Homélie du 12 décembre 2004 - 3e DA
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Jean le Baptiste, dans sa prison, avait appris ce que faisait le Christ. Il lui envoya demander par ses disciples: «Es-tu celui qui doit venir, ou devons-nous en attendre un autre?» Jésus leur répondit«Allez rapporter à Jean ce que vous entendez et voyez: les aveugles voient, les boiteux marchent, les lépreux sont purifiés, les sourds entendent, les morts ressuscitent, la Bonne Nouvelle est annoncée aux pauvres. Heureux celui qui ne tombera pas à cause de moi»

Tandis que les envoyés de Jean se retiraient, Jésus se mit à dire aux foules à propos de Jean: «Qu’êtes-vous allés voir au désert? Un roseau agité par le vent?… Alors qu’êtes vous donc allés voir? Un homme aux vêtements luxueux? Mais ceux qui portent de tels vêtements vivent dans les palais des rois».

«Qu’êtes vous donc allés voir? Un prophète? Oui, je vous le dis, et bien plus qu’un prophète. C’est de lui qu’il est écrit: Voici que j’envoie mon messager en avant de moi, pour qu’il prépare le chemin devant toi. Amen, je vous le dis: Parmi les hommes, il n’en a pas existé de plus grand que Jean Baptiste; et cependant le plus petit dans le Royaume des cieux est plus grand que lui».

«Parmi les hommes, il n’en a pas existé de plus grand que Jean Baptiste» parole de Jésus. Pas de plus grand, et pourtant, il s’interroge, il n’est pas sûr, il envoie demander à celui qu’il a présenté à tous comme le Messie «Es-tu celui qui doit venir, ou devons-nous en attendre un autre?» Il doute, il ne sait pas, il ne sait plus.

C’est rassurant. C’est libérateur. Oui, le plus grand des hommes a douté. Il s’est interrogé. Il s’est demandé s’il ne s’était pas trompé, publiquement. C’est libérateur parce que je vois que c’est normal, que cela peut arriver aux meilleurs, que ce chemin de l’inquiétude et de l’insécurité, cet affrontement au non sens et à l’absurdité, n’est pas un péché mais la voie normale des humains, parmi les plus grands. Je préfèrerais la facilité, la souplesse d’un roseau sous la caresse du vent, je préfèrerais le clinquant médiatique d’un colloque international dans un hôtel de luxe, je préfèrerais le succès. Non.

Jean Baptiste est en prison. Il est enfermé, il se sent à l’étroit. Cela va très mal pour lui. Et cela n’est pas de sa faute. Il n’a pas commis d’erreur, il ne paie pas pour une faute de parcours. Il vit sa vocation. Au cœur même de son cachot, il prépare toujours le chemin. Le chemin le plus étroit, le chemin sans issue, celui qui mène au tombeau. Il ne sait plus où donner de la tête, il va bientôt la perdre, la tête, puisqu’il finit décapité. Lui, le plus grand, il accepte de diminuer, d’être raccourci. Les jeux de mots sont plaisants, la réalité l’est moins, mais «l’humour est la politesse du désespoir». Il permet de parler encore là où c’est insupportable, là où les mots sérieux ne seraient plus entendus, plus prononçables non plus. Pauvre Jean Baptiste, le plus grand des prophètes, le plus grand des hommes. Il finit de façon tragique, ridicule, dérisoire. La danse d’une fillette, un monarque fasciné, une vengeance de femme aigrie, et le voilà réduit non plus seulement au silence, mais à être éliminé. Sa tête est sur un plat, pour un banquet, le jour anniversaire d’un roitelet. On lui a coupé la gorge, lui qui est la Voix! N’est-ce pas le point culminant du mauvais goût, l’horreur pour un si prophète si grand ?

«Le plus grand des hommes»: je comprends qu’il s’interroge! Sa noblesse est de ne pas poser la question de son propre destin. Il ne demande pas à être délivré. Il ne pense pas d’abord à lui-même. En bout de parcours, il est encore fidèle à son désir, à sa passion: la venue de l’autre, celui que le monde attend. Aucun reproche, une simple question: «es-tu celui-là qui doit venir?» Son doute n’est pas un manque d’espérance, il porte sur ce qu’il faut espérer: espérer en toi, ou au-delà de toi? Son doute porte sur l’écart entre ce qu’il voit et ce qu’il attend. Pas du tout «dans le doute abstiens-toi» mais bien «dans le doute, engage-toi». Jean Baptiste ne manifeste aucune amertume, aucun retrait non plus. Quelqu’un va venir! Il n’en doute pas! La question est de savoir si Jésus est celui-là. Ce qui fait problème, c’est la réalisation. C’est bien aussi notre question.

La réponse de Jésus ne se place pas sur le plan théorique. Il ne répond pas: «oui, c’est moi. Je suis le Messie, je suis même le Fils unique de Dieu, je suis le Verbe Incarné, je suis le Sauveur du monde, je suis la deuxième personne de la Trinité, je suis…» Non! Pas de grands mots, il invite à ouvrir l’œil et à interpréter. Il invite à vérifier soi-même, à faire l’expérience précise de ce qu’ensuite nous allons annoncer. Il s’agit de réalités très humaines, très concrètes, très physiques: les aveugles voient, les boiteux marchent, les sourds entendent, les lépreux sont purifiés. Le spirituel se vit dans le temporel! Le programme du Sauveur est aussi social. L’âme est touchée dans les corps! L’humain, c’est tout un et Dieu s’intéresse à l’homme tout entier.

Nous aussi, nous demandons à voir. Car ce qui a commencé n’est toujours pas fini! Comme Jean Baptiste, nous subissons l’injustice, l’arbitraire, nous côtoyons l’absurde et des épreuves insensées, le poids du mal, les inerties, le refus et le mépris. Il y a toujours de quoi douter, de quoi s’interroger sur le contenu de l’espérance: elle est un doute surmonté! Mais, à la différence de Jean Baptiste, nous savons que Celui qui doit venir est déjà venu.

Il est venu et il reviendra. Il est venu et il a été jusqu’au bout du chemin, de ce fameux chemin d’épines, étroit et apparemment sans issue. Il a roulé la pierre et troué les ténèbres, il a ouvert la voie.

Il est le premier né d’entre les morts, le premier mutant d’immortalité. Dès lors le plus petit du monde nouveau est plus grand que le plus grand du monde d’avant. Et quand on est grand, on voit plus loin, jusqu’au Royaume qui vient, où il n’y aura plus ni cri ni peines, ni larmes ni prisons, ni mort ni maladies car Dieu sera tout en tous.

Mes amis, nos doutes ne sont-ils pas à la mesure de notre attente? Nos frustrations à la mesure de notre désir? Notre sentiment d’échec à la mesure de notre engagement?

L’espérance, côté face, dans l’éveil et le don, est tout entière dans la promesse de Dieu et l’ampleur de notre vocation. Côté pile, notre espérance en acte, est un doute surmonté.

Jamais le Baptiste n’a été aussi grand que lorsqu’il doute dans sa prison. Jamais, comme dans ce cachot, ne s’est autant creusée l’attente de l’humanité, Dieu va pouvoir répondre et se manifester. Ce que le Baptiste ignorait mais que le moindre d’entre nous sait bien, c’est que Dieu va venir lui-même: Il est Celui qui vient!