jours signifiait : tant de jours de pénitence par rapport à ce qu’aurait été une pénitence sur la terre. Aujourd’hui, à la suite d’une décision de Paul VI, les indulgences partielles ne mentionnent plus de « jours ».
Mais tout cela ne constitue qu’un ensemble de questions périphériques ; en amont et en profondeur, la question de l’indulgence est liée à la question de la « rétribution », autrement dit, de la rémunération par Dieu des actes de l’homme sur la terre.
Ce thème est présent dans la Bible. Pendant longtemps, en Israël dans la période antérieure à l’Exil, on a cru que la rémunération de la vie de l’homme se faisait sur cette terre. Il y avait une rétribution temporelle, un point c’est tout. La résurrection n’avait pas encore été révélée ni donc la participation de l’homme dans l’au-delà à la vie éternelle de Dieu. On n’avait pas conscience de l’immortalité de l’âme ni du jugement particulier dès l’instant de la mort. Avec le tournant de l’Exil, avec ce qu’a représenté la chute de Jérusalem, quelque chose change : on commence à saisir, par une révélation de Dieu, que la rétribution est essentiellement une rétribution dans l’au-delà, après la mort. Avant on pensait : si vous êtes riche, en bonne santé, c’est que vous êtes quelqu’un de moralement bien, sinon il en irait différemment ; si vous êtes pauvre, en mauvaise santé, avec enfants à problème, c’est que vous avez mal agi. Les amis de Job ont cette théologie-là. Dans le livre de Job c’est cela qui est en cause. Job ne nie pas qu’il soit pécheur. Certes il était un homme juste, comme le dit le prologue au livre de Job, mais il sait que le juste pèche sept fois par jour et que l’on n’est jamais pur devant Dieu. Job sait cela, mais ce qu’il dit, c’est que ces maux terribles ne sont pas en proportion de ses fautes. Il prend Dieu à témoin, alors que ses amis lui parlent à partir de l’ancienne théologie : « Regarde bien ; forcément tu as dû pécher gravement… » Beaucoup de personnes gardent encore aujourd’hui cette vieille conception : elles se culpabilisent comme s’il y avait une proportion entre leurs fautes personnelles et les malheurs qui leur arrivent. En sens inverse, dans certains courants protestants, américains en particulier, il y a cette idée que si vous êtes riches, en bonne santé, et si vous réussissez, c’est une récompense de Dieu.
Ce qui s’est joué pour Job à un niveau personnel, va se jouer collectivement pour Israël, du fait que la dernière époque de la monarchie davidique a été abominable : idolâtrie, impuretés, horreurs — comme de livrer ses propres enfants aux flammes du Moloch, ce dieu cananéen qui a la gueule d’un foyer ardent. Les Israélites avaient conscience qu’ils avaient très gravement péché. Dans le livre de Néhémie, nous trouvons la grande confession de ces péchés d’Israël. Mais le siège de Jérusalem fut néanmoins abominable, un châtiment disproportionné. Des choses terribles se passent durant ce siège : on va jusqu’à manger des enfants. Ensuite, ce fut la déportation et l’esclavage. Ils ont donc conscience que Dieu les a punis parce qu’ils ont péché, que c’est juste, mais que ce n’est pas équitable : il y a un comme un « trop ». Voilà comment s’exprime Isaïe au retour de l’Exil, quand Dieu l’envoie consoler le peuple. C’est dans le livre de la Consolation, qui commence par ces mots : « Consolez, consolez mon peuple, dit le Seigneur, parlez au cœur de Jérusalem et criez-lui que son service est accompli, que sa faute est expiée, qu’elle a reçu de la main du Seigneur double punition pour tous ses péchés. » Il y a beaucoup d’éléments à faire ressortir ici, comme par exemple cette expression : « Que son service est accompli ». Il n’y avait donc pas que de la punition, mais un service. Ces termes de « service » et « serviteur » vont prendre une place importante dans les chapitres suivants, consacrés aux chants du « Serviteur », pour culminer dans celui du « Serviteur souffrant ». Autre expression significative dans ce passage : Jérusalem a reçu de la main du Seigneur « double punition pour tous ses crimes ». C’est là très exactement la problématique de Job : il y a là un excès, et on sous-entend ici que cet excès est probablement en lien avec un service sacerdotal, c’est-à-dire qu’Israël paie pour ses fautes, mais aussi pour les fautes des autres. Il est donc en service sacerdotal de substitution. C’est ce qui se développera dans les quatre chants du Serviteur. Le Serviteur dont il est question, c’est d’abord Israël lui-même, mais il y a un serviteur en Israël qui est le Serviteur par excellence, lui qui est « l’alliance du peuple » pour qu’Israël entre pleinement dans l’Alliance sacerdotale avec le Seigneur. On aboutit ainsi au chapitre 54 d’Isaïe : le Serviteur souffrant constitue le sommet, et il est fortement individualisé comme le Serviteur de Dieu par excellence.
Si nous nous reportons au livre de Job, nous avons quelque chose du même style à la fin du livre. Job n’est pas un Israélite, on n’a pas la même révélation, mais il apparait comme un fils de l’Orient ; rien ne le rattache à la loi de Moïse, ni à l’élection d’Abraham, ni au temple de Jérusalem. Il est monothéiste, il a le sens du bien et du mal et de la rétribution divine. Dieu dit à la fin : « Mon serviteur Job a bien parlé. » Ses amis ont mal parlé de Dieu — en termes de rétribution terrestres. Dieu dit qu’ils devraient être punis, mais : « Mon serviteur Job priera pour vous, j’aurai égard à lui, et ne vous infligerai pas la disgrâce pour n’avoir pas, comme mon serviteur Job, parlé avec droiture de moi. » « Serviteur », « priera pour vous » : voilà la substitution ; « j’aurai égard à lui et ne vous infligerai pas la disgrâce que vous aurez mérité » : voilà l’intercession sacerdotale. Ce service de substitution que rend Israël, finalement tout homme droit — qui répond aujourd’hui à la grâce de Dieu — peut le rendre, et être associé à la rédemption. Bien sûr, cela apparaît au plus haut degré dans le Chant du Serviteur souffrant : « Ce sont nos souffrances qu’il portait, nos douleurs dont il était chargé […] Écrasé à cause de nos fautes. Le châtiment qui nous rend la paix est sur lui, et dans ses blessures nous trouvons la guérison. […] Le Seigneur a fait retomber sur lui nos fautes à tous. […] Il s’est livré lui-même à la mort, alors qu’il portait le péché des multitudes . ».
Le châtiment, cette double punition, qu’Israël a porté
Si Dieu est miséricordieux, pourquoi faut-il porter la punition ? Et pourquoi la punition de fautes que l’on n’a pas commises soi-même ? Cela semble aller contre d’autres passages prophétiques, comme Ézéchiel, où Dieu dit : « Les pères ont mangé des raisins verts et les dents des fils ont été agacées. » Autrement dit, chacun sera jugé sur la faute qu’il a commise personnellement ; donc pas de culpabilité collective dans les péchés personnels. Néanmoins il existe une dimension collective de la faute, car la faute a deux dimensions :
une dimension de rupture avec Dieu, et cela est absolument personnel. C’est là que le Christ nous réconcilie avec Dieu, gratuitement. Quand nous nous confessons, nous reconnaissons nos fautes, et le Seigneur gratuitement nous donne le pardon.
mais ensuite le prêtre nous donne une pénitence, car nous devons réparer ce que nous avons détruit. Le péché est certes une relation avec Dieu, et cela est rétabli par la réconciliation, mais c’est aussi une destruction au niveau même des créatures. Et cela doit être réparé.
Supposez deux voisins qui se disputent. L’un met le feu à la maison de l’autre. Il regrette et demande pardon. Si le voisin est bon et généreux, il va lui pardonner ; mais il faudra bien qu’il y ait justice et que la maison soit réparée ! C’est celui qui a mis le feu qui doit réparer ; voilà la réparation : réparer les torts que l’on a fait aux autres et à soi-même, car dans le péché, on se détruit, on s’abîme. Dans cette réparation, dans cette peine, là, il y a hélas une dimension collective. Voyez l’exemple allemand : la génération qui a applaudi Hitler et l’a porté au pouvoir : sa faute a pesé au moins sur deux générations.
La réparation
Que dit le Seigneur dans l’Exode ? Après l’alliance dans le Sinaï, vient immédiatement le péché du veau d’or. Israël se détourne de Dieu aussitôt après l’Alliance. Moïse donc remonte vers Dieu, il intercède et Dieu lui dit : « Je ferai passer devant toi toute ma beauté et je prononcerai devant toi le Nom du Seigneur. » C’est Dieu qui va prononcer son propre Nom. Parce qu’il n’y a plus de partenaire, parce qu’Israël est déchu de sa situation de partenaire, il faut que Dieu vienne. Il dit d’ailleurs deux fois son Nom (alors qu’au début de l’Exode il le dit une fois seulement : Je suis) ; là il le dit deux fois, car d’une certaine manière il va être des deux côtés de l’alliance. Le Seigneur dit : « Je fais grâce à qui je fais grâce et j’ai pitié de qui j’ai pitié. » Le Seigneur passa devant lui et cria : « Seigneur, Seigneur, Dieu de tendresse et de pitié, lent à la colère, riche en grâce et en fidélité, qui garde sa grâce à des milliers, tolère faute, transgression et péché, mais ne laisse rien impuni et châtie les fautes des pères sur les enfants et les petits-enfants jusqu’à la troisième et la quatrième génération. » Comprenons ce qu’est la punition divine : tandis que la miséricorde, la réconciliation, vient du cœur de Dieu qui veut nous sauver et veut l’alliance, il en va autrement pour la justice qui est le rapport entre la créature et le Créateur. Puisque nous sommes sortis du néant, il y aura toujours une distance entre la créature et le Créateur. Le comportement de la créature doit se situer dans la création par rapport à Dieu. Si l’on détruit la création, si je me détruis, ou détruis un autre, il y a des conséquences. Dieu n’efface pas cela d’un coup de baguette magique. C’est le mystère que découvre Israël : Dieu va lui pardonner et en même temps le punir. La punition n’est pas apportée par Dieu : elle est immanente aux actes que nous avons posés. C’est une justice immanente. Si je rejette Dieu, je me damne, je me prive de Dieu. Quand je me situe de manière désordonnée par rapport au bien créé, je me fais du mal et je fais du mal aux autres ; il y a des conséquences mauvaises qui viennent de mon acte. La punition divine consiste à transformer ces conséquences mauvaises en chemin de rédemption. Dieu intervient pour donner valeur à quelque chose qui sinon aurait été purement négatif. Ainsi au chapitre 3 de la Genèse, après le péché originel : Dieu apparait, il ne maudit que le serpent parce qu’il a été jusqu’au bout de son péché. Adam et Ève sont relevés, ils ont une promesse de rédemption : la descendance de la femme, et quelqu’un écrasera la tête du serpent. Mais ils constatent ce que le péché originel a détruit… Avant même que Dieu formule la punition, eux-mêmes ont eu honte et se sont cachés. C’est leur acte qui a produit cela. La punition va intervenir pour transformer en un chemin de relèvement ce qui était négatif. En se réconciliant, Dieu va faire qu’à travers les souffrances d’une humanité déchue, le lien d’amour avec Dieu, la grâce qu’il nous donne, nous permette de porter cela et de faire un chemin vers la rétribution éternelle qui n’est pas de cette terre, mais qui est Dieu lui-même, le bonheur éternel.
Dans le péché, il y a deux dimensions, une dimension dans laquelle nous rompons l’alliance, où nous nous privons de l’amour de Dieu — cela peut conduire jusqu’à la damnation — ; et une autre dimension où nous nous faisons du mal et faisons du mal aux autres. Même les péchés les plus secrets, qui apparemment ne font de mal à personne, privent la communion des saints — ce mystère de communication et de réversibilité des mérites les uns envers les autres — ; tous en pâtissent. C’est pour cela que quand je me confesse, je me confesse par rapport à Dieu, mais aussi par rapport à l’Église, par rapport à l’humanité que j’ai blessée. Le Purgatoire, c’est justement d’être purifié en ayant une vision de tout ce que mes actes, mes omissions aussi, ont fait de mal autour de nous ou à d’autres, dans la communion de l’humanité que le Christ a rachetée. Que ce soit par les épreuves de la vie ou les souffrances du Purgatoire, nous réparons : d’abord en nous, en acte, ou en changement d’orientation et de penchants ; puis chez les autres, parce qu’il y a un devoir de justice et que nous leur avons fait du mal. C’est pour cela que le prêtre nous donne une pénitence : pour réparer. C’est pour cela aussi que l’on revient aux grandes œuvres de pénitence : la prière, le jeûne et l’aumône. Les indulgences ont parti lié avec l’aumône, même si hélas au XVIe siècle, dans un contexte de très grande dégradation de la vie des clercs, on va tomber dans des quasi ventes d’indulgences, sans que l’on distingue ce qui relève de la gratuité du pardon de Dieu donné par l’absolution de la confession (et qui ne peut en aucun cas être vendue), et ce qui relève de l’indulgence : à savoir la prise en charge de notre réparation très imparfaite par la communion des saints. Car de même que le péché fait du mal à tous, de même notre offrande d’amour, l’offrande de notre vie, de nos épreuves, la souffrance offerte (que les malades découvrent à Lourdes par exemple) font du bien à tous. Le grand miracle de Lourdes c’est de se rendre compte que ce qui est vécu dans l’amour sert le Royaume de Dieu. Cette souffrance, non en tant que souffrance, mais quand elle est offerte dans l’amour, sert le Royaume de Dieu. Les malades repartent de Lourdes confortés et confirmés dans cette certitude. C’est le grand miracle ; les autres ne sont que les signes du monde de la résurrection à venir. Le miracle intérieur est très important : se rendre compte qu’en offrant sa vie avec le Christ, dans le sacrement des malades, par exemple, on reçoit la force de faire de sa vie une offrande avec le Christ ! C’est ce que l’on fait dans l’Eucharistie, chaque fois que nous participons à la messe nous nous offrons nous-mêmes en communion avec le Christ, avec notre pauvre vie, pour le salut du monde. Donc, cette communion des saints va nous envelopper. Le Christ, le premier, a pris sur lui notre souffrance, en nous réconciliant dans un acte d’obéissance aimant au Père, acte qu’il aurait pu poser en n’importe quelle circonstance, mais qu’il a posé dans la circonstance de la Passion et de la mort, pour assumer toute la souffrance des hommes, la faire sienne dans son acte d’amour. Cet acte d’amour nous aurait réconciliés avec Dieu, même sans la croix. Ce qui nous a réconciliés c’est la charité du Christ ; cet acte aurait pu être posé sans la croix, sans la passion. Alors pourquoi la croix ? Mais parce qu’il y a toute la réparation nécessaire. Telle est la réalité du rapport entre Dieu et la créature : si l’on démolit quelque chose, hélas c’est démoli ; on ne peut pas faire que cela n’ait pas été. Tout cela génère souffrance et vallée de larmes. La vie n’est pas que vallée de larmes, mais elle est aussi vallée de larmes — et pour certaines personnes terriblement. Donc le Christ a voulu poser son acte réconciliateur dans le contexte de sa Passion : l’offrande de sa vie et de sa souffrance, pour que nous ne soyons plus seul à porter cette peine de tous les péchés. Le Christ a pris tout cela, et à sa suite la Vierge Marie et tous les saints sont entrés dans cette offrande de leur vie, et donc ils contribuent à porter cette part de réparation des péchés des hommes. Il y a eu, et il y a encore aujourd’hui dans le monde, des péchés monstrueux : comme si l’enfer ouvrait sa gueule, dans tel ou tel pays du monde… Cette réparation, ce n’est pas rien ! Le Christ est en agonie jusqu’à la fin du monde pour cette réparation, à travers les membres de son Corps qui est l’Église. Cette communion des saints, l’Église l’offre par ce que l’on appelle « le pouvoir des clefs » : le Christ a laissé aux apôtres le pouvoir sacramentel du pardon ; il leur a laissé aussi des clefs, les clefs du Royaume, pour lier et délier — c’est un pouvoir en quelque sorte d’administrer et d’appliquer les mérites des saints à la réparation des fautes. Ceci concerne les péchés pardonnés ; on ne peut acquérir l’indulgence que si l’on s’est préalablement confessé, que si l’on s’est réconcilié avec Dieu, que l’on a prié, communié, passé la Porte sainte.
Qu’est-ce que l’indulgence ?
L’indulgence est la Communion des saints qui prend en charge d’une manière plus directe, à travers une décision de l’Église, notre réparation : ce que nous aurions à réparer, et que si nous mourons sans l’avoir fait nous devrions réparer au Purgatoire. Le Purgatoire n’est pas un enfer à temps limité. Les souffrances du Purgatoire n’ont rien à voir avec celles de l’enfer. Les souffrances de l’enfer sont des souffrances de haine, horribles, ténébreuses, de non-amour, de rejet de Dieu En Purgatoire, ce sont des souffrances bénies qui viennent de la charité. Le Purgatoire est un lieu d’amour : les âmes du Purgatoire sont des personnes qui n’ont pas rejeté Dieu, qui sont fondamentalement saintes : elles ont une vision profonde de ce que nos actes ou omissions ont fait de mal autour de nous, et elles éprouvent une souffrance d’amour pour ce qui a été détruit.
Quelle est l’aide qui vient par l’indulgence ? Si je fais ce que l’Église demande, la communion des saints prend en charge cette réparation. Tous les saints, ceux qui sont canonisés et tous les saints inconnus ! Et au-delà, les âmes en état de grâce, comme Job, toutes contribuent, de façon co-rédemptrice, à porter ce fardeau. S’applique à l’extrême cette parole de saint Paul aux Galates : « Portez les fardeaux les uns des autres, et ainsi vous accomplirez la loi du Christ. » Ce qui fut détruit a été détruit : ce n’est pas que Dieu impose quelque chose ! C’est que du péché sortent des conséquences, immanentes à l’acte lui-même… cela abîme l’humanité, cela fait de ce monde ce qu’il est, à savoir une création qui vient de Dieu et qui est bonne, mais qui en même temps est « soumise à la vanité ». Mystère du monde qui est à la fois création et fermeture à Dieu. Et donc destructeur.
Ce qui se produit dans les indulgences, c’est l’application par l’Église de cette communion des saints toujours à l’œuvre. L’Église a le pouvoir, comme épouse du Christ, à certaines occasions de jubilés, de dire que les catholiques peuvent avoir recours à l’indulgence, pour eux-mêmes et pour les défunts. La possibilité d’appliquer les mérites de ceux qui sont dans l’amitié de Dieu à certaines personnes. L’indulgence étant, quand le pardon de Dieu est accordé, la remise de la peine temporelle qui demeure et qui relève de la communion des saints, avec bien sûr le Christ premier.
Quel est le but de cela ? Une manière fausse de voir serait de penser : on remet le compteur à zéro, je suis pardonné, et je ne dois plus rien à personne, je n’ai plus à me soucier. Tel n’est pas l’esprit du mystère des indulgences… Dieu, par la communion des saints, nous décharge d’un devoir de justice, pour nous enfoncer dans une attitude d’amour. C’est passer d’un devoir de justice à un devoir d’amour. Quand on a reçu beaucoup gratuitement, on veut rendre gratuitement. L’ardoise de la dette a été effacée, mais d’autres ont payé : le Christ a payé ! Cela rend reconnaissant, plein de gratitude. Si l’on a bien compris le sens de l’indulgence, on devient soi-même un acteur de la communion des saints, on devient soi-même co-rédempteur avec le Christ. Pour qui a reçu, il faut donner. « À ceci nous avons connu l’amour : celui-là a donné sa vie pour nous ; ainsi nous devons, nous aussi, donner notre vie pour nos frères. » On est sorti d’une dette de justice et on entre dans une dette de reconnaissance. Voici le sens profond de l’indulgence.
À propos des questions posées
Les indulgences ne sont pas un sacrement de pardon, mais un sacramental.
Les indulgences assument la part douloureuse de la vie : par elles le pur négatif peut être transformé en une offrande d’amour qui contribue au salut du monde, et à la réparation du mal chez les autres.
Distinction entre justice divine et justice humaine : la justice humaine juge sur les faits, mais la justice divine se fait de l’intérieur de nos actes ; elle juge aussi sur les intentions. Dieu voit le secret du cœur. Le jugement particulier au moment de la mort est le moment où sera révélé, non seulement ce que nous avons fait, mais aussi ce que nous aurons voulu. Celui qui aura voulu l’Amour, même imparfaitement, sera heureux d’aller en Purgatoire, car il le verra comme quelque chose de nécessaire, et dont il voudra s’acquitter. Celui qui n’a pas voulu l’amour, qui s’est rendu étranger à l’amour, se rendra compte qu’il se préfère encore au chemin du pardon. Ne disons pas que ce n’est pas possible : dès cette terre, nous avons une expérience de l’enfer, du Purgatoire et du Ciel. Une idée du Ciel avec la joie qu’apporte la charité, la joie d’être dans la charité qui apporte la paix, c’est l’Esprit-Saint, quand on est dans la communion, que l’on ne connaît pas de rancœurs, de ressentiment. Nous avons une idée du Purgatoire quand nous sommes douloureux et repentants et que nous voulons réparer : larmes bienheureuses comme celles de l’âme qui sera heureuse d’aller au Purgatoire s’acquitter de sa dette. Nous avons une idée de l’enfer quand nous nous enfermons dans l’orgueil, que nous ne voulons pas pardonner. Nous devons veiller à cela lorsque nous vieillissons, car on a tous connu des vieillards qui s’endurcissent dans le ressentiment, la déception de soi, des autres ; qui trouvent tout négatif, car la vie a apporté son lot d’échecs, de déceptions, etc. Ne pas se laisser entamer par cela ! mais demander la grâce de bien vieillir, et se préparer à la vieillesse.
Le Christ a pris toute la souffrance du monde : Il m’a aimé et s’est livré pour moi. Le Christ nous a tous connu personnellement. Portons les fardeaux les uns des autres dans la communion des saints.
fr. Jean-Miguel Garrigues